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Souveraineté des données : « pas une top priorité » pour les clients de Workday

Pour le spécialiste du SIRH et de la gestion financière, les problématiques légales d’extraterritorialité ne seraient pas une préoccupation majeure de ses clients européens. Le co-PDG Chano Fernandez ne ferme cependant pas la porte à des hébergements « souverains »… si une réelle demande apparaissait.

Les données RH et financières sont particulièrement sensibles. Pour certains secteurs, et pour s’assurer d’une totale confidentialité sur ces informations, leur hébergement sur des infrastructures semble être une tendance montante en Europe – comme le confirment en France aussi bien l’USF que son homologue dans le monde Oracle, l’AUFO.

SAP S/4HANA, par exemple, est désormais disponible sur OVHcloud. Oracle dit n’exclure aucune option. Et plus largement, l’État pousse à la création de « joint ventures » entre d’une part des fournisseurs américains (aujourd’hui Google et Microsoft) et d’autre part des acteurs locaux (OBS, Thales, etc.). Les seconds détenant 61 % minimum des parts de la structure pour qu’elles soient immunes aux droits extraterritoriaux non européens (CLOUD Act, FISSA, PIPL chinois, etc.).

Et Workday ? Le spécialiste du SIRH et de la gestion comptable constate-t-il une montée des préoccupations sur ces problématiques, à la croisée de l’IT et du juridique ? Et envisage-t-il ce type de solution (un Workday sur OVHcloud par exemple) ?

Il y a deux ans, LeMagIT avait posé la question à l’éditeur américain. Lors du Rising Europe de cette année, nous avons demandé à nouveau au co-PDG espagnol de Workday, Chano Fernandez, si Workday avait des projets « souverains » dans ses cartons. Voici ses réponses.

LeMagIT : En 2020, quand on vous demandait si Workday pourrait, un jour, être hébergé sur un cloud européen, vous disiez en résumé que ce serait envisageable… si les clients le demandaient. Deux ans plus tard, où en est-on ? Avez-vous eu des demandes en ce sens ?

Et d’un point de vue technique, vous avez un partenariat avec AWS : pourriez-vous en avoir d’autres et être hébergé sur Azure ou GCP ? Voire, qui sait, sur un T-Systems ou un OVH ?

Chano Fernandez : Permettez-moi de commencer ma réponse par la seconde partie de votre question. Nous avons mis en avant notre partenariat avec AWS [lors de ce Rising] parce que c’est le plus avancé.

Mais nous en avons également avec GCP pour l’ensemble de nos solutions (Core Finance, Core RH, planification, etc.) et avec Azure pour notre application de planification (ex- Adaptative Insights).

Pour la première partie de votre question, tout ce que je peux vous dire, c’est que si cela devient une réglementation, nous trouverons des moyens de nous y conformer.

LeMagIT : Il est donc techniquement possible – comme vous le faites avec AWS et GCP – de prendre la stack complète de Workday et de la mettre sur d’autres clouds ?

Chano Fernandez : Si le cloud en question dispose des bonnes technologies et de la bonne infrastructure, pourquoi pas ?

« Si OVH a une infrastructure qui le permet. Pourquoi pas ? »
Chano FernandezCo-PDG de Workday

Par technologie, j’entends des choses comme l’OCR ou la reconnaissance vocale – des choses assez simples [proposés par le partenaire] dont nous profitons, mais dans lesquelles nous n’avons pas l’intention d’investir.

Ceci étant, même si OVH – ou d’autres clouds – nous fournit la bonne infrastructure, cela reste un travail de longue haleine. Ce n’est pas aussi simple que de dire « on déplace le logiciel là, et on appuie sur un bouton pour l’allumer ». Par exemple, le portage mondial de Workday sur GCP est un processus de 6 à 9 mois.

Mais si OVH a une infrastructure qui le permet. Pourquoi pas ?

Photo de Chano Fernandez
Chano Fernandez, PDG de Workday, lors de l’édition 2022 de Rising Europe

LeMagIT : Utiliser certaines de ces technologies PaaS au-delà du pur IaaS ne crée-t-il pas une dépendance ?

Chano Fernandez : Non, parce que nous ne sommes pas liés à une plateforme de cloud en particulier. Nous utilisons des services de pure infrastructure. Mais nous n’utilisons pas de services avancés d’IA ou de ML, par exemple.

« Nous ne sommes pas liés à une plateforme cloud en particulier […] Ce serait trop risqué pour nous. »
Chano FernandezCo-PDG de Workday

Et lorsque nous utilisons certains services « spécifiques » de l’un de nos partenaires, il s’agit toujours de fonctionnalités basiques. Comme, à nouveau, la reconnaissance vocale ou l’OCR. On le fait parce que nous ne voyons pas l’intérêt de mobiliser 500 de nos employés sur ces sujets, cela n’aurait pas de sens pour nous [N.D.R. : cette approche agnostique est d’ailleurs la même que celle de Cegid].

Donc nous ne sommes pas coincés. Nous pouvons utiliser n’importe quel OCR ou n’importe quel outil de voice recognition, que ce soient ceux de Google ou d’Azure ou d’AWS. Nous ne sommes pas limités par cela.

D’ailleurs ce serait trop risqué pour nous. Par exemple, nous savons que certains de nos clients dans le Retail veulent aller dans le cloud public, mais qu’ils ne veulent pas de tous les clouds publics [N.D.R. : tous les cabinets d’analystes soulignent en effet que les distributeurs rechignent à aller sur AWS, filiale de leur concurrent Amazon].

Nous nous devons donc de proposer différentes options d’hébergement.

LeMagIT : Nous venons d’aborder la dimension technologique d’une potentielle (et hypothétique) option « souveraine » de Workday. Mais qu’en est-il des clients et des prospects, en particulier en France ? Les sentez-vous préoccupés par ces problématiques de « souveraineté des données » et par des choses comme FISA ou le CLOUD Act et leur utilisation dans un cadre d’intelligence économique ?

Chano Fernandez : En ce moment, la plupart de nos clients français démarrent sur nos propres centres de données en Europe.

Mais pour être honnête, la souveraineté des données et les clouds publics souverains ne sont pas une top priorité sur la liste des clients avec lesquels nous discutons.

Propos recueillis le 16 novembre 2022 à Stockholm, relus et validés par Workday et Chano Fernandez. La première partie de cet entretien concernait les grandes annonces technologiques et stratégiques de l’éditeur.

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