Questions de DSI : pourquoi y’a-t-il si peu de femmes dans l’IT ?
La DSI de Workday - Diana McKenzie - tort le cou à l’idée que les femmes seraient “naturellement” moins douées pour l’informatique ou les maths. Elle revient sur son parcours dans des milieux très masculins et partage avec LeMagIT ce qu’elle en a appris pour les futures générations.
Diana McKenzie est la DSI de Workday, le « Salesforce du HCM ».
Issue d’une famille modeste, elle est diplomée de l’université de Purdue en 1986, alors que l'informatique est un domaine presqu’exclusivement masculin. Dix ans plus tard, elle rejoint une société industrielle spécialisée dans les biotechnologies, là encore à dominante masculine.
Elle y gravit les échelons jusqu'à être promue DSI en 2010. Six ans plus tard, elle rejoint la start-up californienne pour en devenir la toute première DSI.
Elle a intégré en 2015 le "Top 50 Most Powerful Women in Technology" du National Diversity Council.
En marge de l’évènement européen annuel de Workday, Diana McKenzie a livré au MagIT des pistes de réflexion sur le déséquilibre homme femme dans l’informatique et donné quelques pistes pour aider les femmes à réussir dans l’IT et dans leurs vies professionnelles en général.
NB : La première partie de cet entretien revenait sur la différence entre être DSI dans l'IT et DSI dans l'industrie.
LeMagIT : Les femmes DSI sont plutôt rares. Pourquoi d'après vous ?
Diana McKenzie (DSI de Workday) : Je pense que les choses évoluent dans la bonne direction aux États-Unis. J'ai aussi rencontré plusieurs femmes DSI en Europe. Il me semble donc que les choses bougent ici aussi. Au final je pense qu'un changement est en train d’arriver.
C'est probablement l’évolution des attributions du DSI qui est à l'origine de ce changement. Si l'on remonte cinq ou dix ans en arrière, les DSI avaient tendance à se concentrer beaucoup plus sur la salle des machines et la technologie. Aujourd'hui, ils doivent se concentrer davantage sur la façon dont ils font avancer l'entreprise grâce à la technologie, le relationnel est aussi plus important : le DSI travaille au sein de l'équipe de direction, il doit établir des réseaux internes et à externes.
Les compétences en leadership requises pour un DSI aujourd'hui sont différentes de ce qu'elles étaient il y a des années. Les femmes ont davantage ce style collaboratif, un style qui veut harmoniser les choses et réunir les groupes. Je pense que cela crée des opportunités pour plus de femmes à ce niveau.
Moi et deux autres DSI travaillons d'ailleurs activement à la création d'une communauté de femmes DSI dans la région de San Francisco. Nous nous aidons mutuellement à comprendre où il y a des opportunités et où il y a des défis à relever. Ce n'est pas que nous ne le faisons pas dans nos réseaux de DSI mixtes, mais c'est agréable aussi de pouvoir échanger entre femmes.
LeMagIT : Il est peut-être plus facile pour les femmes de s’imposer aujourd’hui comme DSI mais dans l'informatique en général - dans les postes de CTO, chez les développeurs et dans les postes techniques - il n'y a pas de raison pour que les femmes ne soient pas aussi bonnes que les hommes. Pourtant, elles sont encore en très petite minorité. Comment l'expliquez-vous ?
Diana McKenzie : Il y a un livre que j’adore - je n’en tire aucun revenu donc je le recommande à tout le monde - il s'appelle "The Confidence Code". C’est un livre qui a été écrit par deux journalistes qui ont eu beaucoup de succès. Elles constataient exactement ce que vous dénoncez : il y a peu de femmes dans la technologie en général. Elles ont donc voulu comprendre pourquoi. Après deux ou trois ans d'enquêtes, elles ont documenté leurs conclusions.
En résumé, elles ont découvert qu’il y a plusieurs aspects qui contribuent au fait que les femmes, lorsqu'elles sont plus jeunes, ne se sentent pas à l'aise au moment de poursuivre des études et des carrières dans les branches scientifiques, mathématiques ou de faire ingénieurs.
L'une des constatations majeure est qu'au collège et au lycée, le cerveau des filles se développe à un rythme différent de celui des garçons. Mais à vingt ans, tout le monde est au même niveau.
Le défi, c'est cette période de l'adolescence où les filles prennent un peu de retard parce que le cerveau des garçons se développe plus rapidement. C'est là, typiquement, qu’elles commencent à croire qu'elles ne sont pas bonnes en mathématiques et en sciences.
Résultat, elles choisissent de ne pas poursuivre dans ces domaines. Ensuite tout s’enchaine, elles sont moins nombreuses à l'université dans ces majeures, et quand elles entrent dans le milieu professionnels, elles sont entourées d'hommes.
Cela crée un autre défi pour les femmes. Elles ne se sentent peut-être pas vraiment intégrées par ces hommes, parce qu'elles ne leur ressemblent pas.
Lorsque les femmes sortent de l'école, il me semble très important de se concentrer sur le mentorat et d'éduquer les organisations aux bienfaits de la diversité. Il faut s'assurer qu'il y ait un sentiment naturel d'inclusion pour les femmes tout au long de leur carrière.
LeMagIT : Mais ce livre met également en avant une différence cognitive “naturelle” dans la perception et l’appréhension du risque, du succès et de l’échec. Que peut-on y faire ?
Diana McKenzie : Oui, il souligne que quand les femmes échouent, elles ont beaucoup de mal à oublier. Alors que lorsque les hommes échouent, ils en tirent généralement des leçons et passent à autre chose.
Il est donc important d'épauler les femmes pour les aider à se libérer de leurs échecs, pour qu’elles en tirent des enseignements plutôt que de les retourner contre elles-mêmes ; ce qui les empêche de prendre des risques ou d'assumer un poste.
Les femmes peuvent penser qu'elles n'ont pas tout ce qu’il faut pour réussir dans des fonctions techniques. Mais typiquement, un homme ne se posera pas toutes ces questions. Même s'il n'a pas toutes les compétences requises, il ira.
Le point clef est la façon dont nous sensibilisons les gens dans les entreprises. Nous devons nous assurer que nous avons des conversations différentes avec les femmes et avec les hommes. Nous devrions encourager les femmes à prendre ces risques, à sortir de leur zone de confort, à développer des réseaux, à comprendre comment cela fonctionne. Ce qui est typiquement plus facile pour les hommes, parce qu'il y en a plus.
À chaque étape du processus, cela revient immanquablement à la sensibilisation, à l'implication et à la création d'un environnement d’intégration pour les femmes.
Mais encore une fois, je pense que ça change. Je pense que la Génération Y (NDR : les Digital Natives ou Millennials) a un point de vue très différent sur les femmes au travail et dans les postes techniques. Je suis donc optimiste quant à nos progrès.
LeMagIT : Et vous, personnellement, pourquoi et comment avez-vous décidé d'avoir une carrière dans l’informatique? Avez-vous dû affronter l'adversité voire une discrimination de la part des hommes?
Diana McKenzie : Quand je faisais mon choix d’études supérieures, mes parents ont été très clairs avec moi. Il n'y avait qu'une poignée d'universités et quelques disciplines pour lesquelles ils m'aideraient - ce devait être des grandes écoles scientifiques, d'ingénieures ou en mathématiques. C'était il y a plus de 30 ans maintenant.
La principale explication à cela, c’est que n’avions pas beaucoup d'argent. Et mes parents voulaient nous aider, tous, à poursuivre des études. Ils voulaient donc obtenir un bon "rendement" pour leur investissement. Et ils étaient presque certains que s'ils se concentraient sur certains secteurs, nous obtiendrions un meilleur ROI. Au départ, c'est ce qui m'a amené à envisager une carrière dans l’informatique.
Puis j'ai rencontré une conseillère d'orientation pour l’université. Je lui parlais d'ingénierie et de maths. Elle, elle m'a raconté l'histoire d'un client qui se rendait dans un magasin de pièces détachées automobiles au Texas pour en acheter une pour sa voiture. L'usine de fabrication à Chicago savait alors que le client avait acheté telle pièce et que l'inventaire du magasin devait être mis à jour. Lorsqu'un certain nombre de pièces était nécessaire, elles étaient expédiées automatiquement au Texas..
C'était en 1982. Au lycée, les cours d'informatique se faisaient encore avec des cartes perforées. Cette histoire m'a semblé tellement folle ! C’était une façon tellement futuriste et amusante d'appliquer la technologie pour résoudre des problèmes concrets !
J'ai donc choisi le programme informatique de Purdue. Là-bas, j'avoue que je n'ai pas eu l’impression d’avoir été "empêchée" parce que j’étais une femme. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'en ai pas fait l'expérience.
Ensuite, je suis allée travailler dans l'industrie des Sciences de la Vie. J'y ai passé près de 30 ans - les cinq dernières années en tant que DSI.
Honnêtement, les vingt premières années, je m’y suis heurtée à un autre mur : je n'avais pas de doctorat en médecine et en sciences (NDR : MD-PhD, un double cursus dans le monde anglo-saxon). Chaque fois que j'entrais dans une pièce, le problème n’était pas d’être une femme, c'était mon CV. Je devais gagner de la crédibilité en n'étant pas une scientifique.
L'opposition "hommes - femmes" n'a vraiment commencé à se faire sentir pour moi que quand j'ai atteint un poste de cadre supérieur dans une de mes précédentes expériences. Là j'ai commencé à remarquer un peu plus le manque de sensibilisation à la question feminine... il a fallu un certain temps pour que ça change.
Mais dans l'informatique, vous avez l'occasion de parler... et de rencontrer beaucoup de gens…
LeMagIT : Vous venez d’une famille modeste, vous avez percé dans un milieu d’hommes. Que diriez-vous à une petite fille d’aujourd’hui pour qu’elle soit heureuse en tant que femme, dans sa vie professionnelle future (dans l’IT ou ailleurs) comme dans sa vie privée ?
Diana McKenzie : Je lui dirais… (long silence)
Je lui dirais qu’à chaque fois qu'elle a une opportunité, il faut qu’elle y aille vraiment… et que si elle n'est pas sûre de réussir, et bien qu’elle le fasse quand même.
Je lui dirais de ne pas avoir peur de prendre des risques.
Je lui dirais d’apprendre de ses erreurs et de ne surtout pas laisser ses erreurs la diminuer ou la freiner.
Et je lui dirais : « A chaque fois que tu auras à choisir entre deux bonnes options, prends celle qui te fait le plus peur ».