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Quand l’IA rencontrera l’informatique quantique

L’informatique quantique est encore loin des premières applications pratiques pour les entreprises, mais cet horizon se rapproche. LeMagIT s’est entretenu avec le responsable de l’adoption du « quantique » chez IBM pour savoir où nous en sommes aujourd’hui.

Pour les responsables IT, l’ordinateur quantique relève davantage de la science-fiction que d’une option pour leurs centres de données. Reste que le mois dernier, IBM a présenté son premier ordinateur quantique, qui connecte trois processeurs, System Two.

IBM a par ailleurs chargé un VP, Scott Crowder, d’aider les clients à explorer de nouvelles utilisations de l’informatique quantique. Big Blue lui a aussi demandé de développer les logiciels nécessaires à ces tâches.

Pour faire le point sur les avancées de cette technologie, LeMagIT s’est entretenu avec lui.

LeMagIT : Pour ceux qui ont entendu parler de l’informatique quantique, mais qui ne la comprennent pas vraiment : en quoi diffère-t-elle de l’informatique classique qui alimente nos portables et nos téléphones ?

Scott Crowder : L’informatique quantique utilise la mécanique quantique et une science de l’information différente. Elle est différente dans la manière dont elle effectue des calculs. Par conséquent, l’ordinateur quantique est meilleur que l’ordinateur classique dans certains types de mathématiques, et vice versa.

En théorie, on pourrait faire fonctionner n’importe quoi sur un ordinateur quantique « universel », mais ce n’est pas le but. On ne veut y faire tourner que les choses pour lesquelles les processeurs classiques ne sont pas très bons et pour lesquelles les ordinateurs quantiques ont prouvé leur efficacité. C’est-à-dire quand ces derniers peuvent effectuer des calculs que nous ne pourrons jamais réaliser dans une salle de classe.

Photo du System Two d'IBM
Le Quantum System Two d’IBM a été présenté le mois dernier. Il s’agit du premier ordinateur quantique modulaire de l’entreprise qui relie plusieurs processeurs quantiques entre eux.

LeMagIT : Quand les ordinateurs quantiques seront-ils « grand public » ? Et le seront-ils un jour ?

Scott Crowder : Avant cette année, on pouvait dire que tout ce que faisait un ordinateur quantique pouvait être simulé de manière « classique ». Il n’y avait aucun intérêt à effectuer ces calculs sur un ordinateur, si ce n’est pour en apprendre davantage sur la manière d’utiliser le « quantique ».

Mais les choses ont changé. Cette année, pour la première fois, il a été possible d’exécuter sur un ordinateur quantique un processus qu’il n’était absolument pas possible d’exécuter sur un simulateur. Cela ne signifie toujours pas que l’on peut faire tourner n’importe quoi sur un hardware quantique, mais il s’agit tout de même des premiers calculs dont on peut réellement dire qu’ils tirent de la valeur du « quantique ».

Au cours des deux prochaines années, l’utilité et cette valeur continueront à mon avis de progresser. À l’heure actuelle, la qualité des systèmes [physiques] limite la taille des problèmes que l’on peut traiter. Mais, comme je viens de le dire, nous avons passé un cap. Alors cela ne signifie pas encore qu’il y a un intérêt métier à le faire, d’autant plus que les problèmes à traiter ont tendance à être de plus en plus gros et qu’ils doivent s’intégrer dans des workflows, etc. Mais nous pensons qu’il y aura des applications avec une vraie valeur bien avant 2033.

Si je devais comparer, je dirais que dans les années 1940, il n’y avait pas d’ordinateur. Aujourd’hui, nous en avons jusque dans nos poches avec nos téléphones. Et regardez tout ce que nous faisons avec. Cette époque vivait les tout premiers cas d’application de l’ordonnancement (scheduling). Je pense qu’il en sera de même [pour les ordinateurs quantiques]. Au cours de la prochaine décennie, lorsque les systèmes deviendront plus grands et plus performants, les cas d’utilisation se multiplieront.

LeMagIT : Quels seront ces premiers cas d’utilisation justement ?

Scott Crowder : Les ordinateurs quantiques vont progresser dans trois types de mathématiques.

La première est la simulation de la nature. Matériaux, propriétés, physique, chimie ; pensez à tous les aspects liés à la chimie dans l’industrie, les soins de santé et les sciences de la vie.

Le deuxième type de mathématiques concerne les structures complexes dans les données. L’algorithme le plus célèbre, l’algorithme de Shor – qui intéresse tous les États-nations – fait partie de cette catégorie. Si vous avez une égalité du style A x B = C, les ordinateurs classiques sont capables de vous donner C sans problème. Mais étant donné C, ils ne sont pas forcément très bons pour factoriser et induire ce qu’étaient A et B. Et c’est une bonne chose. C’est là-dessus que repose la cryptographie.

Cela fait d’ailleurs partie des débats sur le quantum computing. Si on le met entre de mauvaises mains, nous aurons de gros problèmes.

Ce type de math est également à l’œuvre dans le Machine Learning, par exemple pour la classification. Il peut aider à trouver des fraudes, etc. L’industrie s’intéresse beaucoup à l’utilisation des ordinateurs quantiques à court terme pour ce type de problèmes.

Le dernier type de mathématiques qui est également très intéressant – mais pour un peu plus tard, disons pour dans 10 ans – c’est l’optimisation. Ce qui me prend N essais sur un ordinateur ordinaire prendra √N essais sur un ordinateur quantique. Si N = 100, le N quantique sera égal à 10. Par exemple, l’optimisation des portefeuilles dans les services financiers, la gestion des risques et la logistique – toute une série de choses que les gens ont du mal à documenter aujourd’hui avec des ordinateurs ordinaires.

LeMagIT : Les ordinateurs quantiques fonctionnent à une température proche de zéro degré Kelvin. Comment allons-nous résoudre ce problème ? En les mettant dans l’espace ?

Scott Crowder : Malheureusement, l’espace n’est pas assez froid.

Non, nous devons isoler le hardware du reste de l’univers. Mais ils ne peuvent pas être totalement isolés non plus, car dans ce cas, nous ne pourrions plus rien faire avec les qubits. Il faut pouvoir interagir, mais sans que le reste de l’univers vienne s’en mêler.

C’est pourquoi il faut soit les maintenir très, très froids – comme nous le faisons chez IBM – soit envoyer des lasers [en utilisant une approche photonique] pour éliminer l’entropie. Mais c’est compliqué et ce n’est pas, quelle que soit la méthode, à température ambiante.

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des techniques de plus en plus stables. Elles sont peu coûteuses et consomment peu d’énergie par rapport à des installations ordinaires – comme un rack de serveurs. En fait, le refroidissement n’est pas un si gros problème. Il y en a d’autres, plus épineux, pour passer à l’échelle et en réduire le coût. Mais la technologie est là.


Différence entre HPC et Informatique Quantique

LeMagIT : Pensez-vous que le « quantique » arrivera un jour dans les data centers ? Ou ces processeurs seront-ils réservés à des usages spécifiques que seules les grandes entreprises pourront s’offrir ?

Scott Crowder : L’infrastructure des ordinateurs quantiques, je le sais, semble très bizarre parce qu’elle est fondamentalement différente. Mais elle n’est pas si bizarre que cela. Nous en avons déployé à la Cleveland Clinic, en Allemagne, au Japon ou au Canada.

Je pense qu’à court terme, c’est-à-dire dans les quelques années qui viennent, la technologie progressera si vite – aussi bien au niveau hardware que software – qu’il n’est pas judicieux d’installer des machines quantiques dans des entreprises qui voudront, en permanence, bénéficier de la technologie quantique la plus récente.

Le cloud présente sur ce point des avantages certains. Il permet de pousser les nouvelles capacités quantiques – à nouveau, hardware et software – à tout le monde.

Après, je pense qu’il y aura un jour des ordinateurs quantiques dans les data centers des entreprises. Mais pas tout de suite, cela n’aurait pas de sens.

LeMagIT : Quel est le lien entre l’informatique quantique et l’Intelligence artificielle ? Vous avez parlé d’optimisation quantique pour le ML, mais certains disent également qu’elle n’est pas adaptée à l’IA générative par exemple. Le « quantique » et l'IA font-ils bon ménage ?

Scott Crowder : Vaste sujet. La réponse est à la fois « oui » et « non ».

On utilise généralement l’expression « Intelligence artificielle » pour désigner la dernière tendance en matière d’IA. Actuellement, pour le grand public, IA est par exemple synonyme d’IA générative.

Mais si l’on aborde l’IA dans un sens plus large, alors, oui, il existe bien un lien entre quantique et ML. Par exemple pour trouver des schémas récurrents (des patterns) et des structures complexes dans les données. Comme nous l’avons évoqué, le « quantique » fera un excellent travail de classification.

En revanche, il est vrai que l’IA générative n’a qu’un lien ténu avec l’informatique quantique. Certaines recherches laissent à penser qu’il sera possible d’exploiter le « quantique » pour les réseaux neuronaux. Est-ce que cela se concrétisera ? On le saura dans les deux prochaines années. Mais pour l’instant, je n’ai pas vu de données qui disent catégoriquement « oui ». Mais je n’ai pas vu non plus de données qui disent définitivement « non ».

Entretien réalisé par notre confère de TechTarget US, groupe propriétaire du MagIT.

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