Opinion : e-G8, combat à l’ancienne ou combat d’arrière-garde ?
L’intervention de Nicolas Sarkozy en ouverture d’un e-G8 qu’il a voulu n’est pas passée inaperçue. D’abord parce que l’orientation en a été changée, passant d’une recherche de «civilisation» d’Internet à un appel à la responsabilité. Mais responsabilité envers qui, alors qu’ont été quasiment laissés de côté des thèmes aussi fondamentaux que la liberté d’expression, la dissidence, et la protection des données personnelles. Et surtout responsabilité pour quoi, pour quelle société ? Celle d’hier ou celle de demain ?
Etonnant discours que celui de Nicolas Sarkozy, en ouverture de l’e-G8, ce mardi 24 mai. À marteler avec force son aspiration à plus de régulation sur Internet, plus d’État, il pouvait presque donner l’impression de représenter une classe dirigeante installée luttant non pas contre Internet ou, comme certains le craignent, la liberté d’expression en ligne, mais contre l’érosion d’un modèle de gouvernance confortable pour ceux qui en tiennent les rênes. Il faut dire que, politiquement les révolutions arabes ont envoyé un signal fort : avec Internet et la transversalité des rapports qu’il induit, la capacité qu’il donne à la société civile de s’organiser seule, en masse et très rapidement, c’est une élite dirigeante qui est menacée. A l’e-G8 ce ne sont donc pas deux visions du Net qui se sont opposées mais plutôt deux visions du rôle des États. À moins que ce ne soit leur légitimité même qui ne soit contestée. Le discours de Nicolas Sarkozy l’a bien laissé transpirer, en soulignant l’opposition entre États et société civile. Des États qui, par définition, dépassent la société civile et doivent en quelque sorte la transcender. Et forcément, les représentants de ces États, s’ils sont élus par les citoyens, ne leur en sont pas moins supérieurs, seuls dépositaires de l’autorité. Mais qui peuvent paraître un rien désemparés face à un espace qui leur échappe et sur lequel ils n’ont pas de prise. Un espace qui pourrait bien, crainte ultime, les balayer, comme en Tunisie ou en Egypte. Parce que, comme le relève si justement Nicolas Sarkozy, il y a un véritable problème de confiance entre citoyens et dépositaires du pouvoir de l’Etat. C’est peut-être d’ailleurs une structure pyramidale de la gouvernance qui est attaquée. Une structure confortable pour ceux qui y sont installés et que nos sociétés n’ont cessé de remettre imperceptiblement en question au cours de ces dernières décennies. Dans les entreprises, d’abord, avec le remise en cause de certains modèles historiques de management et d’organisation hiérarchique. Dans la société civile avec le développement des approches collaboratives, participatives. Dans la vie politique des États, maintenant. Le tout finalement encouragé par la réduction continue, depuis plusieurs décennies, du rôle effectif de l’État et de son périmètre d’intervention. Par le pouvoir politique lui-même. Et dans cette perspective, le Président de la République prend bien des airs de représentant d’une espèce menacée luttant pour se protéger, tant sa pensée semble marquée par des logiques déconnectées de celles qui traversent Internet. A commencer par une approche résolument paternaliste, voire infantilisante, de son rapport aux autres, aux citoyens, aux internautes quand il explique que «les internautes sont comme tous les autres citoyens qui par définition, devant toute initiative, ressentent une réticence ». Là où certains parlent d’Internet comme d’un huitième continent, lui fait référence à l’Amérique du Sud. Certes pour déplorer le massacre des populations amérindiennes mais assurément pas pour condamner une démarche de civilisation, apportant à des primitifs incultes et païens «des valeurs universelles sacrées [...] une morale ». Le parallèle avec la justification des colonisations passées n’aura échappé à personne. S’il assurait donc se présenter devant un parterre d’industriels du Net - et finalement très peu sinon pas de représentants de ses utilisateurs - le regard tourné vers l’avenir, c’est l’esprit encore marqué au fer rouge d’idées des siècles passés que s’est révélé Nicolas Sarkozy. Ce qui d’ailleurs ne surprendra pas les observateurs attentifs du débat national. Avec Hadopi, il serait hypocrite de considérer que le gouvernement français a cherché l’innovation : il n’a cherché qu’un moyen de mettre sous perfusion une industrie dont les modèles économiques ont montré leurs limites. Avec la Loppsi 2 et le filtrage du Web, il n’apparaît chercher qu’à appliquer des recettes anciennes à des problèmes auxquels elles ne s’appliquent pas. Quand elles n’ont pas déjà montré leurs limites ailleurs. Et là, à l’e-G8, Nicolas Sarkozy appelle à renforcer les prérogatives d’un État aux pouvoirs détricotés par Internet. Alors, simple combat à l’ancienne ou combat d’arrière-garde ? C’est l’histoire qui le dira. A moins qu’elle n’ait déjà parlé, dans d’autres pays.