Mobile et cloud : le centre d'innovation d'aujourd'hui ?
Pour le consultant Bob Egan, les entreprises doivent investir dans le cloud mobile non seulement parce que c'est bénéfique pour la productivité, mais aussi parce que c'est nécessaire pour se maintenir au niveau de la concurrence.
Le cloud et la mobilité ont une relation symbiotique : le premier améliore l'utilisation des terminaux mobiles et ceux-ci ont poussé à une plus grande adoption du cloud. A eux deux, ils permettent aux utilisateurs et aux entreprises de gagner en agilité, estime Bob Egan, directeur de recherche et fondateur de Sepharim Research Group. Selon lui, dans cette interview revue et corrigée pour la longueur, le véritable avantage d'une mobilité augmentée par le cloud ne réside pas dans l'appareil ou les applications, mais dans l'impact positif sur l'entreprise.
Pourquoi le cloud mobile devrait-il intéresser les DSI ?
Bob Egan : Je pense que la principale raison pour laquelle les DSI sont poussés à investir dans la mobilité [est] de générer un impact métier.
J’explique à mes interlocuteurs : « mesurez votre retour sur investissement en tenant compte de deux facteurs principaux. Le premier est l’écart de chiffre d’affaires réalisé par un employé ouvert à la mobilité et celui issu d’un autre qui ne l’a pas été. Puis regardez le rendement sur la base des actifs que vous avez. Si vous avez 1 million de dollars d'actifs, comparez-vous à vos concurrents, ou aux nouvelles entreprises qui émergent [et] représentent une menace ».
L'un des exemples que je prends fréquemment est celui du courrier américain, l’US Postal Service, qui génère un rendement d'environ 1,85 $ sur chaque actif qu'il possède. La valeur par actif de l’USPS est donc de 2,80 $, tandis que celle d’un Box est de 3 630 $. La valeur par employé du service des postes est de 113 000 $, tandis que la valeur par employé de Box est de 1,4 million de dollars. Vous pouvez appliquer cette analyse aux entreprises du secteur de l'automobile, par exemple avec un General Motors face à Tesla. La valeur par actif de General Motors est de 1,85 $, quand celle de Tesla est de 11 $. Mais la valeur par employé de GM est de 240 000 $, contre 2,9 M$ pour Tesla.
Vous étudiez plutôt le rendement que les économies rendues possibles par l’adoption de la mobilité ?
Bob EganSepharim Research Group
Bob Egan : Oui. L'une des grandes erreurs que beaucoup d'organisations commettent régulièrement en matière d'investissement dans l'innovation est qu'elles placent toujours l’IT du côté des dépenses, plutôt que comme une arme organisationnelle du côté des recettes. Et la mobilité est particulièrement apte à générer des revenus par le biais de nouveaux investissements. Il s'agit de créer des opportunités.
Pouvez-vous donner quelques exemples de la façon dont cela pourrait être fait ?
Bob Egan : le rendement des actifs des jeunes pousses innovantes est beaucoup plus élevé que celui de certaines des entreprises bien installées... Un Ford ou un General Motors, à l’instar de la plupart des constructeurs automobiles, commencent enfin à se considérer comme des entreprises des transports, à l’inverse d’un Tesla qui ne les a pas attendus. Plus généralement, les vieilles entreprises bien établies tendent à être alourdies par les actifs qu’elles possèdent, de nombreux cadres intermédiaires, de vastes réseaux à administrer, sans compter leur infrastructure IT, en local.
Les jeunes pousses ne souffrent pas d’effectifs ou d’équipements à administrer en interne surabondants. Mais elles s’investissent dans la distribution et l'analyse, pour créer des moyens de mieux anticiper les besoins des clients.
Qu'est-ce qui pousse les entreprises à investir dans l'informatique mobile et le cloud ?
La principale raison d'investir dans la mobilité est qu’il y a un groupe d’utilisateurs au sein de l’entreprise auxquels on dit : « vous devez être agiles. Vous devez être fluides ». Ce à quoi ces utilisateurs répondent : « bien. Mais construisez l'infrastructure qui est au moins aussi agile que vous l'attendez de moi ».
Et là, vous voulez parler d'applications qui peuvent être utilisées pour améliorer la productivité ?
Oui. Aidez-moi à gagner du temps, aidez-moi à générer plus d'argent. Si vous me dites : « vous voulez faire plus, plus rapidement, plus simplement, et plus efficacement » ; ce que vous décrivez là est l'agilité et l’accélération des activités commerciales.
[Les employés disent que] l'infrastructure avance toujours à un rythme d'escargot, qu’elle n'est pas très agile. Elle ne répond pas aux besoins et aux attentes du travailleur moyen qui en est venu à apprécier l'agilité et les possibilités qu'offrent les applications pour smartphone du grand public.
Donc, les employés disent des choses comme, par exemple, « ne m'obligez pas à me connecter au VPN afin de faire mon travail » ?
Je pense que c'est ça. Vous soulevez un problème secondaire : « cachez cette technologie que je ne saurais voir, et présentez-moi du contenu et des services pour que je puisse faire mon travail. Ne me faites pas travailler plus dur parce que j'ai un nouvel outil dans les mains. Rendez ça beaucoup plus facile pour moi ».
Je pense que beaucoup d'organisations doivent vraiment se pencher sur l’éventail de technologies qui émergent à divers degrés de maturité et penser donc au cloud, à l’amélioration de la sécurité, à la mobilité, à l'analytique. Certaines entreprises réfléchissent déjà très sérieusement à l’Internet des Objets, et à la façon de l'appliquer en interne.
Les entreprises innovantes adoptent une approche par portefeuille pour tous ces éléments [celle-ci tient compte de l'utilisation de la technologie et de toutes les questions qui en découlent, comme la mesure du rendement et de la productivité de cette technologie par l'analyse]. Elles examinent les acteurs historiques du marché, jusqu’à identifier l'endroit le plus stratégique où elles observent des faiblesses.
Donc, si vous êtes un DSI travaillant pour un acteur historique du marché, vous devriez vous en préoccuper ?
Vous devriez vraiment vous en inquiéter. Parce qu'il s'agit d'une véritable transformation numérique sur l'ensemble de la chaîne de valeur, quel que soit votre marché. Et trop d'entreprises sont peu enclines à prendre des risques en adoptant cette approche de portefeuille. Il y a donc des gens qui se spécialisent dans la mobilité et des gens qui se spécialisent dans l'analyse. Et les vrais leaders vont émerger parce qu'ils ont adopté une approche de portefeuille sur quelques petits segments et sur les sections qui pourraient accompagner ces segments.
Une partie de tout cela n'est pas très sexy. Pensez aux notes de frais. Ce n'est pas une application très sexy. Si vous avez 5 000 employés et que la moitié d'entre eux doit produire deux ou trois rapports de dépenses par mois, vous pouvez très facilement additionner le rendement d'un employé si vous êtes en mesure de le rationaliser par une méthode de transformation numérique.
Quels sont les plus grands freins et défis du cloud mobile ?
Je pense que ce sont les questions de sécurité et, dans de nombreux cas, la facilité d'utilisation. Par exemple, vous devez vous connecter manuellement, à l'aide d'un smartphone, d'une tablette ou de votre ordinateur portable, à un VPN, puis vous connecter au cloud.
Et puis il y a aussi des problèmes de performance, ce qu'on appelle les "problèmes de latence". Parce que si vous n'orchestrez pas votre cloud de manière à réduire la latence, cela ruine l'expérience utilisateur. La bonne nouvelle, c'est que le cloud existe. La mauvaise nouvelle au sujet du cloud mobile est que les implémentations, dans de nombreux cas, sont assez terribles.
Est-ce qu’elles s’améliorent ?
Je pense que oui. Je pense que nous avons vu beaucoup d'entreprises s'engager aveuglément dans cette voie avec l'idée [de créer] une application mobile, mais sans l'expérience nécessaire pour comprendre ce qui fonctionne pour les consommateurs et ce qui ne fonctionne pas. Et cela nous ramène à certaines entreprises qui n'adoptent tout simplement pas l'approche par portefeuille pour mettre en place des choses comme l'analyse, l'utilisation efficace du cloud et le Big Data, afin de pouvoir vraiment comprendre ce qui se passe.
Ce n'est qu'après avoir échoué les deux ou trois premières fois qu'ils commencent à bien faire les choses.
A quoi d'autre les DSI devraient-ils penser en ce qui concerne la mobilité et le cloud ?
Je pense que le gros problème, c'est qu'il s'agit en fait de cloud, pas nécessairement de mobilité. Mais tout ce qui entoure le cloud mobile fait partie intégrante du grand changement que les DSI doivent prendre en compte lorsque leur organisation part d’un modèle largement en local. Et regardez comment ils créent un back-office au moins aussi agile que les consommateurs et les travailleurs qui s'attendent à l'utiliser, tout en protégeant la sécurité et la confidentialité.
Cela fait beaucoup de contraintes, semble-t-il…
Exact. De plus, il reste que beaucoup d'organisations font la grosse erreur de [ne pas considérer] le mobile [comme] un centre d’innovation. Elles s'accrochent encore beaucoup trop au poste de travail traditionnel.
Bob EganSepharim Research Group
Il faut se rendre compte que si, il y a 30 ans, le centre de développement et donc d'innovation du point de vue de l’informatique était les mainframes, et qu'il y a 20 ou 25 ans, il est devenu le poste de travail principalement sous Windows..., il est difficile d’[expliquer] pourquoi les mobiles ne seraient pas le nouveau centre d'innovation, surtout compte tenu des volumes de vente. Il faut vraiment investir beaucoup d'argent pour le développement [dans le mobile]. Et pour beaucoup d'organisations, c'est très difficile parce que le mobile a commencé au pays de la voix.
Et cela a aussi de grandes implications parce que l'environnement mobile [est beaucoup moins] homogène [que] Windows [ne l’était]. Le monde de la mobilité est très hétérogène. Et puisque nous avons des systèmes d'exploitation et des environnements cloud concurrents, la façon dont les gens créent des applications et les outils de développement qu'ils utilisent est très variée.
Cela fait donc beaucoup de choses à prendre en compte, mais il faut prendre du recul et se dire que si 100 000 mainframes étaient là où toute l’innovation avait lieu il y a 35 ans, avant que tout ne tourne autour du poste de travail et de Windows, alors vous devez conclure qu'un environnement incluant le cloud mobile est l’endroit où il faut investir aujourd’hui.
Qu'en est-il du backend mobile en mode service ? Comment cela s'inscrit-il dans la stratégie de cloud mobile d'une entreprise ?
Je pense que le terme « backend mobile en mode service » (MBaaS) est un peu stupide. C'est vraiment un « backend as a service ». En fait, si vous avez fait quelque chose de spécifique au mobile, par définition, vous limitez vos possibilités. Le poste de travail ne va pas disparaître.
Le fait est que nous passons plus de temps sur le poste de travail traditionnel. Mais ce que nous y faisons est en fait beaucoup plus complexe et continue de consommer de plus en plus de bande passante, surtout pour l'audio et la vidéo. En parallèle, le taux d’adoption des smartphones et des tablettes croît à un rythme beaucoup plus exponentiel. Cela tient en partie au fait qu'il s'agit plutôt d'un modèle d'utilisation continue. Nous avons toujours nos téléphones avec nous, même lorsque nous sommes assis à notre bureau.
Le fait est que vous ne construisez pas un backend mobile en mode service, vous construisez un backend en mode service pour servir une série de services qui sont complètement agnostiques de l'écran ou du réseau auquel vous êtes connecté. Et c'est absolument essentiel.