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L’informatique durable relève d’une transformation globale des pratiques
Dans cette tribune, l’expert en efficacité énergétique Pierre Séroul défend l’idée que réduire le gaspillage, prolonger la durée de vie des équipements et mesurer avec précision leur impact environnemental sont autant de leviers véritablement efficaces pour limiter l’empreinte du numérique.
Le secteur numérique est aujourd’hui responsable de 3 à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et devrait croître de 50 % en France d’ici à 2030 selon l’ADEME. Outre les émissions, le numérique contribue à l’épuisement des ressources en métaux rares et à une consommation d’eau importante, notamment pour le refroidissement des datacenters.
Dans ce contexte, adopter une approche durable de l’informatique devient un impératif pour concilier innovation technologique et résolution environnementale. D’autant que cette approche – réduire l’impact des systèmes informatiques à chaque étape de leur cycle de vie – permet de réaliser des économies conséquentes.
La réglementation européenne et nationale pousse d’ailleurs les entreprises à adopter des pratiques responsables. Les lois AGEC, Climat et Résilience, ou encore les directives sur les déchets électroniques, imposent une meilleure gestion des équipements en fin de vie. Les entreprises sont de plus en plus sensibles à ces enjeux, encouragées par la hausse des prix de l’énergie, la pression des salariés, et l’avantage concurrentiel que confère une politique durable.
Faire durer les équipements plus longtemps, c’est possible
On l’ignore souvent, mais la fabrication des équipements informatiques représente plus de la moitié de leur empreinte environnementale, les terminaux des usagers (smartphones, ordinateurs, téléviseurs) concentrant une part importante de cet impact en France. Les nouveaux usages tels que l’intelligence artificielle, gourmands en calcul et en énergie, exacerbent encore ces problématiques. À cela s’ajoutent les déchets électroniques (DEEE) qui engendrent une pollution des sols, de l’air et de l’eau.
Prolonger la durée de vie des équipements, dont la fabrication a un impact écologique important, est essentiel. Cela implique de choisir au départ les modèles qui bénéficient d’une conception robuste et réparable, permettant de remplacer facilement les pièces défectueuses.
Il est aussi crucial de prévenir l’obsolescence logicielle. Les serveurs initialement déployés pour des tâches exigeantes (IA, calcul haute performance) pourront facilement être réutilisés pour des applications moins intensives, ce qui amortira d’autant plus leur coût d’achat. Plus généralement, prolonger la durée de vie des serveurs signifie maintenir plus longtemps leurs performances à un niveau satisfaisant. Cela est possible avec des solutions logicielles légères, de préférence open source, et compilées pour la bonne génération d’architecture. L’exemple typique est la prolongation de durée de vie d’anciens serveurs Windows en les passant sous Linux.
Mais aurait-on raison de garder une vieille machine au détriment d’une machine neuve, dont les publicités nous promettent qu’elle sera plus économe en énergie ? La fabrication de la machine neuve représente environ 60 % de son coût carbone. En France, où l’électricité est majoritairement nucléaire et peu polluante, l’impact carbone de la fabrication est plus important que les économies d’énergie réalisées. En revanche, dans des pays comme l’Allemagne ou la Pologne, où l’électricité est produite à partir de charbon, remplacer un appareil peut être plus avantageux pour réduire les émissions de CO₂.
Une analyse multicritère est une approche efficace pour évaluer l’opportunité de remplacer ou non un système. Elle prend en compte à la fois les coûts et l’impact environnemental sur toute la durée de vie des équipements. L’objectif est d’éviter les renouvellements précipités tout en maximisant l’utilisation des ressources disponibles.
Réduire le gaspillage avec des outils et des innovations
La chasse au gaspillage énergétique est un levier central pour réduire l’impact environnemental en même temps que les coûts. De nombreuses infrastructures informatiques sont surdimensionnées dans le but de gérer des pics de charge. Ceci entraîne une sous-utilisation et un gaspillage inutile des ressources. Saviez-vous qu’un serveur en veille consomme jusqu’à 60 % de son énergie maximale ?
Plusieurs mesures permettent de remédier à ce problème. Déplacer la charge de calcul vers les heures creuses et éteindre les machines inutilisées permet de mieux utiliser les ressources, tout en réduisant les besoins énergétiques pendant les heures de pointe. Paramétrer les systèmes pour éviter leur surchauffe permet également d’améliorer leur efficacité.
Pour une mise en œuvre efficace, des outils de mesure et de monitoring sont indispensables. Ils évaluent la consommation énergétique du datacenter et repèrent les optimisations possibles, du suivi précis des composants (GPU, CPU, etc.) au monitoring global du serveur.
De leur côté, les centres de données adoptent également des designs améliorés (allées chaudes/froides) et des technologies comme le free cooling, qui utilisent l’air extérieur pour réduire les besoins de climatisation. La moyenne annuelle de l’efficacité de l’utilisation de l’énergie (PUE) des centres de données dans le monde était d’ailleurs de 1.56 en 2024 contre 2.5 en 2007 (source Statista).
Les fabricants améliorent constamment le design des datacenters en intégrant des technologies vertes, économiquement viables, pour compenser la hausse des coûts énergétiques. Le supercalculateur européen JEDI – JUPITER illustre les avancées possibles grâce à l’innovation. Équipé d’un refroidissement liquide, il consomme moins d’énergie que ses équivalents refroidis par air, soit 72.7 GFlops/watt contre 68.8 GFlops/watt pour le supercalculateur Isambard-AI phase 1, selon le palmarès Green500 2024.
S’appuyer sur les normes pour guider l’action
Lorsque les équipements ne peuvent plus être réemployés ni réparés, leur recyclage doit devenir une priorité, une étape qui doit être anticipée dès l’achat. Avec seulement 22 % des DEEE correctement recyclés en 2022 dans le monde, il reste encore un énorme potentiel de progrès pour limiter la pollution générée par ces déchets. Dans cette perspective, la mesure de l’empreinte écologique des systèmes IT est essentielle pour guider les décisions.
Plusieurs outils et référentiels sont disponibles pour guider les diagnostics, tels que les normes ISO 14040 et 14044, qui permettent d’évaluer l’impact sur tout le cycle de vie d’un équipement ou d’un service. Autres options, la norme ITU L.1410, spécifique aux services numériques. Celle-ci fournit des cadres méthodologiques pour une analyse environnementale approfondie. Dans le cas de l’intelligence artificielle, la SPEC AFNOR 2314, publiée en 2024, définit des bonnes pratiques pour réduire l’impact des systèmes IA tout en garantissant des performances optimales.
Sensibiliser les utilisateurs à leur propre impact est une autre voie d’action. Des outils comme Nos Gestes Climat permettent déjà aux individus de mesurer leur empreinte carbone. À terme, ces approches pourraient être adaptées à l’échelle des entreprises, en impliquant développeurs et utilisateurs dans la réduction des impacts environnementaux des TIC.
Pierre Séroul est responsable Data & Energy Efficiency pour la division BDS d’Eviden, marque du groupe Atos. Ingénieur de données accompli, il concentre aujourd’hui son travail sur des solutions qui vont de l’IA aux Low Tech pour diminuer le gaspillage d’énergie dans l’informatique.