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Laurent Hausermann : un pilier de la cyber
Laurent Hausermann a fait de la création d’entreprise son credo. Il avance à son image : calme, droit, sur des bases solides. Avec ce petit grain de folie inhérent à tout entrepreneur.
L’homme, au téléphone, est calme, réservé, attentif, ouvert au dialogue. On sent ce grand brun, pour l’avoir souvent côtoyé dans des conférences cyber, solide sur ses bases, sans en faire des tonnes. Comment pourrait-il en être autrement quand on a été, se souvient-il en souriant, « pilier gauche » dans une équipe universitaire de l’École des Mines d’Alès ?
Le rugby cimente un esprit d’équipe, et – en principe – une solidarité dans les coups durs dont tous les élèves ingénieurs qui l’ont pratiqué se souviennent. « Au rugby, quand un copain subit un gros plaquage, il faut être derrière pour l’aider et conserver le ballon », explique calmement l’ancien pilier.
De là viennent quelques principes qu’il applique – et il n’est pas le seul – à la création d’entreprise, qui a très vite attiré Laurent Hausermann. Après trois ans chez EADS comme ingénieur logiciel à travailler sur les projets de réseau (TCP/IP) et de PKI, il rejoint Arkoon en 2004 comme CTO (Chief Technical Officer), où il restera 10 ans. Une expérience décisive, où il se frotte à la technique et ses contraintes, et décide de choix stratégiques. Il fait aussi à la rencontre de personnalités de la cyber, Pierre-Yves Hentzen et Thierry Rouquet, qui seront marquantes dans son parcours et sa manière de le mener.
« La volonté de résoudre des problèmes me parle »
« J’ai eu la volonté de créer une entreprise, parce que c’est la volonté de résoudre de vrais problèmes qui me parle », explique Laurent Hausermann. « Pour cela, il faut trois ingrédients : l’équipe, parce qu’entreprendre seul, pour moi, c’est impossible. La dimension technologique, parce qu’il faut comprendre en détail le fonctionnement des systèmes pour savoir les hacker, et donc les protéger. Enfin l’usage, parce que personne ne réussit comme entrepreneur si son produit ou son service ne répond pas à un besoin clair ». Il faut résoudre un problème « suffisamment important pour y dédier des budgets », complète-t-il.
Une évidence dont devraient s’inspirer plusieurs entrepreneurs et investisseurs de haut vol, susceptibles de se prendre pour Icare, qui se font berner par des miroirs aux alouettes, qui ont créé quelques bulles spéculatives dans la tech puis fait tomber de haut plusieurs milliers de salariés.
Cette volonté de résoudre des problèmes et d’innover, que l’on rencontre chez beaucoup d’ingénieurs créateurs d’entreprise, trouve aussi sa source dans quelques heures d’enfance avec un oncle bricoleur, qui passait son temps libre à rénover des voitures anciennes. Ému et amusé, Laurent Hausermann se rappelle avoir passé des heures, enfant, dans un garage familial, à côté de son père et de ce tonton bricolo, à l’observer démonter d’antiques et nobles guimbardes pour voir « comment ça marchait », notamment une Citroën Traction Avant dont il se souvient en souriant. De là lui vient sûrement le goût de chercher, de trouver des réponses à un problème pratique, un travers commun à tous les bricoleurs. Sans doute aussi le respect des choses belles et bien faites, des principes qu’il a appliqués à son parcours professionnel.
Car Laurent Hausermann n’est pas dans l’épate, l’esbroufe, le clinquant, mais plutôt dans la construction solide. Il avance pas à pas, sur de vraies bases techniques… et humaines.
C’est ainsi qu’en 2014 il cofonde, avec Thierry Rouquet, Sentryo, qui deviendra une des pépites de la cyber dans le domaine de la surveillance cyber des systèmes Scada. Une expérience là aussi fondatrice pour lui, qui l’amène à définir des choix produits et techniques et des solutions dans un des domaines de la cyber les plus critiques qui soient, celui des grands systèmes industriels. Sentryo est fondée 4 ans après Stuxnet. Les préoccupations associées se développent rapidement ; une époque rêvée et bénie pour développer, définir, choisir des solutions qui font date pour les grands opérateurs du marché. La LPM de 2013 et la définition des Opérateurs d’Importance Vitale (OIV) viennent à point nommé pour doper ce marché critique et en pleine croissance.
Sentryo devient une entreprise à haute valeur ajoutée, et attire évidemment les acquéreurs stratégiques : l’Américain Cisco le rachète en août 2019. Laurent Hausermann restera trois ans chez Cisco comme directeur technique sur les objets connectés, avant d’être repris par le démon de la création d’entreprise.
En 2023, il co-fonde, avec Aurélie Clerc, CyGO Entrepreneurs, un « studio » comme il le dit lui-même, de cybersécurité. CyGO Entrepreneurs tient de l’incubateur, du fonds d’investissement, de l’accompagnement de start-ups… un peu tout ça à la fois.
De telles structures existent en Israël, mais c’est une première en Europe. « La mission de CyGo entrepreneurs est de propulser les entrepreneurs européens afin de façonner un avenir plus sécurisé. En tant que premier studio de cybersécurité en Europe, nous mettons à profit notre vaste communauté et notre expertise pour catalyser le succès d’entreprises technologiques en démarrage agissant tantôt comme conseillers, tantôt comme cofondateurs engagés ».
Et de revendiquer une ambition qui « dépasse la simple participation au capital ; nous nous immergeons dans chaque projet, apportant notre connaissance approfondie des profits et du marché, notre réseau étendu et nos ressources commerciales », peut-on lire dans le document de présentation. « L’Europe peine encore à rivaliser avec les géants américains et israéliens. Notre dessein est de renverser cette tendance », professe encore le document.
« On crée une entreprise parce qu’on a envie de changer le monde et qu’on se croit assez fou pour réussir »
Lorsqu’on demande à Laurent Hausermann, bien au-delà de cette mentalité d’entrepreneur somme toute classique dans la tech, d’où vient cette volonté de créer, il esquisse un sourire. « Ma mère a dirigé un théâtre à Nancy, la Salle Poire. J’ai vu toutes les coulisses, les corps de métiers, les comédiens, l’orchestration que ça représente », explique-t-il. L’homme calme et posé s’anime alors : « j’ai fait du théâtre au lycée. Le personnage qui m’a le plus marqué, c’est celui d’Emile Magis dans “L’Œuf”, de Félicien Marceau. Un personnage fantastique, car il est à la fois acteur, mais aussi narrateur et commentateur de la pièce. À jouer, c’était difficile, mais très sympa, parce qu’on change de posture plusieurs fois », se souvient Laurent Hausermann.
Pour lui, « le théâtre, c’est une façon d’écouter son corps et sa tête, de lire ce que les autres proposent, et de réagir ». Alors « certes, on joue un texte, mais l’interprétation est essentielle. Un comédien fait quelque chose, à vous de le ressentir et de le dire, en accord avec votre personnage ».
Surtout, « on crée une entreprise parce qu’on a envie de changer le monde et qu’on se croit assez fou pour réussir », conclut-il. Tout comme on se met à jouer de la trompette à quarante-cinq ans « parce que j’ai toujours eu une grande admiration pour Miles Davis et maintenant Ibrahim Maalouf ou Eric Truffaz. Après la cession de Sentryo, j’avais un peu plus de temps. Et je progresse ! »
Vous avez dit grain de folie ?