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Intelligence artificielle générative : l’aube d’une nouvelle révolution industrielle

ChatGPT concrétise le potentiel de rupture majeure de l’intelligence artificielle. La question n’est plus de savoir si cette rupture va provoquer une quatrième révolution industrielle, mais quand – prévient le CEO de La Fabrique by CA.

On est habitué à voir arriver périodiquement des innovations appelées à changer le monde : objets connectés, métavers, blockchain ont été les stars successives des salons de l’innovation. Pourtant, force est de constater que les déceptions sont souvent à la hauteur des attentes.

C’est ce qu’on appelle d’ailleurs le cycle du hype. Lorsqu’une nouvelle technologie arrive, elle a tendance à créer des attentes très fortes dans un horizon de temps très court. Or il faut du temps pour qu’une technologie devienne mature et accessible, il faut du temps pour que l’écosystème s’adapte et intègre les promesses, et il faut du temps enfin pour que les consommateurs adoptent de nouveaux cas d’usage qui se substituent à leurs habitudes.

« Une technologie s’impose quand elle résout un problème. Mais avant qu’elle arrive, il y avait toujours une autre façon de résoudre ce problème. »
Laurent DarmonCEO de La Fabrique by CA

Car la nature a horreur du vide : une technologie s’impose quand elle résout un problème. Or, avant qu’une technologie n’arrive, il y avait toujours une façon de résoudre ce problème. Avant l’apparition de Google, on avait des bibliothèques, le Quid et des centres d’information. Même une invention comme la lampe à incandescence, en 1879, devra attendre trente ans pour arriver dans les foyers parisiens, le risque d’incendie (réel) n’aidant pas dans les premières années à s’imposer face à la lampe à huile.

Plus près de nous, un rapide rappel de l’histoire d’Internet illustre bien ces dynamiques.

Apparu au début des années 90, le web dut attendre ses premiers navigateurs (Mozaïc en 1993) et moteurs de recherche modernes (Lycos en 1995) pour qu’Internet se développe massivement : de 500 000 à 36 millions d’ordinateurs connectés en cinq ans. La France a fait de la résistance, car les ingénieurs télécom défendaient le système – souverain, mais fermé – du minitel, si en avance en son temps. Finalement, l’écosystème s’agrandit avec la multiplication des sites, ce qui aboutit à la bulle Internet qui explosa en 2001. La télévision fait de la résistance pour capter les minutes de cerveau disponible, le web n’est pas encore assez collaboratif pour tirer pleinement parti des effets de réseau et la capacité à faire payer ne viendra que plus tard.

Aujourd’hui, les promesses de l’époque se sont bien réalisées, mais il a fallu attendre l’essor du « mobile first » et l’ascension de l’économie du partage. En bref, sans écosystème adapté, point de salut à grande échelle.

L’IA sur le pic des attentes exagérées

Qu’est-ce qui change avec l’IA générative, popularisée par ChatGPT ?

L’Intelligence Artificielle existe depuis quelques dizaines d’années via l’apprentissage par renforcement dont le premier symbole médiatique fut la victoire de AlphaGo sur le champion du monde de Go. Ces algorithmes apprenants se sont perfectionnés grâce au Big data et les capacités de calcul démultipliées pour gérer le deep learning, bien plus performant.

L’IA générative est l’aboutissement de ce chemin pour générer du texte, mais aussi des médias (images, musique…), en réponse à une demande. Et cette demande peut être émise de façon simple comme une question : c’est l’agent conversationnel ChatGPT, sorti publiquement en décembre 2022.

C’est là qu’est la disruption d’usage qui change tout. Précédemment, l’IA pouvait être descriptive (identifier une tendance), puis prédictive (prédire) et enfin prescriptive (recommander une action). À chaque fois, la valeur disruptive augmentait, mais la complexité d’implémentation et surtout d’appropriation aussi.

« Avec l’IA générative, le potentiel augmente encore, mais cette fois la difficulté d’appropriation diminue. »
Laurent DarmonCEO de La Fabrique by CA

Avec l’IA générative, le potentiel augmente encore, mais cette fois la difficulté d’appropriation diminue. Chacun peut aisément l’utiliser et avoir un résultat immédiat : langage naturel, contextualisation intégrable dans les outils du quotidien, sont quelques clés de son succès. D’où un taux d’adoption sans nul autre pareil : 100 millions en deux mois contre 55 mois pour Spotify et 6 ans pour le World Wide Web.

Pour autant, l’IA générative ne devrait pas forcément échapper au cycle du hype. Cette courbe théorique décrit le cycle d’intérêt pour une technologie émergente qui, après le lancement (phase 1), génère des attentes exagérées (phase 2), avant de décevoir dans le gouffre des désillusions (phase 3), et de remonter la pente de l’illumination (phase 4), pour atteindre le plateau de productivité (phase 5).

Si son lancement est un grand succès, l’IA générative induit une attente à sa hauteur. En témoigne le nombre de startups qui se sont lancées sur ce secteur et des levées de fonds qui atteignent des montants contrastant avec la torpeur actuelle du private equity (d’un seed de 105 M€ pour le Français IA Mistral à une série C de 270 M$ pour le Canadien Cohere).

L’appât du gain pour investir dans le prochain GAFA guide l’investisseur en mal de concrétiser un « home run », mais aussi les industriels qui ont peur de rater un virage technologique à l’instar de Blockbuster, Toys’R Us ou encore Nokia.

Mais au regard des promesses (polyvalence et adaptabilité par construction) et de la maturité de la technologie (version 4 pour ChatGPT), il fait peu de doutes qu’elle s’imposera.

D’autant qu’outre l’IA générale (General AI) – sachant traiter des problèmes dans tous les domaines, mais avec des limites évidentes –, se développent, sur des technologies comparables, des IA étroites (Narrow AI) spécialisées sur des tâches précises avec un niveau d’efficacité bien meilleur. Les gains portent à la fois sur l’amélioration du service permettant d’augmenter les revenus, mais aussi, bien sûr, sur les charges via une amélioration de la productivité. L’IA générative suivra le cycle du hype, mais probablement plus rapidement que d’habitude.

Déjà le nombre d’utilisateurs de ChatGPT a diminué entre mai et juin 2023 (-10 %) après une croissance exponentielle lors des six premiers mois. Certains s’effraient aussi du coût de cette technologie (évalué à 630 k€ par jour pour les seuls coûts des infrastructures d’OpenAI). L’intégration de l’IA générative suscite surtout de grands débats sur l’éthique de la donnée, sur la souveraineté technologique et sur l’emploi.

De nombreuses questions en suspens

Il est indéniable que cette révolution pose un grand nombre de questions. Notamment la capacité des sociétés à s’adapter dans un univers concurrentiel.

Cela mettra à l’épreuve l’organisation des entreprises concernées. Cela interrogera aussi la capacité du politique et du marché de l’emploi à prendre en compte cette nouvelle donne, quand l’on sait que le temps de la technologie est naturellement plus rapide que celui du législatif et du monde éducatif.

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