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GAIA-X : pourquoi le politique soutient un projet privé
Bien qu’il soit privé, GAIA-X a été annoncé par deux ministres, français et allemand. Outscale, membre fondateur du projet, explique que les institutions publiques ont bien vu ce qu’elles avaient à y gagner en termes d’indépendance technologique.
Dans cet entretien en trois parties, Servane Augier, Directrice générale déléguée de 3DS OUTSCALE (membre fondateur de GAIA-X) explique dans les détails le projet de consortium pour un cloud européen et ses objectifs à moyen terme.
Dans la première partie, elle revenait sur l’offre concrète de GAIA-X (un référentiel centralisé de services IaaS et PaaS) avec une volonté de certification et d’interopérabilité pour pouvoir mélanger plusieurs briques de différents éditeurs. Dans la deuxième partie, la responsable soulignait l’importance de s’ouvrir aux concurrents américains et la volonté de créer un mouvement qui pourrait inspirer au-delà de l’Europe (à l’instar du RGPD). Dans cette troisième et dernière partie, Servane Augier reprécise le rôle du politique dans GAIA-X.
Le projet a fait l’objet d’une annonce commune de deux ministres (français et allemands), mais la fondation GAIA-X est bien une organisation qui regroupe des acteurs privés. Il n’en reste pas moins que les instances publiques ont tout à gagner à porter GAIA-X le plus haut possible. Voici pourquoi.
LeMagIT : Les pouvoirs publics se sont-ils engagés d’une manière ou d’une autre (budgets, promesse de marché) pour soutenir ce projet ?
Servane Augier : Il n’y aura pas de subventions publiques. Ce n’est pas le but. Il n’y a pas eu non plus de promesses de commandes publiques. Même si le nerf de la guerre, ce sont les commandes.
Ceci étant, la fondation GAIA-X va permettre d’organiser des consortiums entre acteurs européens pour mieux répondre aux appels d’offres, y compris ceux que la Communauté européenne va lancer pour sa transformation numérique. Et nous pourrons faire jouer plus clairement nos spécificités en termes de confiance et de sécurité de la donnée.
LeMagIT : GAIA-X est un projet privé. Pourquoi est-il porté par le politique ?
Servane Augier : Parce que le sujet de l’indépendance numérique est politique.
Servane AugierOutscale
Si l’on regarde prosaïquement le sujet du CLOUD Act, [avec un cloud américain] une entreprise européenne va avoir un souci pour protéger ses données, éviter l’espionnage industriel, et empêcher qu’elle ne soit victime de requêtes qui peuvent faire que ses données seront envoyées à une autorité américaine.
Donc, oui, c’est un intérêt privé de développer des offres souveraines.
Mais le politique, lui, voit aussi que quand il y a des crises majeures comme celle que nous traversons, nous n’avons pas, en Europe, les capacités de répondre à l’ensemble des besoins.
[Dans l’IT], nous dépendons des fournisseurs américains et chinois. Or on a bien vu, lorsqu’il y a eu des tensions entre les États-Unis et la Chine, que du jour au lendemain Huawei n’avait plus accès à Android. Imaginez si du jour au lendemain la France et l’Europe n’avaient plus accès à Office 365. Ça, c’est un enjeu politique, qui plus est dans un contexte géopolitique instable comme aujourd’hui.
LeMagIT : Les politiques commenceraient donc à bien saisir l’importance de la souveraineté numérique et le problème que pose la dépendance IT de l’Europe vis-à-vis des États-Unis ?
Servane Augier : Oui. Exactement. En France c’était aussi le cas avec le comité stratégique de filière – poussé par Bruno Le Maire – dans lequel nous travaillons déjà sur l’autonomie numérique.
LeMagIT : Certes, mais un portail sera-t-il suffisant alors que beaucoup d’acheteurs IT – y compris pour des projets comme le Health Data Hub – considèrent l’extra-territorialité du droit américain et la dépendance technologique comme des sujets mineurs ?
Servane Augier : Il va aider. Il va mettre en lumière ce qui existe en Europe – qui est très morcelé, mais aussi très fourni. Dans le cadre du Comité Stratégique de Filière nous avons fait une cartographie. Et ce que l’on voit bien, c’est qu’il y a beaucoup de sociétés IT en [Europe et en France]. D’ailleurs c’est ce qui explique que nous sommes les champions des startups rachetées.
Servane AugierOutscale
Le problème, c’est vraiment de leur donner de la visibilité. Et un endroit où elles peuvent s’agglomérer les unes avec les autres.
Moi, j’entends surtout des gros clients dire « oui, mais vous n’avez pas ci, ou vous vous n’avez pas ça ». Le plus courant, évidemment, c’est « vous n’avez pas Office 365 ». Certes, il n’y a pas d’offre européenne équivalente, mais il y a des briques de tout. Ce qui est vrai en revanche, c’est qu’il faut quand même faire prendre une mayonnaise [entre ces briques] pour redonner la facilité d’usage qu’apportent des offres comme Office 365.
Je suis d’accord. Il faut travailler sur les habitudes d’achat. Il faut se battre au quotidien pour faire évoluer les mentalités (pour que la donnée soit véritablement perçue comme un patrimoine et traitée comme telle). Il faut faire prendre conscience de la portée du CLOUD Act. Mais il faut aussi travailler sur l’offre. Au-delà du seul portail, c’est le but de GAIA-X.
GAIA-X, entretien en trois parties :
- GAIA-X : le SeLoger.com du cloud européen
- GAIA-X : les Américains participent aux groupes de travail
- GAIA-X : pourquoi le politique soutient un projet privé