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Frugal et IoT : deux mots qui vont très bien ensemble
Gabriel Raymondjean, directeur de Talan Opérations, estime que les projets IoT sont souvent trop chers, trop complexes aussi. Une approche frugale permettrait, elle, d’en tirer de la valeur rapidement, à condition de bien se préparer.
Un vent porteur souffle sur les projets d’IoT, en particulier pour la ville, le bâtiment, l’énergie et la mobilité. Le temps des expérimentations et autres cas d’usage, semble enfin céder la place à des projets « en chair et en os ».
Quelques exemples :
- Mobilité augmentée avec une meilleure gestion de nos objets mobiles urbains (trottinettes, vélos, scooters et voitures électriques) ;
- Gares et aéroports connectés pour améliorer la fluidité des flux de passagers se déplaçant dans la gare et améliorer les parcours des voyageurs, même en dehors de l’espace de la gare (accès simplifié taxis, Uber, etc.) ;
- La gestion de l’énergie (électricité, eau et gaz), nativement précurseur dans le domaine, trouve un second souffle avec des offres d’optimisation à destination des particuliers permettant de capter toutes les informations des objets connectés se trouvant dans un domicile.
Un frémissement était déjà perceptible fin 2019. Mais surtout, la période de confinement, dont on sait qu’elle a fait progresser les mentalités sur le numérique et le télétravail, aura probablement produit un effet déclencheur pour l’adoption de systèmes de pilotage à distance. Et c’est tant mieux.
Mais soyons lucides. Si l’essor de l’IoT est annoncé depuis plus de six ans, les réalisations concrètes restent modestes à ce jour (exception faite des objets connectés et des applications internes aux sites industriels). Deux freins principaux sont à mentionner.
Premier frein pour les projets IoT : le poids des investissements
En effet, un projet d’IoT est d’abord un projet coûteux d’infrastructure et d’installation d’équipements. Il requiert du gros œuvre, de nombreux intermédiaires et une logistique à coordonner pour l’approvisionnement, l’installation, puis la maintenance et l’évolution des capteurs. Ces objets connectés, de même que les plateformes numériques qui les supervisent, et l’exploitation des données, ne représentent qu’une part marginale du coût total d’un projet.
Pire, la valeur générée peine souvent à se convertir en monnaie sonnante et trébuchante. Les premiers bénéfices s’expriment d’abord en mieux-être pour la collectivité, ou aboutissent à une optimisation générale de ressources, qui profite à tout un chacun, mais n’a pas de retour sur investissement attrayant. Par exemple, la pose de nouveaux capteurs dans les candélabres afin d’optimiser la consommation d’énergie ou la sûreté de nos voies, mais aussi dans le but de mettre la donnée récoltée à disposition des collectivités locales sans autres services aux particuliers, démontre bien la peine à dégager des usages plus larges et bénéfiques pour les installateurs.
Second frein : la complexité
On sait tout d’abord que la combinaison multicouche entre BTP, électronique, informatique et réseaux, indispensable à tout projet d’IoT, n’a rien de simple. Le déploiement de Linky est à cet égard un modèle de réussite, qui ne doit pas faire oublier cependant les difficultés des premiers temps pour maîtriser la chaîne complète d’information.
Le foisonnement des options technologiques est un deuxième facteur de complexité, qui joue à la fois sur le choix du type de capteur d’information, la prise en compte des risques d’obsolescence, et le choix des fournisseurs, le tout amplifié par un déficit de standardisation.
Trois autres facteurs de complexité, et non des moindres, sont encore à prendre en compte :
- La coordination des acteurs publics et privés impliqués sur des projets s’étalant sur plusieurs années.
- L’enjeu de sécurité qui se pose, quant à lui, à tous les niveaux de la chaîne de capture et de traitement de l’information.
- L’accompagnement au changement nécessaire lors de déploiements IoT dans les espaces en lien avec le public, compte tenu des éventuelles réticences sociétales actuelles.
Bien sûr, face à ces freins, une gouvernance efficiente, des choix techniques avisés et une maîtrise solide de la conduite de projets sont indispensables. Mais d’après nous, c’est en adoptant une approche frugale qu’il devient possible de faire sortir les projets des cartons et de les réaliser avec succès.
Qu’est-ce que la frugalité ?
Dit simplement, une approche frugale consiste à trouver des solutions créatives pour « faire plus avec moins », et souvent, de rendre possibles des projets qui, traités de manière ordinaire, seraient écartés, car trop coûteux. Une approche frugale repose sur le carré : valeur, coûts, créativité, itérations.
Dans le cas de l’IoT, la frugalité peut se décliner a minima selon 5 axes.
- Répondre au véritable besoin qui génère de la valeur, ou sinon, renoncer ;
- Atteindre un résultat au plus vite, car il y a un bénéfice induit ;
- Faire fond sur l’existant et accepter les compromis ;
- Optimiser le couple acquisition-traitement de l’information ;
- Guider les choix techniques selon la valeur plutôt que la performance.
Les axes de la frugalité
1 - Point cardinal de toute approche frugale, la déconstruction du besoin a pour objectif de clarifier la nature de la valeur attendue et les leviers qui vont permettre de l’obtenir. Cette boussole est essentielle pour l’IoT, car rien n’est vraiment aussi simple qu’il y paraît. La multiplicité des réponses possibles a vite fait de détourner des objectifs initiaux et de compliquer les choses. L’utilisation des caméras, des capteurs des escalators, ou des ascenseurs, le tracking des téléphones portables, sont autant de solutions envisageables pour aborder la gestion des files d’attente des taxis et la gestion des flux de personnes dans et autour des gares.
2 - La capacité à itérer rapidement, et améliorer la réponse de manière incrémentale est aussi un point essentiel. Si par exemple, pour optimiser des flux de personnes, il est nécessaire de compter le nombre de présents dans une pièce, alors il peut être judicieux dans un premier temps de mettre en place des tapis connectés au lieu d’exploiter des données vidéo. Leur mise en place, très rapide, fournira une information simple à exploiter qui permettra de tester les algorithmes de gestion de flux en situation. Le traitement de données vidéo, plus complexe à mettre en œuvre, et soumis à des contraintes réglementaires, pourra intervenir dans un second temps, seulement si nécessaire.
Là encore, les obstacles à l’obtention d’une réponse satisfaisante, parce que nombreux et imprévisibles, privilégient une approche par essai/échec, et une modération des dépenses engagées à chaque étape.
3 - Exploiter l’existant et accepter le compromis. Même si nous n’en sommes qu’aux balbutiements de l’IoT, le terrain est déjà occupé. De nombreux capteurs et réseaux sont déjà en place un peu partout, qu’il s’agisse de caméras, de sondes thermiques dans les réseaux de traitement d’air, de capteurs de position ou de vitesse sur des ascenseurs… autant de données disponibles, fiables, et souvent gratuites. Si bien qu’avant toute phase de design, il est judicieux de s’interroger sur l’existant et de faire preuve de créativité pour exploiter au mieux celui-ci. Avoir déconstruit le besoin, comme indiqué plus haut, sera une aide précieuse pour valider les solutions créatives.
4 - Choisir ses priorités entre capteurs et traitement. Si l’IoT est une chaîne acquisition/traitement/décision, la valeur de celle-ci sera contrainte par le plus faible de ses constituants. Si chaque maillon bénéficie de progrès technologiques ininterrompus, tous n’avancent pas à la même vitesse et les coûts de changement ne sont pas les mêmes. La recherche du meilleur compromis doit se faire en considérant à la fois le court et le moyen terme, dans un esprit ouvert par rapport aux innovations à venir, mais qui sont encore inconnues. Il semble raisonnable d’investir de préférence dans les moyens de traitement de l’information, car ils peuvent compenser les carences d’une donnée de qualité moyenne, et s’avèrent moins onéreux que les capteurs. Cependant, il n’existe pas de règle absolue et certains progrès « par saut qualitatif » peuvent justifier une refonte de toute la chaîne.
5 - Toujours dans le registre des coûts, plusieurs paramètres techniques ont une influence non négligeable, aussi bien sur les coûts d’investissements que sur les coûts d’exploitation.
La quantité de données pour commencer. C’est un levier important aussi bien pour estimer les puissances (donc les coûts) de traitements des capteurs et de calcul décisionnel, ainsi que les coûts de réseau et de stockage nécessaires. En règle générale, on dispose souvent de trop de données qu’on n’exploite pas assez.
Le choix de la standardisation (plateformes de traitement, protocoles de communication…), plutôt que les solutions spécifiques, a une incidence a priori favorable sur les coûts et joue en faveur de la rapidité d’itération mentionnée plus haut.
Enfin, la consommation d’énergie est à prendre en compte elle aussi, même si son effet est le plus souvent dû à un ordre de grandeur inférieur comparé aux autres paramètres.
Conclusion
Alors que la crise qui débute nous incite à réduire les coûts, la prise en compte de ces dimensions dans le cadre d’une approche frugale doit permettre aux entreprises et collectivités de trouver un chemin de réalisation pour leurs projets. Un chemin qui délivre la valeur attendue, à un coût maîtrisé et qui jette les bases de la transformation numérique et de la transition écologique.
À propos de l’auteur
Polytechnicien et ingénieur des Mines, Gabriel Raymondjean a un parcours professionnel qui se répartit entre la France et la Chine, chez Bossard, dans le groupe Carrefour, puis chez Roland Berger, conseil en stratégie, où il intervient sur les sujets IT&Opérations dans les secteurs de l’énergie et des utilités, des services financiers et de l’automobile.
Il rejoint Talan en 2015, pour prendre en charge les filières Énergies, Utilities et Services publics. Les interventions clés de Talan dans ce secteur concernent le smart metering, la maîtrise des données de distribution et la gestion des réseaux.
Gabriel Raymondjean dirige aujourd’hui la Business Unit Talan Opérations.