«En France, Oracle n'a pas l'image qu’il devrait avoir», Gérald Karsenti (nouveau DG Oracle France)
EXCLUSIF. Le nouveau Directeur Général de la filiale française d’Oracle a choisi LeMagIT pour donner sa première interview, lors de l’Open World 2017. Il y explique la manière dont il veut redorer l’image d’Oracle dans le pays et favoriser l’écoute de ses clients.
Il revient également sur les raisons de son départ de HPE et sur son arrivée chez Oracle. Des points plus personnels qui donnent un éclairage original, de l’intérieur, sur l’évolution de deux géants de l’IT aux trajectoires diamétralement opposées - HPE qui se recentre à l’extrême sur le Hardware quand Oracle s’en éloigne pour se diversifier dans le Cloud et renforcer son applicatif métier.
LeMagIT : Après avoir été six ans PDG de HPE France et patron des ventes EMEA, qu'est-ce qui vous a poussé à accepter ce poste de Country Manager chez Oracle ?
Gérald KARSENTI : Manager un pays m'a toujours intéressé. J'aime le contact avec les clients et les équipes. C'est une position où l'on peut vraiment faire avancer les choses et faire la différence. Surtout quand la filiale est de bonne taille. Le potentiel d’Oracle en France est énorme. Tout le monde en interne en a conscience et le management pense qu’il faut investir en France. Ce n’est pas le cas chez tous les groupes informatiques américains, mais l’analyse qui est faite chez Oracle.
Par ailleurs, j’ai plutôt carte blanche... Cela ne signifie pas « faire n'importe quoi » mais qu'on me fait confiance pour transformer l’entreprise localement. C’est ce qu’il me faut pour faire de la France le pays flamboyant qu’il doit être au sein d'Oracle.
Et la vision d’Oracle est limpide. Nous voulons proposer des solutions de bout en bout avec une volonté affirmée de devenir LE numéro 1 du Cloud. Et ça c'est un chantier qui me plaît parce que c’est un tournant important. En même temps, le travail est simplifiée par l’existence d’une offre Paas, Saas et Iaas sans pareille avec la Cloud Machine (NDR : Cloud@ Customer) qui est unique sur le marché. Songez, cela nous permet de dire à un client qui souhaite garder certaines données confidentielles de les mettre sur une « Cloud Machine » que l’on positionne chez lui mais que l’on opère comme un Cloud. Il ne s’occupe de rien, nous nous chargeons de tout et il ne paie que ce qu’il utilise. Larry Ellison (NDR : CTO et fondateur d’Oracle) s’est fixé l’objectif de devenir l’acteur de référence dans le domaine du Cloud et il s’en donne les moyens. Quand vous voyez ce qu’il a fait avant dans les bases de données, qui continue d’évoluer du reste avec « l’autonomous database », puis dans l’applicatif, on peut se dire que ce sont là de belles références. C’est aussi pour cela que j’ai voulu rejoindre Oracle. Avoir une vision ne suffit pas ou plus, il faut s’en donner les moyens. C’est une période passionnante pour Oracle et j’arrive avec beaucoup de motivation.
LeMagIT : On vous sent très volontaire
Gérald KARSENTI : Parce que j'ai 30 ans dans ma tête. Je pense que l'on ne peut rien faire sans avoir la passion pour ce que l’on fait. Certains me décrivent comme un manager humaniste. Je suis en fait un manager qui aime réussir mais avec les femmes et les hommes qui m’entourent. C’est cela même qui me plait. On passe des heures au travail. Alors autant réussir dans le fun, avec énergie et beaucoup de passion !
LeMagIT : Quelles autres propositions avez-vous après votre départ de HPE ?
Gérald KARSENTI : J'ai reçu, comme beaucoup dans ces moment-là, plusieurs propositions mais j’ai très vite choisi celle d’Oracle. C'est une très belle entreprise avec une stratégie bien partagée. Tout le monde chez Oracle m'a dit la même chose sur le projet et sur la vision du groupe. C’est rassurant. Cela parait évident mais cela n’a pas été le cas partout !
LeMagIT : Quels sont les principaux défis que vous avez identifiés en arrivant chez Oracle France ?
Gérald KARSENTI : Je trouve qu’en France, Oracle n'a pas l'image qu’il devrait avoir. Notre portefeuille d’offres est tout fait excellent et les clients me le disent du reste. Je veux construire une nouvelle société en France, très réactive, agile, à l’écoute des clients, ouverte à la discussion, humble … tout un programme me direz-vous, mais c’est le projet partagé par toute l’équipe de direction et nous allons aller vite car il me semble que bons nombres de nos clients se réjouiront de ce changement..
LeMagIT : Ce n’est pas le cas aujourd’hui ? Oracle n’écoute pas ses clients ?
Gérald KARSENTI : Si bien sûr ! Mais, bien souvent pris par le temps on brûle les étapes. Moi je n’ai pas cette habitude. Une bonne relation, il faut des années pour la construire, mais deux secondes pour la détruire. Donc je veux que l’on ouvre encore plus nos portes pour que les clients se sentent en totale confiance avec nous. Ils peuvent car c’est ce que je vais instaurer dès à présent … un dialogue basé sur une véritable transparence. Cela n’évitera pas 100% des désaccords - qui n’en a pas ? - mais nous allons travailler à livres ouverts.
Un bon contrat c’est quand le fournisseur trouve un intérêt et que le client y trouve son compte. Les deals doivent au final être gagnant-gagnant. On ne peut pas faire d'affaires sur le long terme si on ne fait pas cela.
Sur ce point, à l’OpenWorld 2017, nous avons pris des engagements très importants en termes de compétitivité et de coûts de nos offres Cloud. Comme Oracle est important pour nos clients en terme de poids économiques, ils ont un intérêt clair à basculer leurs workloads - particulièrement ceux Oracle - sur notre Cloud. Mais pour les accompagner, nous avons certainement un changement culturel à faire dans l'approche du marché. Pour que ces accords se fassent différemment, mieux et plus vite.
LeMagIT : Comment expliquez-vous de déficit d'image ?
Gérald KARSENTI : Il ne s’agit pas à proprement parler d’un déficit d’images mais d’une image à modifier. L’Oracle que je rejoins aujourd’hui n’a rien à voir avec l’Oracle d’il y a même 18 mois. Et croyez-moi Oracle demain sera encore très différent. Comptez sur moi pour faire ce que je dis. Je pense l’avoir toujours fait. Pour cela il me faut les moyens d’agir sur l’ensemble de l’organisation et c’est le cas, donc je suis plutôt très serein.
LeMagIT : Qu'allez-vous faire concrètement pour faire évoluer les choses ?
Gérald KARSENTI : La première chose que j'ai faite depuis que je suis là - c'est à dire il y a 3 semaines- c'est de souder une équipe derrière cette stratégie. C’était très important parce que je ne vais pas faire tout cela seul.
Au passage, j’ai été incroyablement bien accueilli. J'ai découvert des équipes bien attentionnées, fières d'être des Oracliens et d'une très grande humilité. Cela me correspond parfaitement … avec ce potentiel humain on ne peut que réussir.
LeMagIT : Première étape donc, vous vous êtes entouré. Quelle est la suivante ?
Gérald KARSENTI : Aujourd'hui, je veux créer une forte motivation et donner du sens à notre engagement. Je veux que chacun se dise en se levant : « je vais travailler pour Oracle, pour mon manager direct et je sais pourquoi ; c'est pour changer les choses, pour apporter de la valeur aux clients, parce que je suis solidaire de l’action du management France d’Oracle ». Ce qui nous réunit doit dépasser l’intérêt individuel et partisan. Cela se situe au niveau d’un collectif qui œuvre pour une cause plus grande que soi, mais sans perdre de vue l’importance de la performance individuelle malgré tout. Nous sommes d’abord une filiale commerciale !
LeMagIT : Comment allez-vous faire d’un point de vue opérationnel ?
Gérald KARSENTI : J'ai déjà lancé un plan qui va regrouper plusieurs programmes. Ces programmes vont du bien-être au travail, à la gestion des diversités et des compétences, en passant par la montée en valeur (où le Cloud sera central) … le « One Oracle » sera déterminant à cet égard.
LeMagIT : Le « One Oracle » ?
Gérald KARSENTI : Le « One Oracle », c'est s'assurer qu'il y a une unité réelle entre les Business Units d’Oracle France et que l'on n'arrive pas en ordre dispersé chez les clients.
Je vais aussi beaucoup miser sur la formation interne pour accompagner notre transition accélérée vers le Cloud. Et en externe nous allons faire des partenariats avec des écoles et universités.
Le capital humain est le cœur de ma stratégie. Cela l’a toujours été, partout où je suis passé et cela m’a toujours très bien réussi. C’est avec des hommes qu’on change la donne.
Tout cela va être abrité sous l'ombrelle d'un programme global que j'ai déjà commencé à communiquer à tout Oracle France. Et mi-octobre, nous définirons les actions concrètes qui en découlent. Cela va aller au pas cadencé.
LeMagIT : On dirait que vous voulez aller très vite, pourquoi ?
Gérald KARSENTI : Dans le Cloud, la compétition est acharnée. La vitesse est un critère de succès. Nous sommes indiscutablement dans une course contre la montre. Le marché va très, très vite. Tout le monde veut prendre sa part. Chez Oracle, nous avons des atouts considérables, dont le fait d'avoir une base installée énorme. Mais il faut aller vite pour faire jouer cet avantage compétitif qui vient de notre technologie et de nos services. Il faut rapidement aller au contact des clients et faire du sur-mesure.
LeMagIT : Vous allez demander à vos commerciaux d'aller revoir les clients français un par un dans cette optique d'écoute et de migration Cloud ?
Gérald KARSENTI : Bien sûr. Et la plupart des clients c'est aussi moi qui vais aller les voir, pour comprendre leurs besoins. Je souhaite que nos clients aient le sentiment d'avoir une Oracle en face d'eux avec qui ils peuvent dialoguer. Qu'ils sachent que tout est possible.
LeMagIT : Quelle échéance vous donnez vous ?
Gérald KARSENTI : Ce que j'ai en tête c'est de rencontrer tous les clients d'ici 6 mois. Et que d'ici un an, ils voient vraiment la différence. Personnellement, j'aimerais que ce soit fait en 3 mois mais je sais aussi que les choses se font pas à pas. Il ne faut pas griller les étapes.
Je le répète mais on a vraiment une offre incroyable, ultra diversifiée, pour tous les métiers. Nos solutions métiers sont éprouvées. On investit massivement en ce sens. Mon rôle c'est de le faire savoir. Je veux qu'on fasse savoir qui nous sommes, ce que nous voulons faire et comment.
LeMagIT : Quel est le poids aujourd'hui de la France chez Oracle ?
Gérald KARSENTI : On ne donne pas de chiffres précis mais nous sommes le 3ème pays en Europe et le 5ème mondial.
D'un point de vue plus personnel, comment avez-vous vécu le départ de HPE après 10 ans, dont 6 comme PDG France ?
Gérald KARSENTI : J'ai reçu beaucoup de mails … plus de 2500 en fait ! J’en suis très fier. J'ai adoré mes années chez HP puis chez HPE. La période 2011 à 2017 (NDR : années où Gérald Karsenti a été PDG) restera un souvenir inoubliable pour moi. Avec mon équipe, nous avons vécu des moments incroyables. Cela a été un déchirement sur le plan humain, parce que j'ai quitté des personnes que j'aime. Très difficile, vraiment. Mais en même temps je sentais qu'au bout de 10 ans, après toutes les transformations opérées au niveau mondial (NDR : de HP à HP Inc. et HPE, puis la vente des services de HPE et enfin celle des logiciels), il restait un scope qui ne me convenait plus tout à fait. Je suis un homme de logiciels et de services avant toute chose.
Cette entreprise restera dans mon cœur jusqu’à la fin de ma vie, j’y ai rencontré tellement de gens formidables, comme chez IBM ou Capgemini du reste. Mais présider deux sociétés comme HP puis HPE créé un lien particulier
LeMagIT : Pas de regret de ne plus avoir une fonction plus EMEA ?
Gérald KARSENTI : Non absolument pas. Comme je le disais, rien ne me plait davantage que d’être au contact de clients et de mes équipes … tout le temps. Et être l’un des acteurs pour la construire d’une nouvelle Oracle en France, c’est plutôt passionnant !
Propos recueillis à San Francisco le 5 octobre 2017 et relus par Gérald Karsenti