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ERP : « La crise accélère la tendance vers le cloud », Franck Cohen (Workday)
Un des visages les plus connus de SAP est désormais conseiller spécial pour Workday. Dans la deuxième partie de son analyse du secteur, il revient sur la pertinence de HANA, qu’il connait sur le bout des doigts, et sur le nouvel équilibre des forces entre ERP qui penche en faveur du SaaS.
Franck Cohen, une des figures les plus emblématiques de SAP en Europe depuis 10 ans, avait pris un début de retraite. Mais l’appel de l’ERP et de son ami Chano Fernandez – co-PDG de Workday – aura été le plus fort. Franck Cohen a replongé. L’occasion pour nous – et pour tous les DSI – de profiter de son analyse à la fois pointue et synthétique sur le secteur.
Dans la première partie de cet échange exclusif avec LeMagIT, il revenait sur les raisons profondes qui font que les éditeurs historiques, dont SAP, peuvent avoir du mal se « cloudifer ».
Dans cette deuxième partie, Franck Cohen déchiffre la stratégie qui a mené SAP à faire HANA, l’évolution du marché de l’ERP pour les très gros groupes, et pourquoi Workday a réussi à percer dans une tendance très favorable à l’ERP cloud.
SAP HANA : une réussite technique, mais une opportunité pour la concurrence
LeMagIT : Mais SAP a voulu faire « table rase » avec HANA ? Est-ce un échec dans la réinvention de fond en comble de SAP ?
Franck Cohen : Non. D’abord, je pense que techniquement HANA est une très belle réussite. Il faut dire les choses comme elles sont. C’est une superbe base de données, en mémoire, en colonne, avec beaucoup d’innovations et de brevets déposés. HANA challenge le statu quo et la main mise d’Oracle dans le domaine.
C’était l’idée d’ailleurs. Pour moi, HANA est la première base de données qui dérange un peu tout cela. Elle met un coup de pied dans la fourmilière.
Franck CohenWorkday
Le point fondamental à comprendre sur HANA, et c’est pour ça que tout a été réécrit et à juste titre, c’est que tous les systèmes ERP existants ont été développés en ayant en tête les limitations des bases relationnelles. Comme on ne peut pas faire des querys dans tous les sens sur des millions de données, il fallait créer des agrégats intermédiaires – et à tous les niveaux – au cas où une personne pose la question du chiffre d’affaires par pays, par catégorie de produits, etc. Il fallait qu’il y ait déjà cette donnée-là quelque part.
Tous les systèmes se sont donc gorgés d’index et d’agrégats pour pallier au problème des temps de réponse sur de gros volumes d’informations.
D’où l’idée d’une base qui permette d’avoir une réponse instantanée, quel que soit le volume de données, sans avoir besoin d’agrégats. Avec HANA et S/4HANA, vous attaquez directement les données.
L’idée, cohérente également, était aussi de passer d’une vision agnostique à une vision plus propriétaire. Aujourd’hui SAP propose sa propre base de données, et rien d’autre.
LeMagIT : Oui, mais c’est justement ce que soulignent ses concurrents qui voient HANA comme une opportunité… : « tant qu’à faire une migration (et pas un update) autant regarder ce qui existe sur le marché pour changer », disent-ils. Maintenant que vous travaillez avec Workday, voyez-vous les choses de la même manière ?
Franck Cohen : C’est une réflexion qui me paraît légitime.
Je pense vraiment que S/4HANA apporte des avantages pour les clients SAP en termes de performances. Il n’y a aucun doute. Le code est aussi plus ramassé. Il est plus simple à gérer, plus facile à adapter. Il y a des avantages indéniables.
Il n’en reste pas moins que quand on parle d’une migration technique, cela donne effectivement la possibilité à l’entreprise de regarder d’autres solutions. Et c’est très bien ! Il me semble que c’est toujours une bonne chose d’être confronté à la compétition. Un monopole – ou une migration forcée – n’est jamais bon.
L’avantage aujourd’hui quand on a SAP et qu’on se pose la question de S/4, c’est que l’on a la chance de pouvoir aussi regarder Oracle et Workday, qui sont les deux autres options viables pour les grandes entreprises. C’est bon pour tout le monde.
Workday, seul dans la cour de SAP et Oracle
LeMagIT : Vous dites « les » deux alternatives, et pas « deux alternatives ». Pour vous il n’y en a pas d’autres (Infor ou Microsoft Dynamics par exemple) ?
Franck Cohen : De mon vécu, pour le Tier 1 et le Fortune 500, il est très rare de voir autre chose que SAP, Oracle ou aujourd’hui Workday. Objectivement, il n’y a personne d’autre. Microsoft Dynamics est plus pour les filiales des grands groupes ou les plus petites entreprises. D’ailleurs, jusqu’à très récemment, Microsoft lui-même utilisait SAP.
Franck CohenWorkday
Franck Cohen : Attention, je ne dis pas qu’Infor, Microsoft et tout un tas d’autres ERP ne sont pas viables. Ils le sont parfaitement, mais pour des PME/PMI/ETI jusqu’à 1 ou 2 milliards de chiffre d’affaires. Quand on fait 15 ou 20 milliards, elles ne sont plus adaptées. D’abord, elles n’ont pas suffisamment de couverture fonctionnelle et technique. Et puis elles ont des limitations qui viennent de leur passé : elles viennent des petites entreprises. SAP, Workday et Oracle, eux, viennent des grandes entreprises.
D’ailleurs aujourd’hui on trouve beaucoup de Workday dans les Fortunes 100, pour la gestion des RH et maintenant pour la partie financière. Donc pour moi, oui, il y a vraiment trois acteurs principaux pour les Fortune 500, même s’il peut y avoir des exceptions en fonction des industries et des géographies.
LeMagIT : Qu’est-ce qui fait, d’après vous, que Workday réussit à percer face aux deux autres « gros » ?
Franck Cohen : Workday a un avantage dans cette bataille. Même s’il est le plus petit des trois, c’est la solution la plus moderne techniquement. C’est la seule qui a été bâtie dès le départ pour le cloud.
Franck CohenWorkday
Au cœur de Workday, par exemple, vous avez un outil qui n’est pas très connu et pas très « vendeur », mais qui très intéressant et symbolique de cela. C’est un outil de configuration qui s’appelle « Workday Business Process Framework » [N.D.R. : WBPF]. [WBPF] permet de modifier les process en temps réel. Vous pouvez changer les paramètres, rajouter des tests, des règles, etc. Dans cette phase de crise, cela a permis à des entreprises qui ont dû fermer des usines de développer de nouveaux workflows, ou de changer leur processus de décision quasiment en instantané. Et sans avoir à garder un centre de données ouvertes.
Avec SAP ou Oracle, dont la majorité des clients utilise un ERP « on prem » (sur site), il fallait garder les bureaux ouverts, parce que pour clôturer les comptes il fallait dans certains cas être physiquement autour de la machine. Cela fonctionne comme cela. Et par ailleurs, la plupart des changements de workflow nécessitaient du développement ou du paramétrage très pointu qui n’est pas à la portée de l’utilisateur. Pour moi, WBPF montre une vraie différence en termes d’agilité.
Je pense franchement que la dernière crise va accélérer la tendance vers le cloud. Ce qui est un atout majeur pour Workday.
LeMagIT : Dans votre vision Workday a vraiment une longueur d’avance sur S/4HANA en mode cloud ou Oracle Fusion ?
Franck Cohen : Disons que c’est inhérent à la manière dont ils ont bâti leur stack.
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