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Conformité : comment naviguer vers la nouvelle ère de l’IA ?

Ancien commandant du Centre d’excellence Cyber de l’Armée de l’Air et de l’Espace, Sébastien Vinçon livre ses réflexions sur la manière dont les entreprises et les DSI doivent se préparer aux contraintes réglementaires, de sécurité et sociétales que l’intelligence artificielle apporte avec elle.

L’intelligence artificielle (IA) s’immisce de plus en plus dans le paysage entrepreneurial, portant en elle le double visage de l’opportunité et du défi. Alors que les entreprises poursuivent leur quête d’efficience, d’innovation et de compétitivité, l’IA se pose comme un outil transformationnel, avec le potentiel de redéfinir des secteurs entiers par ses capacités d’analyse prédictive, d’automatisation et de personnalisation en quasi-temps réel.

La dichotomie de l’IA

En voie pour devenir le nouveau moteur de la croissance, capable d’analyser de grandes quantités de données pour en extraire des tendances, des prévisions, l’IA catapultera ainsi les processus décisionnels dans une ère nouvelle où rapidité et précision seront reines.

Pourtant, cette vague technologique ne déferle pas sans soulever dans son sillage des interrogations de taille : comment les entreprises peuvent-elles s’assurer que l’utilisation de l’IA est conforme aux réglementations en constante évolution ? Et comment garantir que les informations demeurent sécurisées en présence de ces systèmes complexes ?

« Cette dichotomie entre les avantages concurrentiels et les exigences de conformité et de sécurité sera l’enjeu majeur de la prochaine décennie. »
Sébastien VinçonPrincipal, Magellan Sécurité

Les défis de la conformité et de la sécurité sont devenus des thèmes dominants de l’ère digitale, et avec l’IA, ils prennent une dimension plus complexe encore.

La réglementation, comme le RGPD en Europe, impose un cadre strict autour de la collecte, du traitement et de la conservation des données personnelles, confrontant l’IA à un besoin impérieux de transparence et d’explicabilité.

Sécuriser les systèmes d’IA n’est pas moins crucial, car ils deviennent des vecteurs potentiels de risques de sécurité si leur intégrité n’est pas préservée.

Cette dichotomie entre les avantages concurrentiels et les exigences de conformité et de sécurité sera l’enjeu majeur de la prochaine décennie pour les leaders d’industrie. Comment alors naviguer dans ce nouvel âge de l’information où l’IA est un allié puissant, mais à manier avec précaution ?

Ce sont ces questions que nous explorerons dans cette analyse, en cherchant à comprendre comment les entreprises peuvent s’harmoniser avec ces technologies prometteuses, tout en respectant les principes fondamentaux de sécurité et de conformité réglementaire.

Comprendre l’IA et ses applications métiers

L’IA se réfère à la capacité des machines à associer mathématiquement des données et à résoudre des problèmes complexes avec une dextérité souvent supérieure aux capacités humaines.

L’intelligence qui lui est communément attribuée, à travers même sa dénomination, est plutôt une forme de traitement avancé de l’information qui mime certains aspects de la cognition humaine. Par exemple, le test de Turing est une méthode utilisée pour évaluer si une machine peut imiter la pensée humaine au point de tromper un interlocuteur, en lui faisant croire qu’il interagit avec un être humain. Toute « compréhension » qu’elle peut manifester découle d’algorithmes complexes permettant de restituer des probabilités et d’associer des objets contextuellement.

En définitive, bien que l’IA puisse traiter et analyser des données avec une rapidité et une précision inatteignable par l’homme, elle ne détient pas d’intelligence intrinsèque au sens humain du terme. Elle demeure un outil, à l’instar d’un simple marteau, mais un outil extrêmement sophistiqué qui, bien utilisé, peut augmenter considérablement notre efficacité et notre capacité à mieux intégrer les informations du monde qui nous entoure.

L’intelligence artificielle englobe des techniques aussi diverses telles que l’apprentissage automatique (Machine Learning), les réseaux de neurones, la vision par ordinateur et le traitement du langage naturel (NLP). Les applications de l’IA sont aussi vastes : elles vont de l’analyse de données à la prédiction de tendances, en passant par la reconnaissance d’images et la prise de décisions automatisées en prenant en compte des quantités de données de toute nature.

Par exemple, dans le secteur de la santé, l’analyse de données peut aider à diagnostiquer des maladies, à personnaliser les traitements et à améliorer la gestion des dossiers médicaux.

L’IA, un enjeu de sécurité

Mais il est vital de reconnaître et de saisir la portée véritable des risques que pose l’intelligence artificielle en termes de sécurité, car ils sont profonds et potentiellement dévastateurs.

Considérons dans un premier temps les biais algorithmiques : ces distorsions subversives présentes dans les données historiques peuvent insidieusement infiltrer et contaminer les modèles d’IA, perpétuant la haine, les préjugés et les discriminations de manière systémique. Imaginez un algorithme de recrutement filtrant les candidats non pas sur la base du mérite, mais à travers le prisme déformant de stéréotypes sociétaux ancrés.

Le cri d’alarme ne s’arrête pas là : la qualité des données s’avère être une colonne vertébrale pour la performance de l’IA ; et des données corrompues – qu’elles soient bruitées, incorrectes ou incomplètes – pourraient être synonymes d’une catastrophe algorithmique.

« La bataille pour sécuriser l’IA est un impératif qui commande une vigilance sans cesse renouvelée et un engagement inébranlable à protéger les socles de notre avenir numérique. »
Sébastien VinçonPrincipal, Magellan Sécurité

À cela s’ajoutent les attaques adverses, un champ de mines où les intentions néfastes cherchent à saboter l’intégrité des modèles via des manipulations malicieuses des données d’entraînement.

L’enjeu capital de la gestion des identités et des accès s’impose avec force. Le moindre laxisme dans l’authentification et l’autorisation peut ouvrir les vannes à des abus pouvant s’avérer dévastateurs pour chacun d’entre nous.

Il s’agit de garantir la protection des droits des personnes, même par une utilisation imprudente de l’IA dans la collecte de données sensibles. Il est indéniable que les risques de fuites de données et la possibilité de divulgation involontaire d’informations confidentielles peuvent sérieusement compromettre la confiance envers cette technologie. Cette situation peut renforcer l’idée que l’association entre l’IA et la protection de données ne soit pas compatible.

La défense des modèles d’IA contre les attaques est plus qu’une simple mesure de précaution, c’est un bouclier essentiel pour préserver leur fiabilité et leur intégrité. La bataille pour sécuriser l’IA n’est pas optionnelle, c’est un impératif qui commande une vigilance sans cesse renouvelée et un engagement inébranlable à protéger les socles sur lesquels repose notre avenir numérique.

Pour prévenir les risques et protéger les droits des citoyens, la régulation est essentielle à mesure que l’IA gagne en importance. Au sein de l’Union européenne, le RGPD (Règlement général sur la protection des données) complété des réglementations sectorielles – qu’il s’agisse, entre autres, de la finance, de la santé, de l’assurance ou de l’éducation – constitue déjà un socle auquel les entreprises qui développent ou utilisent l’IA devront se conformer.

Le respect de cette conformité garantira que les systèmes d’IA soient développés et utilisés de manière éthique, transparente et en accord avec les lois et règlements en vigueur.

En somme, les entreprises ont l’enjeu majeur d’adopter des pratiques responsables, mettre en place des mécanismes de surveillance et s’assurer que leurs systèmes d’IA respectent les droits des individus, tout en favorisant l’innovation et la croissance.

L’éthique des algorithmes : les fondements de l’IA responsable

Dans l’atelier secret de l’intelligence artificielle, où les fils de code s’entrelacent comme les couloirs d’un labyrinthe, doivent se dresser des piliers invisibles. Ils sont les gardiens silencieux, veillant à ce que l’IA ne se perde pas dans les méandres de l’opacité et de l’incompréhensibilité.

Tel un vieux grimoire dont chaque encre révèle ses secrets au toucher, la transparence exige que les mécanismes des algorithmes d’IA soient compréhensibles, que leurs processus de décisions soient révélés à la lumière du jour.

L’explicabilité, telle une énigme dévoilée, permet d’expliquer pourquoi un modèle a choisi telle voie plutôt qu’une autre. Le choix de méthodes telles que le LIME (Local Interpretable Model-agnostic Explanations) ou le SHAP (SHapley Additive exPlanations) peuvent aider à rendre les modèles plus interprétables, permettant d’éclairer les recoins sombres, révélant les raisons cachées derrière chaque prédiction.

« L’adoption de ces quelques principes permet d’envisager la création de systèmes d’intelligence artificielle plus responsables, éthiques et fiables, tout en respectant notre vie privée. »
Sébastien VinçonPrincipal, Magellan Sécurité

L’utilisation de l’IA explicable (XAI) et de techniques de visualisation telles que les cartes de chaleur est à préconiser. Tout comme le recours au chiffrement et à l’anonymisation pour garder les informations sensibles à l’abri des regards indiscrets tout en préservant leur utilité pour les modèles d’IA.

Les contrôles d’accès, tels des gardiens aux portes de l’IA, veillent à ce que seuls les initiés puissent pénétrer les sanctuaires numériques.

L’adoption de ces quelques principes essentiels permet d’envisager la création de systèmes d’intelligence artificielle plus responsables, éthiques et fiables, tout en respectant notre vie privée.

Ces principes ne tolèrent aucune impasse : ils exigent la mise en place de stratégies appropriées, comme le développement de cadres éthiques, l’évaluation de l’impact sur la protection des données (EIPD) et l’intégration de la Privacy by Design.

Les organisations devront élaborer des directives éthiques spécifiques à l’utilisation de l’IA, qui définissent les valeurs, les principes et les normes qui guideront le développement et l’utilisation des modèles d’IA.

L’EIPD, processus d’identification et d’évaluation des risques pour la vie privée associés à un projet d’IA, implique une analyse approfondie des données traitées, des méthodes d’apprentissage utilisées et des implications potentielles pour la vie privée des individus concernés. Enfin, la Privacy by Design (ou « vie privée dès la conception ») préconise d’intégrer la protection de la vie privée dès le début du processus de développement des systèmes d’IA, en réfléchissant aux choix architecturaux, aux flux de données et aux mécanismes de sécurité.

La société au cœur de l’évolution de l’IA

Dans l’immensité des algorithmes, l’intelligence artificielle se déploie. Mais n’oublions pas que derrière chaque ligne de code, chaque calcul, se cache l’empreinte de l’humain. C’est lui qui, tel un chef d’orchestre invisible, guide cette symphonie binaire vers des sommets inexplorés. Sa présence est essentielle pour que l’IA puisse s’épanouir de manière responsable, éthique et conforme aux normes en vigueur.

Sébastien Vinçon Sébastien Vinçon - Crédit : Magellan Sécurité

Les professionnels, tels des gardiens du savoir, doivent comprendre les risques associés à l’IA, mais aussi les meilleures pratiques pour garantir sa conformité. La formation s’avère incontournable pour modeler les esprits et les sensibiliser aux enjeux éthiques et légaux.

La gouvernance, quant à elle, peut-être vue comme le phare qui guide les navires dans la tempête des données. Le délégué à la protection des données (DPO), tel un gardien des clés, veille à ce que chaque traitement respecte les droits des individus. Les auditeurs internes, tels des détectives, scrutent les moindres recoins, identifiant les failles, les ombres dans ce labyrinthe numérique.

Cette évolution s’accompagnera sans nul doute d’un renforcement important et continu de la réglementation dans le développement et la mise en œuvre de systèmes d’IA. Les entreprises devront dès lors s’adapter rapidement pour se conformer aux nouvelles normes de sécurité établies au niveau international et national.

D’ailleurs, celles qui anticiperont la transformation de leur gouvernance d’entreprise à l’ère de l’IA, celles qui porteront une attention proactive en matière de réglementation et de normes, prendront (c’est certain) un avantage à se préparer efficacement à la révolution en cours du monde numérique.

L’auteur

Sébastien Vinçon est principal au sein de Magellan Sécurité (Groupe Magellan Partners), en charge des activités de Gouvernance, Risque & Conformité. Il est également ancien commandant du Centre d’excellence Cyber de l’Armée de l’Air et de l’Espace.

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