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Audrey Amédro, Sésame IT : « bulldozer » de la cybersécurité
Audrey Amédro est fondatrice de Sésame IT. De chantiers au Texas à la détection des menaces dans le réseau, son tempérament fonceur lui a parfois valu le qualificatif de « bulldozer ».
Audrey, sourire lumineux, coiffée comme Françoise Hardy à l’époque de « Tous les garçons et les filles de mon âge », la frange qui tombe sur un regard bleu direct et malicieux, est du genre « cash », un contact facile et chaleureux qu’elle doit sans doute à ses racines du Nord.
« Je suis du Pas-de-Calais », précise-t-elle ainsi, ajoutant : « mon père était un industriel dans le domaine de la sidérurgie et de la transformation des métaux. Petite, j’hésitais entre devenir inspecteur de police, styliste… et chef d’entreprise ».
L’hérédité et la voie paternelle prendront le dessus, et la jeune Audrey, bonne en maths, n’échappe pas à « la voie royale ». Math sup, Math spé, études d’ingénieur à l’Université Technique de Compiègne. La jeune femme est lancée.
Conducteur de travaux à 22 ans
Sans trancher avec les compétences paternelles, elle devient ingénieur en mécanique et physique des matériaux. Une qualification prestigieuse qui l’emmène d’abord dans le « dur » du Texas, à Houston, comme ingénieur travaux et nouveaux équipements chez CFF Recycling, puis comme conducteur de travaux chez Bouygues Construction… à 22 ans. Une des rares femmes à l’époque, à diriger des chantiers d’envergure avec casque, bottes de chantier aux pieds et talkie à la main.
Une expérience qui lui plaît beaucoup, et lui donne des points de repère indispensables en gestion de projet. Elle s’en souvient en souriant : « c’est vrai que c’était gonflé, jeune femme, dans les années 2000, à diriger des équipes d’hommes, les pieds dans la boue des chantiers », se souvient-elle.
Mais, « j’aimais bien. Il faut savoir rester à sa place et humble quand on ne sait pas, ainsi que s’imposer et se faire respecter quand on sait ».
Son tempérament direct, fougueux et chaleureux fait merveille, et elle y gagne le surnom affectueux de « Petit Cambouis ». Qui lui va bien. « J’y ai sûrement gagné des compétences en gestion du stress et de l’imprévu, mais aussi de gestion de projets, et dans la coordination de différents corps de métiers, le respect des délais, des budgets… ». Des compétences utiles dans tous les secteurs.
Mais au bout de quelques mois, elle se fait recruter comme consultante chez Altran. Nous sommes dans les années 2000 ; Altran recrute à bloc des bataillons de jeunes diplômés formatés pour travailler beaucoup en régie chez différents clients. Il y a un « moule » Altran et futures ESN pour ces jeunes recrues, dans lequel, sans surprise, Audrey Amédro rentre difficilement… Et pas très longtemps : « j’ai jeté l’éponge lors d’une mission chez Itineris [ancien nom de l’activité de téléphonie mobile d’Orange, N.D.L.R.], j’avais l’impression de m’ennuyer, de ne servir à rien… ». Exit Altran.
Ses talents et sa force de conviction seront mieux utilisés chez Aqsacom, un éditeur de logiciels d’interception légale, où elle reste 8 ans (de 2002 à 2009) comme Business Development Manager, apprenant là aussi avec son tempérament comment négocier – et gagner – des contrats.
« Le directeur commercial m’avait embauchée pour gérer les projets, puis il m’a envoyée développer l’activité aux États-Unis. Je suis partie… Et j’ai appris la négociation à l’américaine ».
Sa force de persuasion de « French girl », qui n’a pas froid aux yeux, fonctionne : elle décroche quelques grands contrats, dont un avec le FBI… Se rendant compte que le directeur en question s’appuie un peu trop sur elle pour porter toute l’affaire, elle rentre en France, et change d’air.
Le « soldat » Audrey Amédro, combative passionnée de ce qu’elle fait, avec une capacité à prendre des risques qui scotche son entourage, prend ses marques.
Des réseaux aux vêtements pour enfants
Ce qu’elle fait, jeune maman, en 2009. Elle plaque tout pour créer une marque de vêtements de luxe pour enfants, « Maison Gabrielle Lemaitre », sans trop connaître ni la confection de luxe, ni les vêtements pour enfants, ni les canaux de distribution.
Lorsqu’on lui fait remarquer en souriant que c’est un brin gonflé, elle sourit en retour : « j’avais envie d’essayer… ma grand-mère était couturière. J’ai toujours été fascinée par les belles matières, la dentelle évidemment, le drap, les beaux tissus, le velours… » Héritage du Nord ? Sûrement… Elle ne se pose pas de question. Elle en a envie ; elle y va ; elle fonce.
Pendant 6 ans. « j’ai tout fait de A à Z, dessiné les collections, négocié avec les fournisseurs, géré la publicité, la diffusion. J’étais distribuée au Bon Marché », parangon des enseignes chics et bourgeoises.
Sauf que les meilleures choses peuvent avoir une fin, et que tenir seule pendant 6 ans une entreprise pareille à bout de bras, sans aide et surtout sans personnel, finit par l’épuiser. C’est la mort dans l’âme qu’elle jette l’éponge après 6 ans d’efforts infructueux…
Et c’est pour mieux rebondir et co-fonder dans la foulée, avec deux amis, RED LI LLC, une entreprise de services autour de l’interception légale, aux États-Unis.
Forte de sa capacité à négocier dans des milieux sensibles et gouvernementaux, de son expérience, et de ses capacités entrepreneuriales, elle évolue, et avec pour elle une conviction : « les prochains marchés vont se construire autour de l’identification légale, de la preuve, et de la sécurité ».
Sésame IT, ouvre-toi…
Le passage avec l’aventure Sésame IT est tout trouvé… avec quelques nuits blanches inhérentes à toute création d’entreprise. « Certaines fois, je m’arrachais les tripes pour payer les salaires », se souvient-elle. Elle construit, à force de détermination et de quelques convictions fortes, une solution et une entreprise solides, reconnues dans le domaine des sondes de détection dans le trafic réseau (Network Detection and Response ou NDR).
Un « soldat » courageux, franc… mais aussi humain. La notion de « valeur » n’est pas pour elle un vain mot, et c’est aussi ce qu’elle recherche dans sa façon de travailler, qu’elle définit par « la confiance, la robustesse, la résilience ». Sans surprise, elle recrute des gens qui lui ressemblent et partagent ses valeurs.
Audrey Amédro se méfie de l’argent gagné trop facilement et des surenchères capitalistiques orchestrées à grands coups de millions, qu’a parfois pu connaître le domaine la cybersécurité ces dernières années.
Elle préfère une croissance moins rapide, mais solide, assise sur des bases saines, à une croissance artificielle dopée aux fonds des business angels qui demandent un ROI trop rapide. Un jour ou l’autre, plus dure sera la chute.
Ces vérités premières ne lui valent pas que des amis dans la communauté cyber. Audrey n’en a cure et avance : « mon côté bulldozer, c’est à la fois de me dire que ça va passer, de n’avoir aucun complexe, mais aussi de bâtir une structure pérenne sur des bases saines : la confiance dans un produit éprouvé, des clients fidèles, et une base technique solide ».