Vikas Gupta, Tech Mahindra : «le Cloud public est un silo à part entière»

La SSII indienne Tech Mahindra a créé, il y a six mois, un centre de compétence dédié au Cloud Computing, dans la ville de Pune, près de Mumbai. Le dispositif regroupe une centaine de consultants et d’experts techniques venus de différents horizons - portails, virtualisation, GRC, etc. Vikas Gupta, vice-président technologie de Tech Mahindra, qui s’en est vu confier la direction a accepté de répondre à nos questions. Et d’expliquer l’approche retenue par la SSII tout en livrant un regard assez critique sur le Cloud Computing tel qu’il est proposé aujourd’hui, en termes d’ouverture et de standardisation, en particulier.

LeMagIT : Quels sont objectifs avec ce centre de compétence sur le Cloud Computing?

Vikas Gupta : Nous cherchons à construire, en interne, les compétences qui nous permettront de conseiller et d’accompagner nos clients opérateurs télécoms dans leurs projets de Cloud Computing, notamment en créant des solutions pour eux. Attention : il n’est pas question pour nous de nous positionner comme un prestataire de services Cloud à la manière d’un Amazon, d’un Google, ou d’un Rackspace. Mais pour les opérateurs télécoms, qui ont traditionnellement développé une activité d’hébergement, la prochaine étape à explorer, c’est clairement le Cloud. Là, on parle notamment d’optimisation, d’automatisation de l’infrastructure. Pour eux, il s’agit de capitaliser sur la reconnaissance de leur marque pour devenir fournisseurs de solutions de Cloud. 

Et c’est pour les accompagner dans cette démarche que nous avons ouvert ce centre. C’est d’ailleurs pour cela que nous ne nous concentrons pas sur une offre technologique en particulier, qu’il s’agisse de vSphere, d’Hyper-V ou de Xen : pour l’essentiel, tout cela n’est que produits, pas des solutions complètes. Partir de là et construire des solutions complètes exploitables par les opérateurs - avec intégration de leurs outils de support, de facturation, de gestion de la relation client et de son cycle de vie, etc... - est une tâche complexe. Dans notre laboratoire, nous nous attachons donc à créer des maquettes pour ces cas d’utilisation critiques - pour qu'elles puissent être éventuellement implémentées chez des clients. Par exemple, nous avons commencé à créer un prototype de solution intégrée de provisioning, de configuration et de facturation de machines virtuelles avec les outils de BMC. L’objectif, à terme, est de permettre des déploiements chez nos clients en 90 jours. Personne ne veut attendre 1 ou 2 ans pour mettre ça en place... Pour l’heure, nous nous concentrons sur les mondes de l’IaaS et du SaaS. Nous qualifions des solutions payantes - BMC, CA, Microsoft, VMware, etc... -, des solutions open source - les opérateurs limitent leurs investissements et en sont très friands. Puis nous devons créer des connecteurs pour permettre les interfaçages et arriver face au client en lui présentant une plateforme type de production de services prête à 70 % pour son environnement qu’il ne nous restera plus qu’à intégrer et à personnaliser.

LeMagIT : Cela renvoie tout de même un peu à l’approche d’un Parallels, avec ses solutions Automation et APS, ou encore à l’initiative OpenStack, de Rackspace, non ? Vous en sentez-vous concurrents?

V.G. : Nous ne nous voyons pas concurrents d’un quelconque éditeur. Nous nous concentrons sur le marché spécifique des opérateurs - avec leur environnement IT hautement complexe - pour les aider à créer, avec leurs clients, des projets de cloud privé. Car c’est bien de ça qu’il s’agit aujourd’hui - vous l’avez remarqué, il y a beaucoup «hype» autour du Cloud; tout le monde parle Cloud. Et justement, au milieu de tout cela, choisir les bons composants pour son projet est difficile. Nous aidons nos clients à démêler tout cela pour leur permettre de commercialiser leurs offres. D’ailleurs, la première réunion avec nos clients est généralement consacrée à simplifier les choses, à sortir la complexité de l’équation. Surtout que nos interlocuteurs sont souvent poussés par leurs directions générales pour aller vers le Cloud. Mais cela ne répond pas à la question clé : qu’est-ce que le Cloud représente pour moi ? Que peut-il m’apporter ? A titre d’exemple, certaines communautés de développement internes à Tech Mahindra utilisent des technologies Cloud pour leurs tests, provisionnant et détruisant les ressources dont elles ont besoin à la volée; l’IT s’efface complètement. On ne surveille pas même ce qui se passe : on se contente de surveiller les niveaux de charge sur nos serveurs. C’est dans cet esprit là que l’on travaille avec les opérateurs. Pour cela, on mise beaucoup sur les alliances - nous comptons une quinzaine de partenariats dans ce sens, dont un avec Cisco récemment. Nous travaillons notamment dans le secteur des loisirs et du sport - avec la FIFA, l’an passé. Nous faisons également des recherches sur l’accessibilité des contenus aux personnes faiblement lettrées.

Maintenant, proposez à une grande entreprise d’aller vers un Amazon : cela me semble très difficile. Ce n’est pas un jugement de qualité mais ils se concentrent fortement sur les applications Web. Dans ce contexte, migrer une plateforme d’entreprise vers Amazon ne sera pas simple. C’est un peu comme les Google Apps : on peut faire beaucoup de choses avec mais il faut se conformer aux standards et aux procédures de Google. C’est parfait pour une petite entreprise d’une cinquantaine de personnes. Mais pour une entreprise de 3 000 ? Ce sera autrement plus difficile. C’est là que les opérateurs ont une carte à jouer, profitant encore de leur capital confiance. 

Et c’est aussi là que nous avons de l’information à faire passer. Et qu’il y aura beaucoup de place pour le Cloud privé, et hybride.

LeMagIT : Mais le Cloud hybride n’en est-il pas encore au simple stade de concept plus que de réalité?

V.G. : Tout à fait. Mais, il se concrétisera, notamment pour des applications non critiques, et à la condition de réussir à apporter une expérience sans couture. Je pense par exemple à la problématique des standards : comment passer d’un Rackspace à un Amazon ? En l’absence de pression d’un organisme global de standardisation, l’ouverture n’aura pas lieu. Nous en avons même parlé à l’OMC : «comment ouvrez-vous Amazon ?» La réponse tourne généralement au niveau des API. Mais il ne s’agit là que de la question des coûts de maintenance. Mais pour le reste, le Cloud public est un silo à part entière. Et c’est un vrai problème pour les grandes entreprises car dès qu’elles commencent à faire quelque chose de non standard, ça se traduit par une explosion des coûts de maintenance. On ne le réalise pas tout de suite; il est facile de se laisser entraîner dans cette voie, mais une simple ligne de code peut suffire. 

Je lisais récemment un rapport de Gartner, indiquant que le Cloud hybride sera le premier à être largement adopté. J’ai beaucoup de respect pour ce cabinet mais je suis aussitôt demandé : «comment peut-on réellement l’adopter en l’absence de standard ?» Au final, je pense que beaucoup de gens vont aller construire leurs propres silos dans le Cloud.

Et s’il y a beaucoup de «hype» au sujet des économies à réaliser là... nous en sommes au point où nos clients nous demandent de les leurs détailler. Et je ne les en blâme pas. Le fait est que c’est difficile aujourd’hui à argumenter parce que ce n’est que sur le papier. Nous avons fait des tests, des essais. Dans certains cas, nous avons pu obtenir 36 % d’économies sur des environnements très maîtrisés. Mais je ne suis pas franchement convaincu parce que, selon moi, une grosse partie des économies effectives dépendra de négociations - il y a une partie des coûts d’acquisition qu’il n’est pas simple de lisser de manière générique. Et il faut aussi prendre en compte les coûts de support, les délais de mise en production commerciale, etc. 

LeMagIT : Vous évoquez à juste titre la question des standards. Mais quid de la propriété intellectuelle sur vos futures solutions de Cloud Computing ?

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V.G. :  C’est une question en suspend qui pourra être réglée dans le cadre du processus de contractualisation avec nos clients. Elle est pertinente. Mais la première question reste : dans quelle mesure le Cloud est-il portable de X à Y ? Nous savons qu’il ne l’est pas. Dès lors, clairement, sortir d’un contrat avec un prestataire pour aller vers un autre demande beaucoup d’efforts. C’est le premier frein pour les grandes entreprises. Du coup, la question de propriété intellectuelle est clairement secondaire. Voire tertiaire : avant elle, il y a celle des réglementations locales sur l’hébergement des données personnelles qui peuvent, elles-mêmes, enfermer si fortement qu’elles cassent le promesse même du Cloud. 

LeMagIT : Est-ce que le Cloud Computing change votre métier ?

V.G. : Pour l’instant, assez peu. Et probablement pas dans les trois à cinq prochaines années. Mais il est sûr qu’il va conduire à la multiplication des solutions intégrées pré-packagées qu’il ne restera plus qu’à intégrer chez le client. Cela conduira à une multiplication des contrats de maintenance - évolutive ou curative. Le Cloud ne change pas grand chose, en fait, sur le volet maintenance. Les environnements technologiques ne vont pas s’auto-maintenir tout de suite. Pour autant, il est clair que l’on a vu une part grandissante d’automatisation. Mais même sur la couche juste au-dessus du matériel, la couche d’abstraction et de virtualisation, le besoin persistera pour de la gestion de correctifs, de la maintenance de l’environnement de production. L’activité des Managed Services va continuer sa progression - déjà rapide. Et la maintenance applicative aussi va progresser : il n’y a aucun raccourci à prendre là; c’est comme une assurance à laquelle on souscrit. Pour le développement, ce sera un peu différent, mais il sera toujours nécessaire de développer des connecteurs. Soyons clair : l’IT va continuer de nous occuper; ce n’est pas parce que le Cloud sera là qu’il n’y aura plus de choses à faire sur l’IT. Et, de toute façon, il va mettre du temps à se généraliser. Aujourd’hui, la première difficulté, c’est de replacer le Cloud dans un contexte métier : beaucoup de gens nous demandent «pourquoi devrais-je y aller ?» Il y a là une vraie éducation à faire, pour expliquer que le Cloud et la virtualisation ne sont pas la même chose, la seconde étant juste un prérequis du premier. Mais le Cloud permet d’aller plus loin et de limiter le contact des utilisateurs avec les techniques de l’IT. 

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