Som Mittal, Nasscom : « celui qui rate les opportunités d’une crise est un perdant. »
Au début de ce mois d’octobre, Som Mittal, président de la chambre syndicale des SSII indiennes, a passé quelques jours à Paris, dans le but, notamment, de tenter de développer les relations entre prestataires indiens et les PME françaises. L’occasion d’un entretien exclusif avec LeMagIT.
Un peu plus d’un an après une première rencontre, Som Mittal, président de la chambre syndicale des SSII indiennes, a accepté d’accorder un nouvel entretien au MagIT. L’occasion de revenir sur la stratégie de conquête des SSII indiennes pour le marché français, alors que la crise financière et le scandale Satyam sont passés par là.
LeMagIT : Comment s’est traduite, pour les SSII indiennes, la crise financière mondiale ?
Som Mittal : Pour nous, la crise a commencé en 2007, avec la forte appréciation soudaine de la Roupie. Puisque notre industrie est une industrie d’exportation, ce fut un grand défi pour nous. Après cela, nous avons eu la crise des carburants, le recul des cours de bourse, la récession… En fait, nous avons dû absorber toute une série d’événements. Le plus important étant bien sûr la récession : notre activité étant globale, si nos clients ont un problème, nous avons un problème. Notre croissance a donc reculé de 28 % en 2007 à 16 % l’an passé et 4 à 7 % cette année.
Pendant cette période, l’industrie a travaillé à améliorer son efficacité : supprimer les pertes dans le système, renforcer la productivité des salariés, etc. La progression des salaires a été contenue ; l’attrition a reculé. Mais ce n’est qu’une face de la transformation. De l’autre côté, les clients – sous pression – nous ont demandé de faire plus avec moins, notamment en réduisant nos prix. Cette pression sur les prix s’est aussi traduite par plus de flexibilité. Par exemple, assurer une prestation sur site coûte cher ; pour réduire le coût, les entreprises nous ont permis de renforcer la part offshore de la prestation. En outre, avant de nombreuses entreprises insistaient pour disposer de centres de prestation dédiés en Inde. Là dessus aussi il a été possible de faire changer les choses. Enfin, de nombreux clients ont commencé à encourager la tarification au forfait par rapport à une facturation horaire – des deux côtés, cela a renforcé la motivation à être plus efficace.
Mais tout cela reste très opérationnel. Le changement le plus important est en train de survenir : nos clients savent que, même si l’économie redémarre, la pression restera ; ils devront se concentrer sur la transformation plus que simplement sur l’offshore. De nouvelles opportunités vont émerger sur l’optimisation des processus métiers, leur automatisation.
Aujourd’hui, la croissance est faible parce que, lors d’une récession, la consommation est faible. Mais la croissance n’est pas plus faible parce que nous allons continuer de supporter nos clients sur le plan de leurs opérations.
LeMagIT : L’an passé, on a vu Infosys échouer à racheter Axon. Les SSII indiennes sont elles finalement bien préparées pour tirer parti de ces opportunités ?
Som Mittal : Infosys ou encore Wipro investissent clairement en ce sens, en développant des outils dédiés, des frameworks, ainsi que via des acquisitions. Mais aussi en renforçant nos recrutements locaux : il y a deux ans, 4,5 % de nos effectifs n’étaient pas indiens. Aujourd’hui, cette part est passée à 7,5 %. Plus on embauche de personnels locaux, plus on gagne en expertises, en connaissance des clients. Chaque crise apporte son lot de pertes et gains. Mais celui qui rate les opportunités d’une crise est un perdant. Je pense que nos entreprises sortiront plus fortes de cette crise.
LeMagIT : IBM a pris une place importante sur le marché IT domestique indien. Quelle menace représente aujourd’hui IBM pour les SSII indiennes ?
Som Mittal : IBM est une grosse entreprise. Mais ce n’est pas la seule. Accenture ou CapGemini représentent aussi un défi. Ces entreprises ont compris que leur modèle, avec un important front office sur site devait évoluer. Elles ont donc développé leurs implantations offshore. De manière symétrique, les grandes SSII indiennes ont compris qu’elles avaient de front office locaux et se développent dans ce sens.
En ce qui concerne spécifiquement le marché domestique indien, certaines SSII locales comme HCL Infosystems s’y sont concentrées. Wipro a commencé par le marché domestique. Avant de s’ouvrir à l’international, TCS s’est également fortement développé sur le marché indien – et a même racheté une ancienne filiale d’IBM en Inde. Infosys et d’autres, à l’inverse, ne se sont intéressés à leur marché domestique que récemment. Mais ce marché n’a vraiment décollé que récemment ; il a encore beaucoup de potentiel.
Ce gouvernement a réalisé que, pour tenir ses promesses, il n’a pas d’autre choix que de s’appuyer sur la technologie. Dans les 3 à 4 prochaines années, il y aura de nombreux projets gouvernementaux. Il y a déjà le projet de carte d’identité unique. Une très gros projet avec une composante symbolique forte : c’est la première fois que le gouvernement vient recruter dans le privé – Nandan Nilekani, ancien co-président du Conseil d’Administration d’Infosys – pour superviser un projet public ; et c’est un important d’infrastructure IT.
Et il y a d’autres projets encore. D’ici 3 à 4 ans, des milliers de villages indiens seront raccordés en haut débit sans fil. Et de très nombreuses opportunités. Typiquement, en Inde, nous avons, pour chaque projet, un grand nombre de transactions avec une très faible valeur associée à chaque transaction. Le défit, c’est de réduire autant que possible de le coût de traitement de chaque transaction. C’est ce qu’a fait notre industrie des télécommunications : les coûts d’infrastructure sont très élevés mais nous avons majoritairement des utilisateurs en prépayé – 99 % – et des coûts de facturation très faibles.
LeMagIT : Pour se développer sur les marchés européen et plus particulièrement français, les SSII indiennes vont elles se lancer dans des acquisitions ?
Som Mittal : La période s’y prête : les valorisations ont fortement baissé ; elles commencent à remonter. Certaines acquisitions ont déjà eu lieu même si elles sont moins importantes que ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Peut-être la crise a-t-elle trop fortement mobilisé l’attention des directions, avec la forte pression des clients sur les prix. Et une intégration demande beaucoup d’attention du management. Mais, surtout, notre croissance, pour les prochaines années, viendra de nouvelles industries [Les SSII indiennes dépendent encore beaucoup de l’industrie des services bancaires, financiers et d’assurance, NDLR], de nouvelles régions du monde, et de nouveaux types d’entreprises – jusqu’ici, nous nous sommes concentrés sur les grandes entreprises. Les PME et TPE constituent un vivier très intéressant. Mais les SSII indiennes ont du mal à les atteindre. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons fait venir en France cette délégation. Nous souhaitons plus de collaboration entre SSII de petite et moyenne taille en France, et en Inde. Les entreprises françaises ont besoin d’un front office local. Les partenariats peuvent se nouer de différentes manières, y compris par des investissements croisés.