Patrick Bertrand, Cegid : « tous les dirigeants sont le pied sur la pédale de frein »
Après l'annonce de résultats trimestriels montrant le ralentissement de son activité, rencontre avec le directeur général de Cegid, Patrick Bertrand. Qui ne nie pas l'impact de la crise sur les décisions d'investissement, mais en relativise la portée pour l'éditeur lyonnais d'ERP.
Vous venez d'annoncer des résultats trimestriels qui montrent un ralentissement de votre activité. La crise financière se diffuse donc à l'économie réelle?
Patrick Bertrand: Si on pensait que le monde réel n'allait pas être touché, c'est bien sûr une erreur. Nous sommes touchés et assez brutalement. Tous les dirigeants d'entreprises sont dans une attitude d'arrêt des investissements. Ils relanceront peut-être peu à peu la machine dans les mois qui viennent, mais la réalité aujourd'hui est celle-là.
Au-delà de ce constat, le raisonnement sectoriel qu'appliquent aujourd'hui les marchés conduisant à sanctionner toutes les valeurs IT n'a pas de sens. Les bonnes questions à se poser sont : quelles sont les entreprises solides, bien financées, ayant une bonne stratégie ? Chez Cegid, aucun client ne représente plus de 2 % de la facturation annuelle. Notre spectre de compétences est par ailleurs très large. Notre récurrent pèse 48 à 49 % du CA annuel sur 80 000 sites client sous contrat. Enfin, nous avons signé il y a deux ans une ligne de crédit de 200 millions d'euros.
Quelles sont les perspectives pour Cegid dans ce climat?
P.B. : Je pourrai bien sûr parler des affaires que nous pensons signer, notre "pipe". Mais, si cet indicateur a un sens dans des périodes normales, il n'en a aucun dans une situation comme celle que nous traversons. Pourquoi ? Parce que, comme nous le faisons à notre échelle, nos clients ou prospects sont susceptibles de couper les investissements qu'ils prévoyaient très brutalement. Même si, in fine, je pense que la crise actuelle sera moins grave pour l'IT que celles que nous avons connues au milieu des années 90 et au début des années 2000. Contrairement à ces précédents, la crise actuelle provient d'un facteur exogène à l'IT, et n'est pas liée à un surinvestissement dans les technologies.
Vous venez d'acquérir deux éditeurs, VCS Timeless (spécialisé dans la distribution) et Civitas (collectivités locales). Allez-vous poursuivre cette stratégie de croissance externe par temps de crise?
P.B. : Meme si on avait regardé ces dossiers avant l'été, on n'avait pas bouclé ces rachats à ce moment. La crise ne nous a donc pas empêché d'avancer sur ces sujets. Nous avons d'ailleurs écarté une troisième opportunité du fait de la dégradation rapide de l'activité de cette société. Mais, sur le fond, la crise ne change pas notre stratégie. Notre comité de croissance externe continue à étudier régulièrement des opportunités d'investissement. Et la crise va en créer : des entreprises en difficultés bien sûr, mais aussi des sociétés qui marchent bien mais sentent que c'est le bon moment pour s'adosser à un partenaire solide. Nous cherchons à nous renforcer sur le secteur public - créneau où nous avons déjà racheté Civitas -, sur le monde agricole et dans les logiciels pour les associations.
Justement avec Civitas, vous prenez pied dans le secteur public. Quels marchés visez-vous?
P.B. : Civitas réalise aujourd'hui 13 millions d'euros de chiffre d'affaires. On entend dépasser les 30 millions sur le marché des collectivités. Ce rachat va accélérer nos prises de parts de marché sur les moyennes mairies, les conseils généraux, etc. Nous allons également proposer l'offre de Civitas en mode Saas. Et développer, à partir du logiciel de Cegid sur la gestion des immobilisations, un module vertical spécialisé pour le secteur public.
Et j'espère bien un jour pouvoir entrer dans les administrations centrales. Pour l'instant, les éditeurs comme nous y sont tenus à l'écart des principaux marchés. Il faut que l'état apprenne à passer des marchés sur des lots plus restreints et qu'il oblige les intégrateurs à répondre à ses appels d'offre avec des éditeurs de taille plus modestes.
L'internationalisation a longtemps été pointée comme le point faible de Cegid. Quelle démarche avez-vous retenu pour intensifier votre présence dans le monde?
P.B. : On cherche à se différencier en basant notre internationalisation sur notre offre pour la distribution (segment qui pèse entre 45 et 50 millions d'euros annuel chez Cegid, ndlr). Dans les rachats que nous avons d'ailleurs effectués sur ce segment, nous avons hérité d'une base de clients plus internationale que la nôtre. VCS Timeless réalise par exemple 50 % de son chiffre d'affaires à l'étranger, contre environ 20 % pour Cegid. Nous sommes déjà présents à Singapour, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, en Tunisie, au Japon ou encore en Chine. Pays où nous ouvrons prochainement un second bureau, à Shangaï.