Patrick Bertrand, Afdel : « la sphère politique s’est emparée des sujets numériques »
Quelques jours après l’assemblée générale de l’Afdel, Patrick Bertrand, président de l’association et directeur général de Cegid, deuxième éditeur français, revient avec nous sur l’évolution de l’Association Française Des Editeurs de Logiciels. L’occasion de se féliciter de la place prise au cœur de l’écosystème du logiciel en France mais également de dresser le bilan de l’action politique en faveur du numérique et de dresser les grandes lignes de ce qui doit encore évoluer pour favoriser l’émergence de champions nationaux dans l’industrie du logiciel.
LeMagIT : Après quelques années d’existence comment évolue l’Afdel ?
Patrick Bertrand : L’Afdel est sur une tendance très positive avec près de 280 membres. Fin 2010, nous étions déjà proche de 240 membres. Sur les six derniers mois, des grands du secteur nous ont rejoints comme Sage, Salesforce, SAP France ou Coheris. Mais il n’y a pas de hasard. Nous y sommes arrivés car nous comblions un véritable besoin des éditeurs de logiciel. L’idée demeure de porter la voix de notre métier mais également de servir de boîte à idées du secteur et d’apporter des services au travers d’une programmation d’ateliers très précis. Du coup, nous avons installé une légitimité au niveau institutionnel mais également - et c’est très important – auprès des collaborateurs des éditeurs membres. Aujourd'hui, nous favorisons également le foisonnement et la création d’écosystèmes technologiques. Des partenariats sont d’ores et déjà nés à l’Afdel et ça devrait se développer encore, notamment avec l’émergence des technologies PaaS et IaaS qui favorise cette tendance.
LeMagIT : Vous êtes membre du récent Conseil national du numérique. Quelle est votre perception de cette instance et ne craignez vous pas que les éditeurs – pourtant clés dans le développement du numérique – soient dilués entre opérateurs réseaux et opérateurs de contenu ?
P.B : La création du Conseil National du Numérique présidé par Gilles Babinet est très positive car c’est la marque de l’importance prise par notre secteur, même si le rôle du CNN doit être encore plus perceptible. Il y a une dynamique très forte et il s’agit d’un acte fondateur, de la reconnaissance qu’un gouvernement ne peut pas ne pas aborder l’émergence du numérique comme la colonne vertébrale sociétale et économique d’aujourd’hui. Le Conseil National du Numérique semble être la bonne configuration car sont représentés tous les producteurs de technologie,. Maintenant l’idée ne doit pas être d’être simplement en réaction par rapport à l’évolution législative mais également de travailler en profondeur sur une dynamique pédagogique. Il y a également une bataille à mener pour les fournisseurs de technologie. Il n’y a pas d’Internet sans informatique et nous souhaitons, au sein du CNN, pousser cette dimension industrielle des producteurs de technologies.
LeMagIT : En France, on a l’impression que les start-up ont du mal à décoller et que les champions potentiels sont souvent la proie des gros acteurs américains dans une industrie qui favorisent la concentration. Qu’en est-il de votre point de vue ?
P.B : L’édition logicielle française doit progresser en dépit des difficultés structurelles propres à la diversité de l’Europe qui n’est pas un marché unique (différence de langues, de réglementations ,etc…). Et l’investissement dans le secteur doit jouer un rôle clé. On a déjà bien avancé sur le carburant qu’est le capital investissement. Dans ce sens, l’Afdel a signé un partenariat avec le FSI pour la filière logicielle. On a également été très actif sur le grand emprunt dont le numérique apparait en seconde position des secteurs couverts. Le Fonds pour la société numérique (FSN) vient d’ailleurs d’être doté de 400 millions d’euros. Reste le problème de l’amorçage sur lequel on doit réellement progresser pour favoriser le passage à une R&D plus appliquée. A ce niveau, on a aujourd’hui du mal à susciter l’intérêt des investisseurs traditionnels qui ne s’intéressent guère à l’amorçage..
La formation est également l’un des piliers du développement d’une industrie du logiciel solide et pérenne. Il faut améliorer et augmenter le nombre de candidats de la filière informatique au sein des études scientifiques et également intégrer le marketing à la formation de nos étudiants de cette filière afin de favoriser la transformation d’idée de R&D en véritable stratégie d’entreprise.
LeMagIT : Mais l’accès au financement n’est pas tout. Comment favoriser l’accès au marché face aux gros éditeurs ?
P.B : Il est effectivement nécessaire de créer des conditions de marché favorables aux jeunes éditeurs français. L’Etat a un rôle à jouer. Nous sommes depuis longtemps favorables à un Small business Act à la française. J’en ai parlé récemment avec Jérôme Filippini, qui vient de prendre la nouvelle fonction de DSI de l’Etat afin que les acteurs français, de taille petite et/ou moyenne, puissent concourir à la commande publique. Par ailleurs, les contraintes de gestion qui vont peser sur les collectivités (RGPP - Révision générale des politiques publiques, ndlr) imposera de fait des investissements dans l’IT et il faut apporter un soutien aux éditeurs locaux afin qu’ils puissent assurer une part du travail et que l’Etat, par ses propres développements ne rentre pas en concurrence directe avec les éditeurs. L’Etat doit, en priorité, favoriser l’offre existante ou son développement et le moins possible se substituer aux éditeurs en proposant ses propres développements.. Enfin, du côté du régulateur, il faut faire attention au droit de la concurrence qui peut être un frein au développement de champions nationaux. Aujourd’hui les risques de contraintes liés à un processus de concentration entre acteurs français font des éditeurs les proies de groupes internationaux.
LeMagIT : Dans quelques mois se profile l’élection présidentielle. Comptez-vous, à votre niveau, y jouer un rôle en cherchant à influer sur les programmes des différents candidats ?
P.B : Les élections présidentielles sont en effet l’occasion de réaffirmer les enjeux autour du numérique et du secteur logiciel. Mais nous ne présenterons pas un programme à soumettre aux candidats. En revanche, nous souhaitons vivement voir afficher la compréhension des enjeux. Notamment sur les centrales numériques qui doivent faire l’objet d’investissements pour l’avenir. Investir dans le numérique est le premier facteur de compétitivité dans le concert économique mondial.
Mais sur les deux premières plates-formes programmatiques qui sont parues, nous sommes très positifs. Globalement, l’UMP et le PS abordent cette fois les bons sujets. Il reste à approfondir cependant, que les politiques soient plus attentifs à une politique de soutien des acteurs des TIC. Au cœur de la machine numérique, il y a les acteurs IT et nous souhaitons avoir des programmes clairs en faveur de l’industrie informatique, trop peu visible dans les différents projets économiques. Concrètement nous souhaiterions par exemple un rééquilibrage du Crédit Impôt recherche en faveur des petites et moyennes entreprises. Comme l’expliquait en son temps Jean Mounet lorsqu’il dirigeait Syntec Informatique, il faut aussi que le crédit impôt recherche devienne un crédit impôt « innovation » pour mieux intégrer la problématique « marché » dans le processus de création. Enfin nous souhaitons beaucoup plus d’ambition sur le volet éducatif.
Il reste donc évidemment beaucoup à faire, mais en quelques années nous mesurons le chemin parcouru par les responsables politiques pour prendre en compte la réalité numérique dans leur agenda. On sent que la sphère politique s’est désormais emparée des différents sujets même si nous souhaiterions voir les choses aller plus vite et plus dans les détails. Il ne faut pas se tromper, l’enjeu est considérable pour l’industrie IT, pour les éditeurs mais également pour l’ensemble de l’économie, car le numérique est le principal moteur de la croissance des PIB. Et l’avenir est plutôt positif, avec de nombreux secteurs qui seront très porteurs, comme la e-santé, le green IT, l’e-commerce, la sécurité informatique, les réseaux sociaux. Il y a sur tous ces sujets un vrai savoir faire français.