Olivier Cavrel, Cognizant : «notre approche est centrée sur les métiers»
Cognizant, la SSII qui semble parfois avoir la tête aux Etats-Unis et les pieds en Inde, affiche une croissance insolente dans marché marqué par l’incertitude. Olivier Cavrel, directeur régional France de Cognizant, revient avec nous sur les recettes de la SSII.
LeMagIT : Les SSII indiennes semblent peiner à se développer aussi rapidement sur le marché français que sur d’autres en Europe. Faites-vous le même constat ?
Olivier Cavrel : Le marché français n’est pas très facile pour les SSII indiennes. C’est vrai pour les plus grosses, mais encore plus pour celles de taille plus modeste. J’en ai beaucoup vu choisir finalement de se replier sur le marché britannique.
Cognizant pourrait par certains aspects ressembler aux SSII indiennes mais si le modèle de delivery offshore fait partie de son ADN, c’est aussi le cas de son approche fortement locale pour le frontal client. En outre, la culture interne est très différente de celle d’entreprises indiennes. Jusqu’au sommet de la hiérarchie, on trouve un équilibre entre management indien et américain.
En outre, notre approche du marché est centrée sur le couple processus métiers et processus IT. Ce qui permet d’appréhender l’IT comme un élément de support pour répondre à une problématique métier. Nous avons bien réussi à déplier cette approche sur nos deux grands secteurs historiques : les services financiers et la santé. Cette approche nous a aussi permis de renforcer fortement notre présence chez toutes les grandes banques multinationales. Pour elles, nous jouons un rôle de partenaire de transformation.
LeMagIT : Mais comment expliquez-vous la croissance de Cognizant face à des SSII indiennes qui, on l’a vu encore récemment pour certaines, doivent même concéder des baisses de prix ?
Olivier Cavrel : Par la différence que je viens de vous décrire. De manière générale, le marché des services IT ne croît pratiquement pas. Dans les deux secteurs historiques de Cognizant, il est même stable sinon décroissant. La croissance de Cognizant se construit notamment sur celle de la part de la dépense de ses clients. Chez eux, beaucoup de petits et moyens fournisseurs sont écartés, notamment parce qu’ils sont trop centrés sur l’informatique pure. Là encore, c’est la dimension métier qui fait la différence.
Et cette approche est possible du fait d’un choix stratégique - qui date de l’introduction en bourse de l’entreprise en 1998 : une marge d’exploitation de l’ordre de 20 %, soit 5 à 10 points de moins que pour les grands acteurs indiens. Nous réinvestissions cette différence dans le savoir-faire métier et dans la mise en place d’équipes de gestion de nos clients qui viennent du même métier qu’eux. Des personnes que l’on ne leur facture pas. Elles sont quelques milliers dans le monde - ce sont les account managers, les client partners, etc. Ils interviennent en conseil par anticipation. Et ce sont des professionnels des métiers concernés; pas des informaticiens.
Accepter une marge réduite nous a permis de systématiquement réinvestir afin de nouer une relation avec nos grands clients qui n’est pas qu’une simple fourniture de ressources compétentes à faible coût.
LeMagIT : Comment évaluez-vous le résultat de ces efforts, outre votre croissance ?
Olivier Cavrel : Par la satisfaction des clients. Elle fait l’objet d’une étude annuelle, basée sur 70 questions adressées à un panel clé chez le client, dont l’étendue dépend de l’importance, pour nous, de ce client. Les résultats sont suivis comme le lait sur le feu par tout le management : une partie de leur bonus est indexée sur cette étude. En Europe, c’est la France qui a eu la note la plus élevée, l'an dernier.
Et les clients français ne sont pas faciles à satisfaire : depuis 15 ans, ils sont habitués à acheter soit selon le prix, soit selon l’expertise technique. Et ils peuvent trouver l’un avec un fournisseur, et l’autre avec un second. Mais construire une relation dans la durée pour améliorer ses services ou leur prix dans la durée, c’est un besoin que je n’ai pas observé. La France est tout de même le pays d'europe où il y a le plus de concurrence entre SSII. On trouve donc toujours un moins-disant. Dès lors, développer une collaboration étroite et de long terme est difficile.
C’est une approche très différente de celle que l’on trouve aux Etats-Unis. Là-bas, la logique consiste plutôt à limiter le nombre de fournisseurs tout en nouant une collaboration étroite, assortie d’une grande exigence. Et si cette exigence est satisfaite, on amplifie. En tout, Cognizant fait état de 815 clients dans le monde. Une petite part d’entre eux forme le coeur de notre activité [Cognizant assurait, en août dernier, réaliser 90 % de son chiffre d’affaires avec des clients existants, NDLR]. Il s’agit de contrats dans le cadre desquels nous avons déployé plusieurs milliers de personnes chez le client; des relations très fortes. Et quand les relations sont aussi étroites, on dispose d’un niveau élevé d’attention, on réfléchit aux problématiques stratégiques du client, on a un vrai dialogue.
LeMagIT : Rencontrez-vous les mêmes difficultés que les SSII indiennes en matière de rétention des collaborateurs ?
Olivier Cavrel : Nous enregistrons un taux de départs volontaires assez bas, de l’ordre de 12 %. La rétention est forte parce que l’on travaille avec des objectifs qualitatifs. C’est très motivant. En outre, la croissance de Cognizant lui permet d’être probablement l’un des employeurs IT les plus généreux en Inde. Et nous sommes recherchés par les jeunes diplômés. Lors des jobs fairs sur les campus, il est très important d’être bien positionné auprès des étudiants : ils choisissent qui ils veulent rencontrer et ils sont tenus d’accepter la première offre qui leur est faite, pour éviter tout jeu de surenchère. Après plusieurs années de progression, Cognizant est classé en seconde position, en moyenne.