Nicolas Lemoine, AT&T France : "le CA avec des clients français est majoritaire dans notre activité"

huit mois après sa nomination à la tête d'AT&T France, Nicolas Lemoine, a accepté de faire le point sur l'activité de l'opérateur américain en France avec LeMagIT. L'occasion de revenir sur les différents métiers de l'opérateur, sur la nature de ses activités en France et sur ses ambitions de développement dans le cloud. S'appuyant sur son réseau de 38 datacenters dans le monde, AT&T a ainsi récemment lancé des offres de stockage as a service sur base EMC et 3Par ainsi qu'une offre d'infrastructure as a service sur base VMware.

ENTRETIEN AVEC ...

Nicolas Lemoine,
Directeur AT&T France et VP
Sales Europe du Sud 47 ans

Carrière
Novembre 2009: VP Sales Europe du Sud AT&T

2009 : devient Directeur entreprise de T-Systems France

2004 : Nommé Directeur Général de T-Systems Telecom Services France

2001 : Directeur du développement de Tenovis

1999 : directeur des opérations BLR, LDCom

1995 : directeur du support Européen AT&T Solutions Outsourcing

Formation
2009 : Mastère HEC Finance et Management

1985 : Ingénieur Télécoms SupInfo

LeMagIT : Vous avez récemment pris la direction des activités d’AT&T en France. Pouvez-vous nous résumer ce que recouvrent les activités de cet opérateur dans l’hexagone ?  

Nicolas Lemoine : L’activité d’AT&T en France recouvre deux missions : servir en France les grandes compagnies américaines qui ont des opérations sur le territoire français. C’est la mission initiale assignée par la maison mère. Mais AT&T est aussi un opérateur vraiment global et a pour vocation de développer ses activités avec des grandes entreprises françaises. La mission n’est pas de concurrencer un SFR ou un Orange sur le national mais d’accompagner les groupes hexagonaux à l’international. La plupart des grands comptes du CAC sont ainsi clients d’AT&T. Il est vrai que la plupart de ces entreprises réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaire hors des frontières hexagonales.

Même si cela peut paraître surprenant, le chiffre d’affaire réalisé par AT&T France avec des clients français est majoritaire dans notre activité. Cela illustre le fait qu’AT&T est à même de délivrer les mêmes services où qu’ils se trouvent dans le monde. Le client typique chez nous a toutefois une activité internationale forte, mais nous n’avons pas de dogme quant à la taille de nos clients. Nous avons des comptes qui réalisent un CA en dizaines de milliards d’euros et d’autres en centaines de millions. 

LeMagIT : Avez vous des approches verticales, par exemple pour servir avec des produits spécifiques des métiers ou des secteurs d’activités particuliers ?

Nicolas Lemoine : Chez AT&T, nous tenons à bien comprendre l’activité de nos clients. Nous avons recruté des spécialistes par domaine d’activité, qui permettent d’avoir des offres très adaptées à certains secteurs. Ils font le lien entre la technologie, les services AT&T et le métier du client. Il faut s’assurer que les offres répondent aux métiers des clients.
Ces derniers veulent que l’on délivre de façon industrielle des offres personnalisées pour leurs besoins. On tente donc, sur des bases industrielles, de concevoir des offres qui sont adaptées au cycle d’activité et d’exploitation du client. Par exemple, nous avons des clients dans l’industrie lourde pour lesquels la redondance des infrastructures est essentielle, et d’autres dans la distribution où c’est surtout la réactivité qui importe (par exemple le temps pour connecter une nouvelle boutique ou la possibilité de fermer rapidement une boutique). Cela influence la génération de cash flow chez ces clients. 

LeMagIT : Avant de racheter AT&T aux Etats-Unis, SBC Communications disposait de liens étroits avec SFR puisqu’il détenait une partie importante de son capital. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Gardez-vous toutefois des relations privilégiées avec SFR pour l’aboutement de vos services en France ? 

Nicolas Lemoine :Il y a effectivement des liens business entre AT&T et SFR. C’est l’un de nos partenaires privilégiés sur le territoire. Mais ce n’est pas le seul.

LeMagIT : AT&T est avant tout un opérateur télécoms, mais vous avez récemment commencé à communiquer de façon agressive sur vos offres d’hébergement et de cloud. Comment s’organise l’offre aujourd’hui et quelle prestations mettez-vous en avant auprès de vos clients ? 

Nicolas Lemoine :Pour nous les réseaux de transmissions de donnée IP MPLS sont le socle des services que l’on propose à nos clients. Nous avons construit d’autres types de services sur ce socle, des services  « in the cloud » de type hébergement, storage as a service ou computing as a service. Ce ne sont d’ailleurs qu’une partie des services que nous offrons dans le nuage. Nous proposons aussi des services de téléprésence avec un partenaire privilégié qui est Cisco. Nous avons ainsi élaboré un service de téléprésence qui permet à nos clients d’utiliser la visioconférence haut débit sur la base d’un service managé où tout est en mode Opex.

Nous avons aussi de multiples services liés à la mobilité. Pour certains clients français, nous proposons ainsi nos services de mobilité aux Etats-Unis - AT&T est l’un des opérateurs américains qui a basculé vers le GSM et la 3G, NDLR. Nous disposons aussi d’une offre de «global mobility management» : Dans ce cadre, nous prenons en charge la gestion des flottes mobiles d’un client mondial et nous pilotons pour lui ses flottes d’opérateurs, la négociation des conditions tarifaires. Gérer de grandes flottes de terminaux fait partie de notre ADN. La gestion des infrastructures/terminaux mobiles est toujours complexes pour des groupes dont ce n’est pas le métier. Enfin, nous pouvons aller jusqu’à nous substituer au client pour agir en tant que tiers payeur.

LeMagIT : AT&T s’est lancé très tôt à l’international avec des services de voix sur IP SIP et notamment des offres de trunking en plus de ses services de voix traditionnels. Comment se comportent ces offres et les voyez vous évoluer vers la communication unifiée ? 

Nicolas Lemoine : La voix traditionnelle pour laquelle, nous sommes opérateur historique aux US suit les courbes du marché général. Il y a aussi la téléphonie sur IP avec une dimension service où les clients veulent qu’on gère leur trafic, leurs équipements (call managers, équipements terminaux), et leur mise en place. La communication unifiée fait aussi partie des services proposés par AT&T avec la conjonction du transport de la voix, de l’audio conférence, et des outils PC permettant le partage de documents, de présentations et l’ intégration de la vidéo personnelle. C’est une offre baptisée AT&T Connect.

Dans la pratique, ces offres sont techniquement et financièrement séduisantes pour des clients français en France, mais aussi plus généralement permettent de les accompagner dans leurs implantations internationales. Grâce à ces nouveaux outils, nos clients peuvent raccourcir le cycle de développement d’un produit, accélérer le « go to market », fluidifier le reporting interne…. De grands clients français utilisent déjà massivement ces services.

LeMagIT : AT&T a récemment beaucoup communiqué sur ses offres de cloud par exemple avec EMC sur le stockage de fichiers as a service (Atmos) ou avec 3Par pour des offres SAN as a service. Vous avez aussi lancé une offre de cloud computing sur base VMware dans le cadre de l’offre Synaptic. Où en est le déploiement de ces services en France ?

Nicolas Lemoine : Le buzz sur le cloud doit se transformer en succès industriel et c’est ce à quoi l’on s’emploie. Nous nous appuyons sur 38 datacenters au niveau mondial qui nous permettent de servir les besoins des entreprises en matière de hosting de stockage et de computing. Le marché est là, les clients sont présents. Il y a des migrations en cours. Comme souvent les USA ont un peu d’avance, mais on sent sur le marché une vague de fond vers le cloud computing. Lorsque l’on regarde les grandes entreprises, les ressources informatiques non exploitées peuvent être vues comme du stock. En le variabilisant on peut réaliser des gains considérables. Je crois que le cloud apporte un degré de flexibilité et d’évolution dans le temps. Les technologies de virtualisation permettent d’être plus flexibles et plus proches des besoins. Auparavant on restait dans des logiques un peu rigides. Il faut toutefois pour tenir la promesse du cloud que les infrastructures de l’hébergeur permettent de garantir un service d’excellente facture. Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur nos datacenters en France et en Europe. 

LeMagIT : Cela veut-il dire qu’à terme vous espérez réaliser une partie plus importante de vos revenus avec les services cloud ?

Nicolas Lemoine : L’activité purement réseau reste fondamentale, et l’est d’autant plus que les traitements se font de façon répartie dans le monde. C’est un socle d’infrastructure nécessaire pour que les entreprises puissent utiliser la technologie à leur profit. On l’oublie trop, mais le réseau  est la composante qui permet l’accès aux données et aux applications. Ceci dit, la partie services est en forte croissance et a pour vocation de se développer de façon importante.  Je ne vous donnerai qu’un chiffre : au premier trimestre 2010, la croissance sur les services à valeur ajoutée (hosting et services aux applications) a été de 15% par rapport à la même période en 2009.

LeMagIT : Les années de la bulle internet avaient vu une formidable éclosion de technologies réseaux. Aujourd’hui, il semble qu’il n’y ait guère d’innovation radicale, la plupart des opérateurs ayant standardisés leurs réseaux autour d’offres MPLS et Ethernet. N’y a-t-il pas un risque d’harmonisation des offres et donc de voir la bataille se limiter au prix ?

Nicolas Lemoine : Vous oubliez la grande nouveauté de ces dernières années, l’arrivée en masse de la mobilité et la prise en compte de ces terminaux mobiles par les acteurs globaux. La mobilité est un vrai défi car elle bouleverse les modes de travail et d’interaction entre les équipes et les personnes. La partie coûts fait certes partie de l’équation, mais il ne faut pas oublier les nouveaux usages et les services. C’est clairement un élément important. C’est d’ailleurs ce que je trouve de plus intéressant dans notre activité aujourd’hui : arriver, en fonction de la compréhension des activités de nos clients, à élaborer la solution qui va le plus contribuer à leur développement et à leur expansion. Nous sommes là pour  les supporter et les accompagner où que ce soit dans le monde au rythme qu’ils souhaitent. Cette équation est importante car elle nous fait nous pencher sur notre technologie, non comme une fin, mais comme un moyen de contribuer au cycle d’exploitation de nos clients..


LeMagIT : A propos de technologie, on n’a plus connu depuis la bulle de vague d’investissement massive dans le coeur de l’infrastructure telle qu’on avait pu en voir à l’époque avec la constitution de réseaux massif de fibres noires à travers la planète. Si les prévisions de croissance du trafic de données se vérifie - et Cisco évoque des croissances de plus de 100% sur le trafic mobile par exemple - ne faudra-t-il pas une nouvelle vague d’investissements pour faire face à cette demande ?

Nicolas Lemoine : Ce que j’ai pu voir chez AT&T est que l’on attend pas d’être confrontés à des problèmes de surchauffe pour investir. Nous avons investi 15 Md$ en 2009 sur nos infrastructures, dont 1 Md$ pour l’infrastructure globale, c’est à dire hors USA, pour les backbones et réseaux en Asie et en Europe. Nous continuerons à investir pour ne pas avoir à faire face à un blackout.

 

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