Monty Widenius, co-fondateur de MySQL : "Oracle n'a aucun intérêt à faire vivre MySQL"
Lors du Forum PHP 2009, Monty Widenius, co-fondateur de MySQL et désormais patron de Monty Program, est venu expliquer son rôle et sa position autour de la décision de la Commission européenne de geler l'acquisition de Sun par Oracle. Une décision qu'il applaudit des deux mains, sans toutefois fermer la porte à Oracle.
LeMagIT : Comment considérez-vous la décision de Bruxelles de stopper l'acquisition de Sun par Oracle ?
Monty Widenius : J'ai collaboré avec la Commission européenne pour m'assurer qu'elle disposait de toutes les bonnes informations sur les bases de données, le marché et l'Open Source. Je suis satisfait qu'elle ait réalisé le sérieux de la situation et décidé de prendre les choses à bras le corps. Je ne pense pas que l'argument "Sun est mal en point" [Larry Ellison prétend que Sun perd 100 millions de dollars par mois par la faute de la Commission, NDLR] doive fonctionner. [...] A mon avis, Oracle essaie tout simplement de se séparer de son plus important rival. Et apparemment, ils sont prêts à sacrifier Sun pour parvenir à leurs fins.
Ma logique est la suivante : j'ai de bonnes raisons de croire que MySQL a fait perdre 1 milliard de dollars de profit à Oracle cette année. Et je suis sûr que je ne suis pas loin de la vérité. Et si Oracle rachète MySQL, quel élément va l'inciter à développer une solution qui leur fait perdre 1 milliard ? MySQL n'a jamais fait beaucoup de profits, peut-être 100 millions dans le meilleur des cas. Pourquoi les dirigeants d'Oracle feraient-ils quelque chose d'une activité qui rapporte si peu ? Il n'y a pas de logique à le faire.
Bien sûr, Oracle peut racheter MySQL et donner l'impression qu'il s'investit dans de nombreux développements. Mais il est certain que peu de clients MySQL mordront à l'hameçon, si ce deal est effectif.
Jusqu'à ce que Oracle donne des preuves qu'il en est autrement, il n'y aucune raison que quiconque approuve cette transaction.[...] Car ce sont les clients qui vont en payer le prix.
LeMagIT : Il semble que Larry Ellison ne souhaite pas se séparer de MySQL. Il est notamment supporté dans son effort par Marten Mickos (ex-Pdg de MySQL) et Larry Augustin (Pdg de SugarCRM). Comment expliquez-vous leurs prises de position ?
M.W : Marten Mickos est employé dans une société qui, je crois, noue des relations très étroites avec Oracle. Il a quitté Sun, alors qu'il n'avait plus rien fait pour MySQL pendant des mois. J'ai fait le même constat quand je suis parti de Sun. Il a pris son argent et est parti. Mais, en dehors de ces quelques noms, beaucoup de gens sont opposés à ce qui a été fait ces 10 dernières années. De nombreuses personnes sont extrêmement frustées chez Sun.
LeMagIT : Oracle ne pourrait-il pas supporter deux bases de données ?
M.W : Oracle est une société à la véritable fibre commerciale. Pourquoi supporteraient-ils deux bases ? Ils perdent beaucoup d'argent avec MySQL. Et encore une fois, il n'y ont aucun intérêt. Et même si Oracle promet de s'engager dans les développements de MySQL et les partenariats autour de la base, comment la Commission va-t-elle faire pour vérifier cela ?
Le principal problème est lié à la GPL [la licence de la version communautaire de la base a en effet pour caractéristique de limiter au seul détenteur du copyright le droit d'embarquer le code dans un produit commercial propriétaire, NDLR], qui représente une véritable opportunité pour une entreprise de solutions d'infrastructure. Presque comme le modèle "closed source", dans la pratique. Sauf qu'elle permet de construire une offre commerciale reposant sur les services. Si Oracle bascule vers une autre licence, gratuite et libre, il pourrait montrer un peu plus son ouverture. Cela montrerait également la motivation d'Oracle pour MySQL.
Mettre MySQL au même rang que BSD ou Apache par exemple [qui sont encadrés par des licences moins contraignantes que la GPL en matière de création de produits commerciaux, NDLR], - comme le fait Google dans ses développements Open Source - , et garantir à la communauté un accès à InnoDB [un moteur de stockage de MySQL, dont Oracle a racheté l'éditeur InnoBase, NDLR ] constituerait une solution. Et cela pourrait marcher.
Ecouter Monty Widenius reprendre les propos de Richard Stallman, président de la Free Software Foundation sur les problèmes liés à la GPL dans l'affaire Oracle contre la Commission :
LeMagIT : Vous et Florian Mueller (militant anti-brevets logiciels, fondateur de la campagne NoSoftwarePatents) avez envoyé un document à Bruxelles demandant à Oracle de se séparer de MySQL. Selon vous, quelle entreprise ou organisation est la plus à même de racheter la base de données libre ?
M.W : Si je comprends bien les choses, il pourrait s'agir de l'entreprise la plus offrante. Et je crois que beaucoup d'entreprises seraient prêtes à réaliser une telle acquisition. Je n'ai pas l'argent de mon côté [avec sa société Monty Program, il a constitué un portefeuille d'offres autour de Maria DB, un fork de MySQL, NDLR]. Depuis la revente de MySQL à Sun pour 1 milliard, le marché s'est en partie écroulé, perdant environ un tiers en valeur. Donc la valeur de MySQL a également suivi la même tendance. [...]
Ecouter ce que Monty Widenius construit autour de MariaDB avec Monty Program :
Ce que j'espère au final, c'est que MySQL trouve une bonne maison, même si c'est Oracle avec de vraies solutions en termes de licencing. Ou une entreprise plus petite où j'aimerais alors jouer le rôle d'interface avec la communauté, sous la marque MySQL ou MariaDB. Un modèle un peu calé sur celui de Red Had [...].
LeMagIT : Comment analysez vous l'action de SAP auprès de la Commission dans ce dossier ?
M.W : Je ne savais pas que SAP avait une telle influence. Mais SAP est un des plus gros clients d'Oracle, car la plupart des systèmes de l'Allemand tournent sur une base de l'éditeur américain. Bien sûr, ils sont très interconnectés. L'affaire du rachat de MySQL par Oracle affecte de nombreux clients de la base de données Open Source, les futurs clients Oracle ou tous ceux qui souhaitent obtenir un meilleur prix pour leur base de données. Et SAP est bien l'un d'entre eux. [...]
LeMagIT : Selon vous, cette affaire aura-t-elle des répercussions sur les développements de MySQL ?
M.W : Les innovations sur MySQL ont déjà été stoppées il y a 5 ans. Il s'agissait d'ailleurs d'un point sur lequel javais beaucoup d'espoirs en intégrant Sun. C'était un désastre complet en matière de développements. Et je comptais beaucoup sur Sun pour régler le problème. Malheureusement, cela ne s'est jamais produit. On peut donc dire que les développements sont déjà morts. C'est également pour cette raison que j'ai quitté le projet. D'ailleurs aujourd'hui, il y deux vrais forks (nouveaux projets dérivant du code initial de la base libre, NDLR) de MySQL, hors Drizzle.