Mike Milinkovitch, Eclipse : “La position d’Oracle vis-à-vis de Java progresse”
Le patron de la fondation Eclipse, Mike Milinkovitch, s’est livré au jeu des questions-réponses du MagIT lors de la journée Eclipse Day Paris le 5 novembre dernier. Une occasion pour lui de revenir sur les prochaines orientations de la fondation, ses enjeux, ainsi que sur les relations, aujourd’hui tumultueuses, qui unissent Java à Oracle.
LeMagIT : Quel bilan faites-vous des 6 années d’existence de la Fondation Eclipse ?
Mike Milinkovitch : Avec 172 membres, nous avons aujourd’hui atteint de nouveau notre niveau d’avant la crise. Nous en sommes satisfaits même si, aujourd’hui, les revenus issus des subventions des membres sont en baisse. Mais la fondation se porte véritablement bien grâce, notamment, à l’arrivée de nouveaux projets. Nous n’avons pas enregistré de ralentissement en matière de projets. Quelque 240 projets sont recensés; nous n’en avions que 12 à la création en janvier 2004. Une belle progression, donc.
LeMagIT : La fondation Eclipse, en tant que fondation Open Source, a -t-elle plus ou moins bénéficié de la crise ?
M.M : Parfois oui, parfois non. Les membres de la fondation qui ont pu profiter d’Eclipse sont des PME, par exemple. Quand ça commence à aller mal, elles considèrent de nouvelles approches. Ces petites entreprises nous ont approché avec de petits projets avec, pour objectif, d’utiliser le modèle Open Source et de revenir dans le jeu. En revanche, pour les plus grandes entreprises, l’inverse s’est produit.
Notamment à cause d’un certain “Jurassic Park Management”, une façon de dire que le management reste parfois immobile devant un danger ou un bouleversement. Mais ce qu’il faut retenir, c’est la hausse du nombre de projets pendant la période. Eclipse fait partie du mainstream dans l'IT et a bonne réputation dans le développement de logiciels.
LeMagIT : Quels sont désormais les enjeux que vous devez relever ?
M.M : Eclipse poursuit plusieurs objectifs depuis plusieurs années. Nous travaillons notamment à faire évoluer les secteurs de la modélisation, des runtimes, et la plate-forme elle-même. En terme de modelisation, nous voyons une grande différence entre l’Amérique du nord et l’Europe. En 2010, je me suis rendu une dizaine de fois en Europe et seulement trois fois en Californie.
En Europe, l’industrie du logiciel est restée dans le domaine de l’IT; on y parle essentiellement d’informatique, de grands comptes, ou de grands intégrateurs systèmes. En Californie, on parle de web 2.0, de Facebook. Le développement logiciel est symbolisé par des concepts différents, que l’on soit en Europe ou aux Etats-Unis. […] Aux Etats-Unis, on parle au leader d’opinion, on aborde les concepts de productivité d’équipe, d’accélération des processus de développement, d’agilité. Mais, pour être honnête, peu semblent être là pour durer.
En Europe, quand on parle avec des spécialistes, c’est différent, car on sent davantage de profondeur dans le discours. On parle de processus, de méthodologie et de modélisation. La complexité y est palpable. Eclipse constitue une communauté très active en matière de modélisation. Et en Europe, notamment ici à Paris, des projets comme ceux de CEA, autour des outils de modélisation, sont très bons.
Notre chance à Eclipse, c’est que nous avons sous la main de nombreuses technologies de modélisation. Et nous souhaitons transformer tout cet éco-système en une plate-forme de modélisation conçue pour durer. Trop de technologies, et pas assez de plates-formes. Et cela sera notre objectif pour 2011.
LeMagIT : Vous devez donc clarifier votre discours en matière de modélisation ?
M.M : Nous avons tellement de projets autour de la modélisation que cela représente une barrière à l’entrée. Si vous visitez pour la première fois le site d’Eclipse et recherchez des outils de modélisation, la tâche est bien trop difficile. Il s’agit de faciliter l’accès aux projets, mais également d’encourager le développement d’outils à partir des projets que nous hébergeons. Nous souhaitons multiplier les combinaisons.
LeMagIT : Et concernant les runtimes et la plate-forme Eclipse ?
M.M : En ce qui concerne nos objectifs en matière de runtime, nous avons abordé le problème il y a au moins 5 ans. Mais les nouveaux projets n’ont commencé à arriver chez Eclipse que depuis ces 18 derniers mois. Des projets, comme Virgo ou Gemeni [un serveur d’application OSGi et un projet qui fédère des implémentations de spécifications dites entreprises OSGi, NDLR], proposent des technologies performantes, qui fonctionnent comme des serveurs d’entreprise. Et cela constitue une étape importante. Le prochain enjeu consistera à faire aboutir ces projets afin qu’ils atteignent la maturité et, plus important, à les intégrer avec les autres technologies Eclipse.
Enfin, en termes de plateforme, nous ne sommes pas suffisamment agressifs. Je pense véritablement que la plupart des outils de développements d’ici 10 ans s’exécuteront dans le navigateur. La proposition de valeur s’en trouve modifiée. Il y a plusieurs années, je n’y croyais pas car un IDE, selon moi, ne devait être disponible que sous la forme d’un client riche. Mais je n’y crois plus désormais. Avec l’architecture de plug-in Java d’Eclipse, nous devons repenser la façon dont nous concevons la plate-forme et les outils de développements. Et cela devrait prendre quelques années. Mais c’est la direction et l’orientation que nous souhaitons prendre. […] Ce serait une erreur pour Eclipse de ne pas considérer le navigateur comme une éventuelle plate-forme.
LeMagIT : Les forces d’Eclipse, comme vous l’avez mentionné dans votre keynote, sont la gouvernance et la contribution. Votre étude annuelle, en revanche, explique que les contributeurs semblent quelque peu s’essouffler. Comment expliquez-vous cela ?
M.M : L’étude est basée sur les réponses fournies par des développeurs visitant le site d’Eclipse. Ils n’étaient donc pas tous des contributeurs de la fondation, mais des utilisateurs de l’IT. L’étude a révélé que la volonté des entreprises, comme les banques ou les compagnies d’assurance, à contribuer à l’Open Source, a diminué.
Je ne pense que ce soit vrai pour le monde de l’IT mais qu’en revanche, les contributions ont augmenté pendant la période de récession [pour cet segment des entreprises de l’IT, NDLR]. Historiquement, les entreprises contribuent à l’Open Source de façon incrémentale. Vous ne pouvez pas demander à une banque de proposer un nouveau projet Open Source. Mais en revanche, vous pouvez lui demander de corriger les bogues ou d’ajouter des fonctionnalités.
LeMagIT : Vous ne pensez donc pas que les contributions ont tendance à être plus concentrées au sein de quelques entreprises ?
M.M : Chez Eclipse, chaque communauté est différente. Il est vrai qu’IBM est un contributeur principal à la plate-forme coeur. Mais la communauté Eclipse, dans sa globalité, est très variée. Quelque 75 entreprises différentes contribuent dans Eclipse. Et ce nombre tend à augmenter. La seule chose qui ait changé, c’est que les grosses entreprises ont dû contrôler leur budget de développement et réduire ainsi leur contribution dans les projets […].
LeMagIT : Pourquoi avoir organisé un Eclipse Day à Paris ?
M.M : Zenika et ProxiAd ont eux-même créé cette journée. Toutes les communautés dans le monde entier constituent le moteur d’Eclipse. […] Ces événements ont trois raisons d’être : la première est l’éducation et l’apprentissage. Les développeurs peuvent y rencontrer des speakers influents et avoir accès à du contenu technique pertinent.
La seconde est la création de communauté. L’email et les newsgroups ne remplacent pas les relations humaines. Et le troisième, Eclipse Day apporte un influx à l’éco-système commercial.
LeMagIT : La communauté française Eclipse est-elle active ?
M.M : Ce n’est pas le premier Eclipse Day. Il s’agit de la troisième ou quatrième journée autour d’Eclipse en France. Paris est le centre de l’IT en France, où il existe une communauté Eclipse très active. La deuxième étant à Toulouse. […] La France est dans le top 10 des sources de téléchargement mondiales, le première étant la Chine, la seconde les Etats-Unis, la troisième l’Allemagne, et la quatrième la Japon. La France est aujourd’hui 5e. Dans l’Hexagone, le niveau de contributions est en revanche plus réduit comparé à l’Allemagne ou aux Etats-Unis.
LeMagIT : Comment considérez-vous la position d’Oracle autour de Java aujourd’hui ?
M.M : Elle progresse. Oracle est une énorme entreprise qui a racheté une autre énorme entreprise, Sun. Et la tâche est difficile. Les travaux d’intégration doivent encore être effectués. Il faut également positionner les forces vives et repenser la stratégie en termes de technologies et de modèle économique. Cela représente un travail de poids.
Il est clair qu’un des points positifs [de l’acquisition de Sun par Oracle, NDLR] est qu’Oracle réinvestit des ressources en termes de développement pour faire évoluer la plate-forme Java. Ces trois dernières années, les profits de Sun avait diminué et il n’avait pas investit dans la plate-forme. Java n’avait donc pas évolué en trois ans. Oracle semble avoir comblé ce vide. Il embauche des développeurs et coordonne les équipes d’ingénieurs. Oracle s’assure que la technologie avance. Et cela est positif pour Java.
La mauvaise nouvelle est qu’au niveau de la gouvernance de Java, il a hérité d’un environnement en pagaille. Le plus frustrant pour moi est de voir certains blogs considérer qu’Oracle est le “vilain gendarme”. Mais il n’en est pas à l’origine. Et cette pagaille existe au moins depuis trois ans. Mais il entend résoudre le problème. Il ne le fera peut-être pas de la façon que tout le monde souhaite. La différence entre Oracle et Sun, c’est qu’Oracle prend des décisions qui sont bonnes pour son business, et les applique. Vous faites avec ou pas, mais il n’y a pas d’ambiguité. Si je pense que cette stratégie peut s’avérer efficace sur le long terme, j’anticipe en revanche une certaine agitation dans les 12 prochains mois.
LeMagIT : Oracle pourrait-il tout simplement fermer Java?
M.M : Ce n’est pas aussi simple. Tout ce qui est arrivé à OpenOffice, MySQL ou Java n’est pas forcément lié. Oracle a des managers qui comprennent parfaitement l’Open Source et sont payés pour penser à ce qui est le mieux pour Oracle en matière de business. Ce que je reproche à Sun, c’est qu’ils ne sont mal occupés de Java en terme de business, et du côté de la communauté, ils n’ont fait que communiquer. On peut toujours communiquer avec les développeurs, mais ils attendent surtout après une plate-forme performante.[…] Le vrai dynamisme de Java vient de sa large adoption dans les entreprises et d’un puissant éco-système multi-fournisseurs. L’accord entre IBM et Oracle [autour d’OpenJDK, NDLR] montre qu’ils ont réalisé qu’il était plus important de pousser l’innovation dans Java en collaborant.
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