Le Big Data dans les sociétés de services financiers crée une demande de « Chief Data Officier »
La finance, la banque et l’analyse statistique ont des exigences diverses et très variées que seul un « CDO » pourrait gérer correctement. Entretien avec un expert du sujet chez CapGemini.
Le rôle d’un Chief Data Officier est de gérer la donnée. Mais les exigences varient grandement d’une industrie à une autre. Certaine peuvent avoir besoin de ce profil, d’autres moins. Selon Zhiwei Jiang - qui a passé 20 ans dans la banque avant de rejoindre CapGemini en tant que responsable des bonnes pratiques autour de la donnée - les services financiers ont clairement un besoin de CDOs. Un point de vue qui s’appuie également sur une récente étude de l’ESN au nom évocateur : « Stewarding Data: Why Financial Services Firms Need a Chief Data Officer ».
LeMagIT / SearchDataManagement : CapGemini a identifié quatre domaines où le Big Data est une opportunité pour la finance : la gestion du risque, l’efficacité opérationnelle, l’expérience client, et l’identification de nouveaux business model. Ce qui pose une question : est-ce qu’une seule et même personne peut être bonne dans ces quatre domaines à la fois ?
Zhiwei Jiang : Ha ! Réponse courte… non. Sauf à être magicien, il n’y a pas moyen qu’une seule personne résolvent tous ces problèmes. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de CDOs qui réussissent. Ceux-là savent poser des fondations. Par fondation je veux dire une stratégie autour de la donnée, de sa gouvernance (« Data governance ») et de ses responsables (« Data stewardship »).
Ce qui revient à dire qu’ils ont une équipe pour la modélisation des données, une autre pour la gouvernance, et qu’ils ont une feuille de route globale pour aboutir à l’adoption du Big Data. Quelques-uns ont même une équipe de Data Scientist pour les analyses statistiques.
Donc quand un budget est alloué, ils établissent quatre ou cinq flux d’investissements - qui recoupent la cartographie qu’ils ont faite autour de la donnée. Chaque flux permettant de gérer les taches de la gouvernance globale jusqu’au Data Lake. C’est comme cela que les CDOs les plus compétents que j’ai rencontrés travaillent.
LeMagIT / SearchDataManagement : Votre étude réalisée avec l’association bancaire EFMA, affirme que les entreprises qui ont un CDO ont un taux de réussite de 43 % dans leur adoption des Big Datas alors que celles qui n’en ont pas ne sont qu’à 31 % de réussites. Mais quand on a un CDO, sous quelle autorité doit-il idéalement travailler ? Le PDG ? Le DSI ?
Zhiwei Jiang : Il y a plusieurs options. Dans les grands groupes, et particulièrement les banques, le Chief Data Officier en réfère au DSI. Quelques fois même au Responsable de l’Architecture Informatique. Dans d’autres cas, le CDO est au même niveau dans l’organigramme que le DSI. Et il en réfère alors souvent au DOP (Directeur des Opérations). Plus rarement, le CDO est sous les ordres du DAF. Mais c’est possible également.
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De mon point de vue, le Chief Data Officier a pour objectif de participer à la conduite du changement – augmenter la valeur des données pour le business, que ce soit augmenter le chiffre d’affaires ou réduire les coûts, ou, dans une industrie comme la finance, de mieux gérer les impératifs réglementaires. Ma recommandation c’est donc de mettre le DSI et le CDO au même niveau hiérarchique et qu’ils en réfèrent au même directeur. Qui sera souvent le DOP. Il faut que le CDO ait vraiment les mêmes responsabilités et la même reconnaissance que le DSI.
L’idée commence d’ailleurs à faire son chemin. La majorité des sociétés de services financiers que nous avons rencontrées ont déjà un CDO en poste. Et elles sont, de plus en plus, d’accord sur la manière dont la fonction doit être organisée et articulée.
LeMagIT / SearchDataManagement La finance semble être un peu en retard dans le Big Data. Certainement parce que c’est un domaine où la réglementation, très stricte et importante, impose beaucoup de précautions. Alors que d’autres secteurs, comme la distribution, ont pu innover (sur le Web avec le e-Commerce par exemple) et expérimenter (les analyses Big Data par exemple) avec beaucoup moins de contraintes et de freins… Est-ce juste une impression ?
Zhiwei Jiang : Non. Je dirais qu’effectivement l’adoption du Big Data est plus lente qu’ailleurs, plus lente que dans le Retail en tout cas, ou que dans les services gouvernementaux. Et pourtant les sociétés de services financiers sont assises sur des quantités incroyables de données. Il y a beaucoup de choses qu’elles peuvent apprendre de ce que la grande distribution a fait de ses propres informations, particulièrement de la vision à 360 ° qu’elle a aujourd’hui de ses clients.
En fait, si vous observez bien la banque, vous vous rendez compte qu’il y a une tendance où les sociétés que vous pouvez qualifiées de « banques de commerce » (« retail banks ») ont une approche très différente du Big Data des banques d’investissements. Elles font beaucoup plus de progrès, plus rapidement, que ces dernières.
LeMagIT / SearchDataManagement Peut-on dire, de ce que vous avez pu voir, qu’il y a un manque de coordination entre les équipes en charge de l’analyse statistique (Analytique) et celles en charge de la gestion des données dès qu’on aborde de nouvelles technologies ?
Zhiwei Jiang : Oh que oui. Si vous regarder la partie « innovation » des choses, c’est très troublant. Toutes ces choses que sont les distributions Hadoop, les outils d’ETL, ceux pour faire du SQL et d’autres comme la DataViz, tout cela crée beaucoup de confusions. Dans le passé, tout était beaucoup plus simple. Aujourd’hui, il y a des personnes à qui ces choix technologiques pléthoriques font peur.
Ce que je constate au final, c’est que l’industrie financière est en retard dans l’adoption de ces évolutions et dans la révolution Big Data en cours.
Il y a plusieurs explications à cela. La première est que beaucoup de sociétés du secteur n’ont pas encore trouvé l’idée d’une « killer app » liée au Big Data. Une application qui bougerait vraiment les lignes.
La deuxième est que dans la banque, l’objectif principal n’est pas d’innover pour innover. Nous avons parlé des contraintes règlementaires, il y aussi la volonté de réduire les coûts. Le principal dans le secteur c’est vraiment ce triptyque : comment j’augmente ma marge ? Comment je réduis mes coûts ? Comment je gère au mieux la réglementation ? Si l’innovation permet cela, tant mieux.
Et puis il y a la culture du secteur. Les personnes qui sont aujourd’hui dans les sièges des DSI des banques viennent principalement du développement et du management. Les PDG viennent de l’opérationnel. Mais quand vous y pensez, aucun de ces deux parcours ne forment aux compétences dont on a besoin aujourd’hui pour gérer les données. Il y a en quelque sorte un manque de « pensée de la donnée » dans le leadership des établissements financiers.
Mais pour autant des choses se passent. Les banques de commerce et de détails ont innové autour de leurs cœurs de métiers. Et en ce qui concerne l’efficacité opérationnelle et la « compliance », des avancées ont été faite dans la prévention des fraudes et le blanchiment d’argent.