Kti Dossot, TCS : «nous avons une stratégie à long terme»
Selon le dernier baromètre PAC sur les prestataires de services IT France, TCS se classe 65ème. Loin derrière le numéro un du secteur, IBM, ou encore de Wipro qui, arrivée 39ème s’affirme comme première SSII indienne dans l’Hexagone. Mais Tata Consultancy Services s’avère menaçant, lui qui a réalisé une croissance de rien moins que 72 % en 2010, à 61 M€, contre 24 % pour Wipro et 20 % pour Infosys. Retour avec Kti Dossot, directrice chargée du développement commercial de TCS en France, sur la stratégie de la SSII.
LeMagIT : Quand êtes-vous arrivée chez TCS et avec quelle mission ?
Kti Dossot : Je suis arrivée le 1er octobre 2009 à la fonction de directeur des ventes et du développement. La mission qui m’a été confiée consiste à définir le business plan qui permettra à TCS de s’implanter sur le marché français avec des objectifs agressifs. TCS était déjà présent en France, depuis 1992, via TKS, que la SSII a racheté avant la crise. Mais la direction était convaincue du besoin d’une personne connaissant le marché français pour pouvoir s’y développer. C’est cette stratégie de localisation que l’on met en oeuvre depuis.
Auparavant, j’ai travaillé chez HP durant 5 ans, et chez EDS. Cela m’avait donné l’occasion de connaître le modèle de delivery dans l’autre sens : de l’offshore, certes, mais avec beaucoup de ressources locales, près du client. Avec TCS, c’était un peu l’inverse avec très peu de ressources locales pour commencer.
LeMagIT : Et cela ne vous a pas semblé adapté au marché français ?
K.D. : Je me suis retrouvée en clientèle dès le mois d’octobre 2009, très peu de temps après mon entrée en fonctions. Certes, la crédibilité ne manquait pas sur le niveau de connaissance métier et de compétence. Et la volonté d’engager une relation était bien là mais, pour passer le cap, il fallait quelqu’un en local pour bien comprendre les besoins et qui ait la sensibilité du marché client - le commerce de détail, en France, n’a rien à voir avec le commerce de détail en Inde -; quelqu’un qui soit capable d’écouter le client, y compris dans ses non dits. Je l’ai constaté immédiatement avec ce client, Kits (groupe Kingfisher). Il voulait travailler avec un acteur indien mais nous n’avions pas le directeur de projet local ni l’expert SAP ou BI ou CRM pertinent, en France. Alors nous avons perdu le dossier. Mais c’est une très belle histoire... Kits a persévéré. On a retravaillé avec ce client une autre dossier; nous avions progressé et j’avais un commercial avec une spécialité retail. Et puis j’avais aussi un solution manager pour construire la solution avec le client et avec les équipes indiennes. On a gagné ce dossier mais on l’a reperdu parce que l’on n’avait pas encore bien anticipé toutes les contraintes - visas, faire venir équipes indiennes... Le dossier a fini chez Sopra.
Et puis il y a eu un troisième projet. Que l’on a gagné. Et cette fois, nous sommes au point. D’ailleurs, Kits nous demande de travailler avec Sopra pour la phase II du second projet.
LeMagIT : Avez-vous constaté d’autres barrières à l’entrée sur le marché français ?
K.D. : Les barrières que je perçois de la manière la plus marquée, ce sont les différences culturelles et les obstacles linguistiques. Mais la situation n’en est pas moins en train d’évoluer, et notamment sur ce que l’on va chercher chez un acteur indien. Le marché a colporté une image réductrice selon laquelle une SSII indienne servait uniquement à réduire les coûts avec des taux horaires bas et des ressources en masse. Lorsque l’on entre dans un dialogue avec un client et qu’il commence tout de suite par discuter prix, on se dit que l’on n’est pas au bon endroit. Et c’est d’autant plus vrai que TCS n’est pas le moins cher sur le marché. Et que ce n’est pas son but. Mais les choses changent. Par exemple, récemment, nous avons rencontré un grand acteur du luxe, à sa demande. Nous anticipions les questions de coûts mais, en fait, il voulait surtout savoir comment il pourrait optimiser ses ventes en s’appuyant sur notre expérience internationale. C’est l’illustration de ce que l’on commence à être sollicitées pour la valeur ajoutée que l’on peut apporter. Et maintenant, nous disposons des gens capables de créer cet intérêt et l’on sait amener ceux qui pourront faire l’interface avec nos équipes anglophones.
LeMagIT : Justement, recruter des personnes capables de faire cette interface n’apparaît pas toujours très simples...
K.D. : Il y a trois types de compétences que l’on déploie localement. Tout d’abord, les équipes de développement commercial, de marketing; tout ce qui relève de la communication avec le marché et avec le client : vente, gestion de comptes clients, etc. Là, on recherche systématiquement des connaissances du métier clients; pas des personnes qui maîtrisent nos offres. Une personne qui connaît par coeur un métier, on trouvera toujours le moyen de l’ouvrir au portfolio. Et ces profils là ne sont pas trop durs à trouver. On recrute des personnes qui viennent de Capgemini TS, d’Atos, ou encore de HP EDS.
Au-delà, il nous faut aussi des experts solutions - business manager ou solution architect. Nous préférons parler de solution manager car il faut aussi réfléchir à quelles solutions apporter ou adapter au marché français. Là encore, le recrutement n’est pas trop difficile : nous avons trouvé des expertises infrastructure, BI, ou encore CRM.
Les difficultés se concentrent sur le troisième type de profils recherchés : des personnes capables de gérer le compte, le pilotage du projet et le delivery. Nous travaillons systématiquement suivant un modèle d’équipe mixte franco-indienne. C’est clairement le profil le plus difficile à trouver sur le marché. Le modèle mixte onshore/offshore n’est pas forcément bien maîtrisé. Et ce sont des postes à risque... alors que les profils correspondant sont peut-être moins tentés par le risque et le défi que ceux qui acceptent les postes relevant du second profil que je vous ai décrit. Du coup, les délais d’embauche sont plus longs. Et je ne vous cacherai pas que l’on n’est pas du tout à notre objectif en termes d’embauches. Nous avons même dû élargir le nombre de prestataires chasseurs de têtes pour accélérer le mouvement.
LeMagIT : Pourquoi n’appliquez-vous pas, en France, les méthodes de formation multi-culturelle que vous avez développées en Inde ?
K.D. : Nous disposons d’un processus d’induction pour les personnes que l’on embauche. Souvent, cela se traduit concrètement par un séjour de 15 jours en Inde avec formation sur un métier ou sur une offre. C’est Indubalah Ashok qui porte ça. Nous avons mis en place des sessions en Inde mais aussi ici, en France. Et notre équipe recèle une personne franco-indienne, qui anime un club multi-culturel. On lui a demandé de nous aider; il a préparé des éléments de sensibilisation que l’on partage avec tout nouvel entrant.
Et puis, de manière moins formelle, il y a la constitution des équipes : les équipes sont mixtes ici. Sur le développement, c’est un Indien s’occupe d’Alcatel. Et un Français pour nos clients opérateurs. Sur BNP Paribas, c’est un Indien, etc. Mais pour que les gens se comprennent, au quotidien, il faut surtout de la transparence et instaurer une facilité, une simplicité dans les échanges : nous avons des dialogues très ouverts avec la volonté de se comprendre mutuellement.
LeMagIT : Et comment percevez-vous cette rentrée, après toutes les tensions qui sont apparues au coeur de l’été ?
K.D. : La situation aux États-Unis risque d’avoir un impact fort - c’est un marché important pour TCS. Mais, en France, nous sommes encore très petits. L’offshore représente peut-être 1,8 ou 2 % du marché. Il y a loin avant que l’on ne ressente le moindre ralentissement. En l’état, en tout cas, je n’en perçois pas. Nous avons des dossiers, des demandes clients. Ce que je vois, en revanche, c’est une véritable agressivité sur les prix; la bataille est forte sur ce terrain-là.
Mon sentiment est que les entreprises françaises ont commencé à faire de l’offshore parce que qu’on les a convaincues d’en intégrer un peu pour réduire les coûts, mais de manière non visible, transparente. Désormais, elles sont tentées d’aller vers l’offshore avec un authentique acteur offshore. Toutefois, la bataille sur les prix, et entre acteurs indiens, sera intense. On le ressent déjà; HCL est par exemple très agressif. Cela dit, nous avons une stratégie à long terme; nous ne sommes pas là pour faire des coups. Le maintient de la marge, ça fait aussi partie de notre stratégie.
Et si l’on pense aussi à réaliser une acquisition, c’est sans précipitation, quand cela fera du sens.