Jeff Bonwick, Sun Fellow : « nous voulons appliquer au stockage le modèle x86 »

Père du système de fichier ZFS et aussi fin connaisseur du noyau de Solaris, Jeff Bonwick est aujourd'hui l'architecte des solutions logicielles au coeur de l'offre Open Storage de Sun. Avec cette nouvelle offre, qui combine composants standards et logiciel libre basés sur Solaris, Sun entend appliquer au monde du stockage les mêmes recettes que celles qu'Intel a appliqué au monde des serveurs. La promesse : plus de performances à un prix bien inférieur. Bonwick a accepté de répondre à nos questions lors de JavaOne. Cette interview parait tardivement par respect pour Bonwick qui avait accepté de discuter en avance de certains systèmes qui n'étaient pas encore disponibles à l'époque.

image 5Sun a récemment annoncé sa plate-forme logicielle Solaris Open Storage et John Fowler (le patron de la division serveurs et stockage) a indiqué que la prochaine génération de serveurs NAS de Sun s'appuiera sur ces technologies. Quel est l'objectif de Sun avec cette plate-forme?

Ce que nous souhaitons, c'est bouleverser l'équilibre dans le monde du stockage avec des plates-formes nettement moins coûteuses qu'aujourd'hui. Il ne s'agit pas de simplement baisser les prix de 20%, mais d'appliquer au monde du stockage une rupture similaire à celle qu'à engendré l'irruption des serveurs x86 dans le monde des serveurs d'entreprises. Il s'agit en fait de construire des plates-formes basés sur des composants banalisés et d'ajouter de la valeur ajoutée par le logiciel. La clé est donc de disposer de la bonne pile logicielle. Avec la pile Solaris Open Storage, nous disposions déjà de toutes les briques clés, comme ZFS et Solaris, mais aussi d'une pile CIFS issue du rachat de Procomm, des piles SAN FC et iSCSI…
Le problème est qu'il faut encore assembler  ces composants à la main ce qu'aucune entreprise n'est disposée à faire. Ce modèle n'est adapté que pour des "hobbyistes" ou pour des intégrateurs disposant du savoir-faire pour assembler les différentes pièces. C'est pour cela que nous travaillons depuis plusieurs mois sur un atelier de conception d'Appliances ("Appliance Toolkit"), dont le nom de code est FishWorks. Je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler.


Ce que nous en avons compris jusqu'alors est que cela permettra à Sun d'assembler un espèce de Solaris Storage Server, similaire dans le principe à Windows Storage Server, et que vous l'utiliserez comme OS de stockage prêt à l'emploi pour vos futures baies NAS et SAN…

En fait, c'est un peu plus que cela. FishWorks est un peu plus générique, on ne lutte pas contre son ADN… Certes sa première mouture permettra de construire des appliances NAS, mais les prochaines versions auront un spectre bien plus large, pas forcément limité au stockage. Et le meilleur est que cet atelier sera disponible sous forme open source.
L'équipe qui a en charge le développement de FishWorks est composée de gens brillants, dont trois des développeurs qui ont travaillé sur notre technologie de diagnostic Dtrace, ainsi que des développeurs de ZFS, des spécialistes des interfaces utilisateurs. Le but de Fishworks est en fait de proposer un atelier de construction d'appliances qui aille au delà des simples serveurs de stockage. Lorsqu'on y regarde de plus près, une appliance, qu'elle soit un serveur NAS, un routeur ou un serveur vidéo, a toujours besoin des mêmes composants, par exemple des outils de diagnostic de panne et de gestion de performance, dans notre cas bien entendu basés sur Dtrace,  des outils d'administration à distance…
 
C'est cet outil que vous utiliserez pour bâtir la prochaine plate-forme NAS de Sun ?

Oui exactement. Et si tout va bien elle devrait arriver vers l'automne. L'un des points clés de nos travaux porte sur le développement d'une interface d'administration web avancée utilisant largement AJAX (Ce sera aussi le cas de l'interface d'administration de l'hyperviseur xVM Server, NDLR). Cette interface très intuitive permettra d'effectuer toutes les tâches d'administration et offrira des outils avancés de reporting et d'analyse exploitant les informations collectées par Dtrace et par la pile FMA (Solaris Fault Management). Les outils analytiques embarqués permettront par exemple d'effectuer des analyses de pannes (root Cause analysis) exploitant les données d'historique collectées par DTrace.

Certains des composants matériels nécessaires à nos NAS seront lancés avant la partie logicielle, ce sera notamment le cas de nouveaux serveurs et JBOD. Mais pour  que ces briques de bases deviennent la base de nos futurs serveurs NAS nous avons encore un peu de travail. Nous travaillons par exemple sur une solution de cluster simple, différente de Sun Cluster, et qui permette d'avoir une redondance au niveau des noeuds de contrôle NAS. C'est une solution actif/passif qui ne nécessite pas d'architecture coûteuse comme un espace mémoire mirroir. En fait, on a conçu une carte "heartbeat" (littéralement battement de cœur) et on utilise un disque SSD Flash avec deux ports SAS visible par les deux nœuds pour journaliser les I/O. On utilise aussi des SSD pour compléter la mémoire et doper les performance. Le SSD sert en fait de cache d'éviction : au lieu de jeter une page de cache, on la conserve dans le SSD ce qui permet de doper la taille du cache de façon très économique du fait du faible coût de la mémoire Flash par rapport au DRAM. Au final cela nous permet d'obtenir des performances et une fiabilité très élevées tout en minimisant les coûts.


Une question que nous avons pas évoquée est de savoir comment Sun entend monétiser sa plate-forme Fishworks. Vous aurez bien sûr vos propres NAS, mais comment entendez vous gagner de l'argent lorsque d'autres utiliseront Fishworks pour bâtir leur propres appliances ?
La première façon de monétiser notre investissement bien entendu de vendre nos propres solutions NAS et les composants matériels de l'offre Open Storage. Nous fourniront aussi du support et du consulting aux clients souhaitant bâtir leur propre infrastructure Open Storage en utilisant nos briques logicielles. Même si le code est libre, une large partie a été développée en interne, ce qui fait  que nous concentrons pour l'instant l'expertise sur la plate-forme. Cela va évoluer. Par exemple, nous travaillons avec des start-ups et intégrateurs intéressés par Open Storage. L'une des start-ups avec laquelle nous discutons est notamment intéressée par notre atelier de construction d'appliances. Et elle a une poignée de développeurs très compétents. En fait dans le monde du stockage, les communautés de développeurs ne sont de toute façon pas très larges. L'équipe qui écrit le cœur de ZFS comporte par exemple une douzaine de personnes. Il faut que ces équipes restent compactes. Nous avons la responsabilité des données des clients. On ne peut se permettre des réflexions de type "tiens, si on modifiait cette ligne de code pour voir ce qu'il se passe".

Les consommateurs de stockage les plus avides du moment sont les géants de l'internet comme les opérateurs télécoms, les Google, Yahoo ou Microsoft. tous sont à la recherche du stockage le plus économique possible pour leur applications et services en ligne. Ces entreprises pourraient-elles être intéressée par une plate-forme comme FishWorks.

En fait Google est un cas à part. Nous avons fait les additions pour voir si leur approche faisait sens économiquement et nouspourrions très bien assembler leurs plates-formes de stockage à un coût inférieur au leur, comme le pourraient d'ailleurs HP ou Dell. Mais ils ont tellement de cash que cela ne leur importe pas.  On a parlé à quelques géants de l'Internet et à des grands comptes gouvernementaux pour leur présenter la plate-forme OpenStorage. Ils sont intéressés, mais je ne peux malheureusement pas vous donner de nom. Tous ces clients ont toutefois une caractéristique commune : ils sont prêts à prendre certains risques pour adopter une nouvelle plate-forme si celle-ci leur fournit un avantage compétitif…

Pour approfondir sur Gestion et administration du Datacenter