Jean Mounet, Syntec Informatique : « maintenant, on aimerait de l'action »
Très critique de longue date sur l’absence de politique industrielle en matière de logiciel, Jean Mounet a suivi de près le discours de Nicolas Sarkozy à l'issue des états généraux de l'Industrie. Le Président propose notamment le retour des grandes filières, dont le logiciel. Si le président de la chambre patronale des SSII et éditeurs reconnaît que le diagnostic est bien posé, il estime qu’encore une fois on ne parle pas suffisamment de l’importance du numérique. Et revient sur les risques concernant la délocalisation des unités de R&D et la nécessité d’adopter un Small Business Act européen pour les PME du secteur. Entretien exclusif.
LeMagIT : Au moment de la sortie du plan numérique 2012, vous regrettiez l’absence d’une politique spécifique pour le logiciel, qu’avez-vous pensé du discours de Nicolas Sarkozy en matière de politique industrielle et notamment de sa proposition de créer une filière dédiée au logiciel ?
Jean Mounet : Tout d’abord il faut souligner qu’il est assez rare qu’il y ait un discours économique aussi complet. Je pense qu’au niveau des aspects positifs, il y a un assez bon diagnostic sur l’importance de l’innovation, de la place des PME dans le tissu économique et également des charges trop importantes qui pèsent sur les entreprises. Il est également important de mettre le doigt sur les politiques d’achat des entreprises – notamment les plus importantes – qui pensent plus souvent à la délocalisation pour des questions de coûts qu’à la qualité des prestations. Enfin, le Président de la République a également évoqué avec raison l’absence de politique industrielle forte à l’échelle de l’Europe. Nous sommes les plus vertueux en matière de libre échange, mais l’Europe manque effectivement d’une stratégie à ce niveau. Il y a donc un bon constat général mais, au final, je regrette qu’encore une fois, on ne parle pas suffisamment de numérique, alors qu’il s’agit d’un élément clé de notre compétitivité.
LeMagIT : Il y a tout de même cette notion de filière logicielle...
J.M. : Bien sûr l’idée est intéressante, mais il faudra voir en terme de plan d’action. Il aurait surtout fallu qu’il y ait un lien de fait entre la recherche de gains de productivité de l’économie – au cœur du discours présidentiel – et l’univers des systèmes d’information. Les PME notamment sont sous-équipées en matière d’applications e-business. Il faut prendre des décisions à ce niveau. En fait, la liaison entre productivité et innovation d’une part et économie numérique et systèmes d’information d’autre part n’est pas réalisée, alors qu'elle est primordiale.
J’ai également un second regret au niveau du manque de fléchage. On a de nouveau un saupoudrage sur l’ensemble de l’industrie en général sans réelles indications sur les secteurs sur lesquels il faudra investir, ceux qui seront censés porter la croissance à l’avenir.
Enfin, dernier regret, lorsque l’on parle de délocalisation, on évoque le problème de l’industrie en omettant les risques sérieux sur les services. Hors, c’est également là que sont les emplois. L’erreur est de penser que les services ne sont pas délocalisables. Mais les pouvoirs publics confondent les services à la personne, comme les coiffeurs, et ceux aux entreprises dont l’informatique, particulièrement vulnérables !
LeMagIT : Considérez-vous que Syntec Informatique a vocation à rejoindre l’« instance de réflexion stratégique et d'échange » pour le logiciel (un organe qui doit être créée pour chaque filière selon le discours de Nicolas Sarkozy) ?
J.M. : On n’a pas encore de précision à ce niveau-là, mais Syntec informatique travaille déjà avec Bercy et les équipes de Nathalie Kosciusko-Morizet (secrétaire d'Etat au Développement de l'Economie Numérique, NDLR) sur la définition d’un observatoire du numérique intégrant la dimension logiciels d’entreprise afin d’y voir plus clair en matière de mesure de la croissance, de l’impact de TIC ou encore des gains réels de productivité sur l’économie. Il faudra attendre la mise en place pour en savoir plus sur cette logique de filière. Le diagnostic est désormais largement partagé. Maintenant, l’important c’est de savoir quel plan d’action doit être mis en œuvre et avec quels moyens.
On en revient à une revendication déjà ancienne portée par Syntec et présente dans de nombreux rapports : celle d’un « Small Business Act » européen (qui, sur le modèle américain, permet de réserver une partie des marchés publics aux PME, NDLR), pour favoriser la croissance de PME. Pour l'instant, on cherche à améliorer la capitalisation de ces entreprises avec une sorte de Small Business Act boursier, mais ce n’est pas suffisant.
LeMagIT : Autre point évoqué par le Président de la République, celui de la relocalisation, notamment des activités de R&D. Quel peut-être l’impact sur l’industrie du logiciel ?
J.M. : L’idée de relocaliser notamment la R&D est très bonne. Maintenant, là encore, il faudra regarder les modalités d’action. Cependant je ne sais pas bien comment on va pouvoir contraindre les entreprises à rapatrier leurs activités. Du côté des grands éditeurs de logiciels, cela fait longtemps que les délocalisations de R&D sont pratiquées. Mais, depuis fin 2008, ce sont les plus petits éditeurs qui s’y sont mis. Récemment plusieurs éditeurs français ont confié leur R&D à des structures au Maroc et en Tunisie. Il y a urgence à freiner ce phénomène, mais encore faut-il savoir comment s’y prendre.
De manière générale, tout le monde semble d’accord sur le diagnostic à porter sur l’état de l’économie française. Le problème n’est donc plus de produire des rapports – on a déjà eu celui sur le numérique, le grand emprunt, la commission Attali - ou de faire des constats, mais bien de décider et de mettre en œuvre. On aimerait de l’action.
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