Fabrice Coquio, Interxion : «la politique d’ErDF n’a pas suivi la demande»
Interxion investit 130 M€ dans son septième centre de calcul parisien, d’une surface utile de 9 000 m2. Selon lui, la région Ile-de-France a atteint la saturation, au moins jusqu’en 2017, faute d’approvisionnement électrique suffisant. Le point sur la situation avec Fabrice Coquio, directeur général d’Interxion France.
LeMagIT : Quel est, à ce jour, l’état du parc de centres de calcul mutualisés en Ile de France ?
Fabrice Coquio : Il y a aujourd’hui un peu plus de 200 000 m2 construits pour un peu moins de 6 000 m2 disponibles. Ces chiffres proviennent à la fois de nos propres efforts d’intelligence économique et de celles de CBRE, qui scrute l’état du marché en l’Europe de l’Ouest. Nous sommes présents dans 11 pays européens et les tendances qu’il dégage et les niveaux de stock qu’il rapporte sont cohérents avec ce que l’on observe.
En Europe et, spécifiquement à Paris, nous sommes dans une situation où la demande excède l’offre disponible d’environ 15 à 20 % chaque année. D’où l’augmentation des prix de l’ordre de 15 % que l’on a constaté à Paris en 2009 et en 2010, par simple effet de raréfaction de l’offre.
Et si l’on se projette, on estime que la situation va perdurer dans les deux à trois prochaines années. D’une part, parce que la demande demeure très soutenue, avec une progression moyenne annuelle attendue de 25 % par an sur les trois à cinq prochaines années. Et du côté de l’offre, certains problèmes demeurent et de nouveau apparaissent. Tout d’abord, construire un centre de calcul, c’est long : jusqu’à 2 ans, 2 ans et demi. Et cela nécessite des investissements de plus en plus importants.
LeMagIT : Selon vous, l’offre ne sera pas en mesure de se développer d’ici à 2017. Pour quelle raison ?
F.C : Si notre nouveau centre de calcul, à La Courneuve, affiche deux fois la taille du précédent, c’est notamment parce que l’on anticipe un réel problème de rattrapage du marché. Le phénomène est complètement conjoncturel.
Tout d’abord, les acteurs tels qu’Interxion s’attachent à construire pour des équipements qui n’existent pas encore. Et la tendance est clairement à une densification des équipements. Bien sûr, tous les acteurs de l’industrie travaillent à des évolutions fortes, notamment sur la consommation, mais ces évolutions sont longues, il n’est pas question de révolution du jour au lendemain. Il y a bien des progrès, mais ceux-ci sont absorbés par l’augmentation des volumes de machines dans le parc et donc la densité. De mon côté, j’ai une très belle ligne droite représentant l’augmentation de ma consommation électrique au m2 depuis plusieurs années : 25 % de croissance par an... On peut imaginer que cela s’infléchira un jour mais pas jusqu’à baisser. D’où notre positionnement sur la haute densité. En moyenne, les bâtiments à Paris livrent autour de 1200 kw/m2; nous proposons le double. Nous avons conclu un contrat pour 2x32 MW afin d’alimenter notre nouveau centre de calcul de La Courneuve. C’est la consommation d’une ville de 50 000 habitants.
C’est possible parce que la Courneuve, c’est une friche industrielle qui a hérité d’une infrastructure électrique très importante. Mais, en quelques années, la réorganisation de l’espace urbain et le développement des centres de calcul ont absorbé cet acquis. Et ERDF s’est laissé dépasser; sa politique d’investissement n’a pas suivi. La situation est qu’en dehors de notre centre de calcul et d’un autre, d’Equinix, il n’y aura plus rien jusqu’en 2017 car ERDF n’a plus aucune disponibilité dans ses postes sources à 20 000 V. Ils sont en train de construire des postes sources mais... cela ne prend pas 18 ou 24 mois, c’est plutôt l’affaire de cinq à six ans.
LeMagIT : N’est-ce pas un faux problème ? Les régions ne peuvent-elles pas prendre le relais alors que l’on a vu des projets importants, à Val de Reuil par exemple ?
F.C : Ce n’est pas un faux problème. Ce que le Crédit Agricole construit à Chartres, avec un centre de calcul de 4 000 m2, ou qu’Orange Business Service et EDF construisent à Val de Reuil, ne correspond pas au profil de demande qui nous concerne. Parce que notre métier est de faire du bâtiment mutualisé - c’est à dire mieux, plus vite et moins cher que si le client faisait lui même. Or, si un client est capable de consommer 3 MW pendant 10 ans dans un endroit unique, il peut avoir un intérêt économique à le gérer lui-même. Mais ce n’est pas le seul critère. Il y a aussi les usages de connectivité.... Crédit Agricole, à Chartres, vise son activité de banque de détail. Cela ne correspond pas forcément à un besoin de haute densité, ni de temps de latence très faibles qui nécessiteraient d’être au plus près des gros noeuds d’interconnexion.
Des activités d’investissement ont besoin, au contraire, d’être au plus près des noeuds de trading, de s’interconnecter avec un minimum de latence avec les places boursières, etc. Ajoutons à cela les questions de puissance disponible et de rapidité de fourniture des surface et là, on arrive à nos offres.
LeMagIT : N’est-ce toutefois pas l’occasion de repenser certaines architectures, en utilisant l’Ile-de-France pour des points de présence ?
F.C : Un acteur tel qu’Interxion n’a pas vocation à répondre à tous les besoins. Nous nous positionnons sur les plus porteurs et les plus structurants. Mais prenons l’exemple d’un grand groupe comme Total qui vient chez nous, en région parisienne, pour trouver un écosystème : sous traitants, fournisseurs, constructeurs, intégrateurs... disponibles 24h/24 avec des délais de réaction parfois inférieurs à l’heure... Seules les grandes capitales sont capables de fournir ça et c’est le besoin exprimé par nos clients. Au-delà de la complexité des plateformes, il y a des tendances telles que le Cloud Computing, devenues une réalité - Amazon et Microsoft sont chez nous. Leur problématique est de pouvoir accepter à la fois des PME/TPE et des grands comptes à un coût de connectivité acceptable. Seules les grandes capitales ont une offre de connectivité qui permette, sur le plan tarifaire, de répondre à cet impératif. Interxion est quasiment devenu une place de marché télécoms. Seule cette concurrence a pu faire baisser les prix tout en améliorant la qualité. Nous sommes à 0,8 euro le Mbps de BP !
Hors Ile-de-France, les coûts télécoms peuvent représenter le même coût que l’hébergement par absence de véritable concurrence. Toutes les économies faites sur l'intégration, la virtualisation... sont ruinées par l’impact des coûts télécoms. Depuis quatre à cinq ans, la tendance, qui s’est accélérée, est à la concentration des télécoms sur les capitales. Est-ce qu’elle va s’inverser? Je ne le pense pas... Tous les opérateurs sont sur une logique de rationalisation des infrastructures. Et cela se traduit par la fermeture de points de présence (POP) et par le grossissement des plus gros POPs existants... AT&T a pris 400 m2 chez nous pour son POP français. Car c’était le plus rentable aujourd’hui.