Entretien avec Stefan Sigg (SAP) : le marché de l’analytique à un tournant majeur
La BI, l’analytique et le prédictif sont aujourd’hui au cœur du catalogue de SAP. La conférence « TechEd && d-code », qui s’est tenue à Berlin la semaine dernière, a été l’occasion de rencontrer Stefan Sigg, Vice-Président, Head of P&I Analytics, en charge de l’ingénierie des produits analytiques de l’éditeur, pour faire le point sur sa vision du marché, ses évolutions récentes et ses tendances à venir.
La BI, l’analytique et le prédictif sont aujourd’hui au cœur du catalogue de SAP. La conférence « TechEd && d-code », qui s’est tenue à Berlin la semaine dernière, a été l’occasion de rencontrer Stefan Sigg, Vice-Président, Head of P&I Analytics, en charge de l’ingénierie des produits analytiques de l’éditeur, pour faire le point sur sa vision du marché, ses évolutions récentes et ses tendances à venir.
LeMagIT : Qui achète aujourd’hui les solutions « analytics » ?
Stefan Sigg : Tout d’abord, je tiens à souligner que par analytics je n’entends pas uniquement la « BI » classique, mais aussi l’EPM (Enterprise Planning Management), les prévisions budgétaires, la consolidation des résultats, la stratégie. Tout cela fait partie de l’analytics. Tout comme le DataWarehouse (très lié au Big Data). Sans oublier notre gamme d’applications pré-packagées qui répondent chacune à des besoins métiers très précis et concrets en utilisant l’analyse statistique. Tout cela constitue l’analytics chez SAP.
Une fois ceci rappelé, le plus gros changement que j’ai vu ces dernières années, c’est que les décisions d’achats sont totalement – ou presque totalement – passées des mains de la DSI à celles des métiers.
Dans le passé, l’IT était aux commandes. Cela reflétait une époque où les départements métiers se focalisaient sur leurs business. Ils ne s’intéressaient pas à l’IT ni à la technologie. Mais il y a eu un changement générationnel. Aujourd’hui, les personnes qui travaillent sur le terrain connaissent l’informatique. Les responsables IT ne peuvent plus, par exemple, aller les voir et leur dire « désolé les gars, ça ne fonctionne pas » ou « c’est comme ça que ça marche, c’est à prendre ou à laisser ». C’est du passé ça.
C’est même irréversible. Parce que cette nouvelle génération sait parfaitement ce qu’il est possible de faire. Et si elle ne le sait pas précisément, elle sait vérifier sur Internet et dresser « l’état de l’art » de ce qui existe. Ils font leurs propres benchmarks si l’IT ne leur donne pas ce qu’ils veulent.
LeMagIT : De quand datez-vous ce tournant ?
Stefan Sigg : Je dirais d’il y a cinq ans. Plus exactement, tout a commencé il y a cinq ans parce que ce n’est pas un Big Bang mais un mouvement continu qui se fait petit à petit.
Cela dépend également des entreprises. Les plus petites et celles qui ont dû gérer l’automatisation du marketing – comme les grandes marques - ont joué un rôle précurseur. Ce sont elles qui ont le plus intégré de « personnes IT » dans leurs départements opérationnels.
A l’opposé, il y a des industries traditionnelles plus conservatrices qui se contentent encore parfaitement de reporting « à l’ancienne ».
LeMagIT : Plus elles sont grosses, plus les industries sont donc conservatrices. C’est bien cela ?
Stefan Sigg : Schématiquement, oui. Mais en même temps, à l’intérieur de celles-ci, il peut y avoir des départements qui fonctionnent indépendamment comme des « sub-compagnies ». De ce que je vois, c’est de plus en plus le cas du marketing. Le département marketing gère de plus en plus lui-même ses outils analytics (prévision des ventes, des campagnes, etc.).
LeMagIT : Et à l’opposé, quelle fonction est plus timide sur ces solutions ?
Stefan Sigg : Je dirais que la fonction finance tend à être un peu plus conservatrice. Cela tient certainement au fait que les exigences et les scénarios à envisager sont moins « dynamiques ».
LeMagIT : A part le marketing, qui fait rentrer l’analytics dans l’entreprise ?
Stefan Sigg : La chaine d’approvisionnement (en tout cas pour les entreprises qui ont à gérer une Supply Chain importante). Et la finance, tout de même, en troisième position.
LeMagIT : Et les RH ?
Stefan Sigg : Non, pas vraiment.
LeMagIT : En termes de « verticaux », quels secteurs sont les plus friands de solutions analytiques ?
Stefan Sigg : Ils en achètent tous. Mais si vous me posez la question de ceux qui sont le plus à la pointe… ce sont tous les secteurs où la concurrence est très forte. Comme la distribution ou les produits de grande consommation.
Ce sont des marchés où gagner un point de marge supplémentaire est une question cruciale et où faire une petite chose un petit mieux que mes concurrents me donne un avantage, qui est en fait énorme.
Il y aussi les industries qui ont externalisé tout ou partie de leurs productions (comme dans le sport Adidas, Nike ou Puma) et qui deviennent des « brand company ». Leur objectif devient de savoir comment influencer un marché, comment devenir une meilleure marque. Ils doivent et sont très créatifs sur la manière d’atteindre cet objectif en s’appuyant sur la perspicacité de l’analytique. Typiquement, elles évaluent plus dans le détail le ROI des millions qu’elles investissent dans des campagnes. Puis-je mesurer une augmentation des ventes dans une zone visée ? Ou une amélioration du sentiment ? Est-ce que je peux le refaire ?
Un autre scénario a particulièrement attiré mon attention. C’est le prévisionnel dans le marketing. C’est vraiment devenu une demande très courante. Comment faire une meilleure prévision des ventes de tel produit en fonction de tel prix, à tel moment et dans telle région ?
Cela semble trivial mais ça ne l’est pas. C’est assez simple de déterminer les critères qui influencent la demande (la localisation, les CSP, les tendances, le temps, etc.), mais moins de tout synthétiser. De mon expérience, depuis un an, c’est ce que les clients expriment le plus souvent comme désir.
Et puis derrière, logiquement, vient la demande d’analytique pour la chaine de livraison, la production et la logistique pour que les clients ne se retrouvent jamais sans produits à acheter.
LeMagIT : SAP a tout en catalogue aujourd’hui pour répondre à ces nouvelles demandes ?
Stefan Sigg : Oui, avec InfiniteInsight, un outil prédictif fantastique, par exemple. Ou avec Hana, qui a des capacités natives d’analyses de données géo-spatiales qui évite de les copier dans un autre outil spécialisé.
LeMagIT : Je vais vous reposer la même question, mais en ventilation « géo-spatiale » justement. Où achète-t-on le plus d’analytics ?
Stefan Sigg : Clairement, pour moi, aux Etats-Unis. Et même dans les entreprises européennes, les filiales qui opèrent sur le marché nord-américain sont souvent les plus à la pointe de ces solutions.
Je ne dis pas que l’Europe est à la traine, attention. Mais on peut sentir que les projets innovants sont souvent initiés par des filiales américaines.
Culturellement, il y a peut-être plus d’appétit pour les nouveautés aux Etats-Unis, tandis que les européens aiment plus utiliser ce qui est éprouvé et qui marche depuis longtemps. Mais il y a bien sûr des exceptions. Red Bull ou Adidas sont de bons exemples ! (NDR : deux clients de SAP HANA)
LeMagIT : Y a-t-il une tendance lourde qui influence actuellement la demande de solutions anaytics ?
Stefan Sigg : J’en reviens à ce que je vous disais au début de notre conversation. On est passé d’acheteurs IT à des acheteurs métiers. L’IT a toujours été intéressé par le « comment ». Comment ça marche ? Comment c’est fait ? Comment c’est déployé (dans le Cloud ou pas) ?
Mais quand vous parlez aux métiers, vous vous rendez compte qu’ils s’en fichent. Vraiment. Ils s’en moquent complètement. Peu importe que cela soit du Cloud, que les données soient répliquées ou en doublon. Ils sont beaucoup, beaucoup plus « orientés solutions ».
Bien sûr, cela donne souvent des maux de têtes aux responsables IT. C’est un sujet très important que nous appelons le « Trusted DataDiscovery » - on ne veut pas faire juste du « DataDiscovery » - car nous voulons à tout prix éviter de revenir à l’époque que nous avions appelé « l’enfer d’Excel » avec ses silos, ses fichiers locaux, ses multitudes de tableaux, ses opérations et ses calculs réalisés en dehors de tout système qui garantisse la qualité et l’intégrité des données. Résultat, chacun arrivait avec ses chiffres et ses vérités.
La tendance, c’est qu’on assiste un peu à un retour de cela aujourd’hui, mais que dans le même temps, les gens veulent aussi standardiser, harmoniser, consolider leurs systèmes. Il faut trouver le juste équilibre entre la gouvernance et la liberté des utilisateurs.
LeMagIT : Voyez-vous en conséquence une demande plus forte pour un type d’outils ?
Stefan Sigg : Oui. La tendance est à la DataViz. Ceci dit, les entreprises utilisent toujours les autres outils qui couvrent tout le spectre de l’analytics (Crystal Reports, BO, Web Intelligence, HANA, etc.). Les affaires quotidiennes, si je puis dire, s’appuient toujours sur ces outils. Mais le nouvel intérêt vient effectivement de l’exploration des données, de « l’analytique en self-service » et de la distribution des tableaux de bord. Chez SAP, c’est Lumira qui génère aujourd’hui le plus d’intérêt de la part de nos clients.
LeMagIT : Concernant Lumira justement, vous avez annoncé une nouvelle version de HANA embarquée dans Lumira Server. Comment s’assurer de l’intégrité des données dont vous parliez entre Hana Lightwave (utilisé par les métiers) et la base de données centrale de l’entreprise si celle-ci n’est pas HANA ?
Stefan Sigg : Si c’est HANA des deux côtés, il n’y a pas de problème. Le moteur est le même. Sinon, il faut utiliser des mécanismes tiers de synchronisation de type « event streaming » et ne pas faire les choses en batch. Il faut mettre en place un mécanisme de flux de données qui se déclenche automatiquement (un trigger) pour s’interface avec la base centrale. C’est une méthode très pragmatique. Il faut voir que l’on est là dans un monde qui stocke encore beaucoup les données dans des fichiers. Et HANA Lightwave fait le meilleur de ce qu’il est possible de faire dans ce contexte.
Mais le concept de Data Discovery va s’éloigner de plus en plus de ces fichiers locaux grâce au moteur de la base qui fait aussi de HANA une plateforme d’intégration. C’est ce sur quoi nous travaillons actuellement.