Didier Lamouche, Bull : "construire des offres de bout en bout, du capteur au décisionnel"
Spécialiste du traitement de l'information, Bull tente de remonter vers l'aval avec le rachat pour quelque 100 millions d'euros d'un spécialiste des systèmes d'acquisition et de traitement du signal, Amesys. Une façon aussi pour le constructeur-intégrateur de se frayer un chemin sur les juteux marchés de la défense et de la sécurité intérieure. Didier Lamouche, son Pdg, détaille les espoirs qu'il fonde dans ce rachat.
Alors qu'on attendait plutôt le rachat d'une SSII classique, Bull a surpris en choisissant d'absorber un spécialiste de l'ingénierie des systèmes intégrés et des capteurs de données, Amesys. Une société dont la holding de tête, Crescendo Industries, est appelée à devenir l'actionnaire de référence de Bull, avec environ 20 % du capital. Signalons que les autres filiales de ce groupe (Elexo et BL Informatique) font également partie des actifs repris par le constructeur français.
Une cible que Bull présente comme solide (avec une marge opérationnelle proche de 10 %) et en pleine expansion (25 % de croissance annuelle moyenne sur la période 2004-2008), mais qu'il a payé assez cher : plus d'une fois le chiffre d'affaires prévisionnel d'Amesys en 2009 (100 millions d'euros). Pour Didier Lamouche, le Pdg de Bull, les synergies commerciales nées de ce rapprochement justifient toutefois pleinement ce prix.
Une fois le rachat avalisé, les actifs et personnels (850 employés env.) d'Amesys constitueront, certainement avec le renfort de certaines activités de Bull, une nouvelle division au sein du groupe. Une branche baptisée "Systèmes critiques et sécuritaires" et dirigée par Philippe Vannier, actuel dirigeant d'Amesys.
LeMagIT : Ce rachat dans les systèmes embarqués est une surprise. On attendait plutôt une opération dans les services informatiques... Pourquoi ce rachat dans le secteur de la défense ?
Didier Lamouche : Certes, les technologies d'Amesys ont, à la base, été développées pour la défense. Mais elles touchent désormais des secteurs comme les transports, les télécoms ou la sécurité intérieure des états (ou Homeland security, en jargon, NDLR). C'est cette convergence qui m'a intéressé. Bull opère aujourd'hui dans le traitement de l'information en différé et dans son analyse. On achète une entreprise positionnée sur la capture du signal en temps réel, donc sur l'amont. L'idée étant évidemment de bâtir des offres de bout en bout.
C'est donc une demie surprise, car on aurait pu imaginer le rachat d'une SSII. Mais Amesys fait tout de même 40 % de son activité dans les services et le conseil, contre 46 % dans les systèmes critiques. Leur modèle économique est donc très proche de celui de Bull.
LeMagIT : Vous parlez d'offres de bout en bout. A quels marchés pensez-vous en particulier ?
D.L. : Par exemple au marché de la vidéo-surveillance, à des offres de détection de signaux GSM, à la surveillance des flux Internet, à de l'infogérance sur les solutions proposées jusqu'à présent par Amesys. Ces offres devraient être déployées dans l'année qui vient. Notre objectif étant de doubler le chiffre d'affaires actuellement réalisé par Amesys en 5 ans. Un autre des leviers pour y parvenir passera par la commercialisation du porte-feuille d'Amesys sur des zones où la société n'est actuellement pas présente, mais où Bull est bien implanté, comme le Moyen-Orient ou l'Amérique Latine.
LeMagIT : Comment est née l'idée de ce rapprochement ?
D.L. : On connaît Amesys depuis deux ans, via des clients communs. L'un d'entre eux, chez qui Amesys intervenait sur la capture de données et nous sur son traitement, a fait germer l'idée. Et nous avons entendu cette suggestion à plusieurs reprises, chez plusieurs comptes.
Pour Amesys, l'opération lui donne accès à des contrats importants, où sa taille est pour l'instant un handicap. Pour Bull, ce rachat nous permet de prendre pied dans les marchés de la sécurité intérieure ou de la défense, que nous avions du mal à pénétrer. Nous allons ainsi entrer chez des comptes comme Areva ou le CEA, où nous étions peu présents, chez des clients de la défense à l'étranger ou encore consolider nos positions chez des comptes communs, comme la SNCF ou la RATP.
LeMagIT : Avez-vous obtenu l'aval de vos deux actionnaires de référence actuels (France Télécom et Nec) appelés à être dilués par cette opération ?
D.L. : Je peux vous dire que le conseil d'administration de Bull, où siègent deux représentants de France Télécom et un de Nec, a donné son accord à l'unanimité à cette opération. Les actionnaires se prononceront définitivement lors de l'Assemblée Générale en janvier 2010.
LeMagIT : Vous avez connu un trou d'air au troisième trimestre. Comment évolue le marché ?
D.L. : Les prises de commandes sont dynamiques au quatrième trimestre. Même si, à moyen terme, je pense que le climat des affaires restera relativement déprimé en Europe, avec des zones en difficulté comme les Pays de l'Est, l'Espagne ou la Grande-Bretagne et des pays où s'amorce la reprise comme l'Allemagne. En France, le marché reste tendu du fait de la très forte pression sur les prix.
LeMagIT : Ce constat a-t-il fait pencher la balance en faveur d'un intégrateur de systèmes comme Amesys au détriment d'une SSII ?
D.L. : Disons que le climat économique a renforcé ma conviction que nous devions faire cette acquisition. Il fallait encore choisir le bon moment pour faire l'opération ; j'ai choisi d'être en avance de phase par rapport à la reprise.