Daniel Bigagli, OBS : "Le ROI du cloud est dans la standardisation "
Précurseur dans la démarche du cloud, Orange mise aujourd’hui sur l’investissement dans les datacenters, l’industrialisation des offres proposées aux entreprises et une proximité avec Cloudwatt, l’un des deux clouds publics souverains, initiés par l’Etat.
LeMagIT : Quelle est précisément l’activité de votre département?
Daniel Bigagli : J’ai en charge une structure dénommée Cloud and Enterprise Solutions. Comme son nom l’indique, cette entité a pour but de délivrer des solutions à nos clients, à ce jour en majorité des grands comptes (Orange Business Services adresse environ 250 grands comptes), mais également des entreprises que nous appelons le « haut de marché » PME sur le périmètre France (les plus importantes PME françaises). Cette division compte quelques beaux logos : PagesJaunes, Plastic Omnium...
La consonance Cloud des contrats que nous réalisons est de plus en plus importante. Nous constatons que les entreprises se tournent de plus en plus vers le cloud plutôt sur des projets classiques d’infogérance.
LeMagIT : Qu’entendez-vous par « projets classiques » d’infogérance?
D.B : Un projet classique, est un projet dans lequel le client oriente encore sa demande d’un point de vue purement technologique. Mais de plus en plus fréquemment, le client impose un catalogue de services. Au début, il s’agit pour lui de pouvoir bien comparer les réponses des différents prestataires. Cela, c’est pour de l’infogérance des systèmes d’information.
Quand il s’agit de construire une solution plus complète, on constate également une certaine mutation dans le processus de construction du projet.
Dans les deux cas, l’entreprise formule un besoin client mais il y a une vraie différence entre les deux démarches, dans la façon de présenter les choses, dans le mode de tarification, celui de gérer le périmètre du service .
LeMagIT : Quelle est la spécificité d’un contrat cloud?
D.B : L’approche est systématiquement orientée services. Ce positionnement influence énormément le discours du client sur la structuration de la demande, également en termes de SLA et de gestion du projet. Quand un client envisage un projet Cloud, il confie la réalisation d’un service.
LeMagIT : Qu’est-ce qui change dans la relation avec les entreprises?
D.B : Le niveau d’interface entre nos clients et nous-mêmes est différent de ce qu’il était jusqu’ici. À la limite, l’entreprise sous-traite de façon plus volontiers tous les aspects technologiques. Elle sera maintenant beaucoup plus focalisée sur les livrables et les recettes, sur certaines clauses contractuelles - les propriétés, la réversibilité…. On ressent une proximité de plus en plus importante entre les besoins émis par une DSI et ceux émis par les directions métiers qui sont leur propres clients.
Mon activité, c’est donc de gérer des contrats clients qui mutent de plus en plus vers le Cloud, sachant que nous sommes, avant tout, un opérateur de systèmes d’information. Partant de ce statut, il s’agit d’une évolution naturelle pour conquérir de nouveaux marchés. Nous sommes donc capables de prendre des projets de constructions complexes, lorsqu’il y a une vraie valeur d’opérateur derrière.
LeMagIT : Vous évoluez donc vers la prestation de services complète?
D.B : Il est certain qu’on ne va pas faire du « build » pour du « build », ce n’est pas notre métier. Nous n’allons pas non plus réaliser un SIRH du fait de la composante fonctionnelle tres spécifique d’un tel projet. Mais en fonction de la demande client et de la pertinence d’Orange sur le sujet, nous pouvons bâtir des solutions qui vont au-delà de la seule opération d’un système d’information, jusqu’à proposer une solution packagée.
Notre avantage d’opérateur se décline en un grand nombre de savoir-faire : opérations, gestion temps réel, gestion des centres critiques, gestion de SLA de bout en bout… Nous ne sommes pas une SSII comme les autres. Nous qualifions les projets selon un certain nombre de critères spécifiques : Est-ce qu’Orange réalisera une part importante du « run » sur le sujet ? Le besoin identifié est-il innovant ? Saura-t-on répliquer la solution sur d’autres clients et sur d’autres besoins du marché ?
LeMagIT : Chaque proposition doit pouvoir se décliner ensuite en offre packagée?
D.B : C’est ça. Chaque fois qu’un projet se présente, nous essayons de concevoir un urbanisme spécifique permettant d’industrialiser la solution derrière. Grâce à la réplication et l’industrialisation que nous réalisons, nous proposons une valeur ajoutée différenciante par rapport aux autres sociétés de services.
LeMagIT : Orange est-il d’ores et déjà identifié comme un acteur important du Cloud?
D.B : Oui. Orange a été précurseur sur le cloud en France avec une première offre (Forfait Informatique) dès 2009. En 2011, nous étions reconnus premier fournisseur de cloud en France, selon une étude Pierre Audoin Conseil. Le Cloud, beaucoup de fournisseurs s’en prévalent aujourd’hui. Les acteurs d’une certaine envergure sont tous américains. Vraiment nés dans le Cloud, ils ne proposent que des services de cloud.
D’autres sociétés, notamment les SSII, se sont également mises au Cloud. Mais ces SSII classiques, en fait, s’inspirent du Cloud pour apporter une réponse spécifique à un client. Leur métier reste de réaliser du sur mesure. En fait, elles proposent des services teintés cloud.
Orange, en sa qualité d’opérateur, se situe entre les deux. Dans nos réponses aux appels d’offres à nos clients, nous appliquons une logique cloud. Nous pensons qu’elles sont plus génériques que celles présentées par les sociétés de services. Pour autant, nous nous appuyons sur nos atouts d’opérateur réseau et nos solutions industrialisées.
LeMagIT : Plus précisément, vos différences avec les SSII?
D.B : Notre différence réside dans nos deux modes business : un mode « push » et un mode « pull ». En mode push, nous restons opérateur classique : notre marketing travaille sur des offres packagées en fonction des différents segments du marché. Avec cette approche nous connaissons un succès important, en IT, sur des offres d’infrastructures et de services. Grâce, précisément, à nos gammes de produits de la gamme Flexible : Flexible Computing Express, Flexible Computing Premium, Flexible Backup, notamment. Et bientôt Flexible Storage. On ne fait pas que du Cloud pour autant et on ne s’interdit pas de répondre à un besoin classique. En mode « pull », nous examinons les projets clients en nous demandant s’il est possible de leur appliquer une vraie valeur d'opérateur, si on saura le répliquer et si à terme, on pourra en faire un produit.
Donc deux approches : une approche classique opérateur et une approche où l’on développe par rapport à un besoin client exprimé. Ces deux approches mêlent, d’un côté, une démarche SSII avec nos spécificités d’opérateur, et de l’autre, une démarche comme peuvent l’avoir les fournisseurs de Cloud, qui définissent une offre de valeur Cloud et la poussent sur le marché.
Nous estimons donc pouvoir faire valoir un plus grand nombre d’atouts qu’une société de services sur le marché. Parce que nous sommes un nouvel entrant dans ce business alors que, je pense, les sociétés de services traditionnelles chercheront avant tout à protéger leurs solutions traditionnelles.
LeMagIT : Mais quels sont vos avantages spécifiques, vos atouts? Pourquoi vous choisit-on, en fait?
D.B : D’abord, sans réseau, il n’y a pas de Cloud. Et notre atout réseau, très fort, est un différenciant extrêmement puissant puisqu’il permet d’offrir une qualité de service de bout-en-bout. Ensuite, en tant que grande société, nous avons développé un vrai savoir-faire d'opérateur d’un système d’information : le nôtre ! Nous avons en effet l’un des plus grands SI d’Europe.
Le fait que nous gérions nos propres plates-formes de services a toujours constitué un élément stratégique. Le prolongement de la gestion de notre propre SI à celle des systèmes d’information de nos clients constitue notre offre phare.
Enfin, quand un service à valeur ajoutée est demandé, il faut aussi savoir nouer le bon partenariat. Quand nous réalisons un vrai service « end-to-end » pour l’un de nos clients, nous travaillons la plupart du temps avec des partenaires. Et savoir trouver le meilleur partenaire et la meilleure solution technologique en fonction du besoin client, nouer les bons partenariats et les faire vivre, c’est une vraie culture !
LeMagIT : Qui peut-on citer parmi ces partenaires?
D.B : La gamme est vaste ! J’ai eu comme partenaires des Eutelsat, Alsthom, GFI, Logica ou General Electric Healthcare… Il peut s’agir également des petites sociétés très spécialisées, très pointues dans un domaine.
LeMagIT : Votre plus gros client est un utilisateur de Cloud?
D.B : Pour être clair, le plus gros client présent aujourd’hui dans mon portefeuille, est une infogérance classique. Mais nous avons deux gros clients cloud à qui nous offrons un service utilisateur complet, facturé à l’usage. Pour l’un, il s’agit d’une solution d’imagerie médicale en mode Saas. Pour l’autre, d’une application de fourniture de relevés de compteurs d’eau « as a service ». Dans ces deux cas, il s’agit d’éléments métiers. Le cloud ne se limite pas à de l’ IaaS.
LeMagIT : On est là aux frontières des propositions de clouds dit publics versus ceux appelés privés?
D.B : Il y a une vraie force derrière le modèle Cloud public. Le Graal du Cloud, c’est la mutualisation : quand on mutualise, c’est qu’on a standardisé avant.
LeMagIT : Est-ce que les entreprises sont prêtes à cette mutualisation?
D.B : Aujourd’hui, je peux vous le dire, pour les grands comptes c’est non ou dans tous les cas c’est à petite échelle. Mais les deux promesses du Cloud, c’est standardisation et mutualisation. Toutes les entreprises, à mon avis, sont aujourd’hui entrées dans une dynamique de standardisation, cette dernière leur permettant des économies et des gains en réactivité. Dans les grands comptes en tout cas, j’observe une vraie mutation des DSI concernant la standardisation. Au stade suivant, elles mutualiseront à grande échelle. Quand ? Je ne sais pas. Nous commençons à observer chez nos clients des besoins d’interconnexion entre des clouds prives et des plates-formes mutualisées ce que nous appelons « cloud hybride ». Orange se positionne tout particulièrement sur ce sujet en adressant les spécificités des clouds privés et en nous appuyant sur nos offres industrielles de cloud privés virtuels notamment (notre gamme d’offre flexible).
LeMagIT : Où se situe aujourd’hui le besoin des entreprises?
D.B : Le besoin des clients grands comptes aujourd'hui reste avant tout cloud privé. Ils veulent appliquer à leur informatique les recettes du cloud, mais sans aller jusqu'au bout de la mutualisation. Donc nous, Orange, nous voulons répondre. Dans tout ce qui est cloud, il y a une forme de virtualisation, des outils d'orchestration, un portail de services cloud. On veut définir, intégrer, constituer un vrai ensemble cohérent là-dessus. Même si dans un premier temps, cet ensemble n'aura pas tous les attributs d'un produit au sens où nous l'entendons, celui que nous pourrons répliquer ensuite, qui deviendra adaptable, client par client, pour répondre à leur besoin de cloud privé.
Nous sommes donc plus dans une approche où l’on pré-intègre. C'est le niveau avant l'industrialisation du produit. Cette solution doit répondre à des besoins cloud privé de nos clients grands comptes. Ensuite on intègre cette expérience, dans la réponse aux clients qui nous consultent pour du cloud.
LeMagIT : Le cloud intéresse-t-il des entreprises moins importantes que les grands comptes
D.B : La caractéristique de nos « petits » clients est de s’appuyer sur nos offres « productisées » de la gamme Flexible. Mais l’offre standard ne suffit pas toujours et il faut alors réaliser une petite partie de spécifique. Ce sera toujours ainsi : pour emporter les affaires, nous nous appuierons sur nos offres industrielles et prendrons en compte toutes les réalisations de spécifique nécessaire.
LeMagIT : Et ça marche?
D.B : Oui. Exemple dans nos offres IT-cloud, le produit Flexible Computing Express. Lancé il y a moins d'un an, pour réaliser du data-center virtualisé, avec des VM, des configurations à la demande, etc., il rencontre un grand succès : déjà plus de 500 clients en moins d'un an.
LeMagIT : Comment voyez-vous évoluer les DSI?
D.B : Avant, des utilisateurs émettaient un besoin et, derrière, une DSI composait la boîte à outils : « Tiens, pour répondre aux besoins de ce client, il faut telle techno et tels services".
De plus en plus maintenant, la DSI s'adapte pour que les fournisseurs soient le miroir du besoin émis par les divisions métiers de son entreprise. Sinon, pour gérer ce qu'on gérait avant, une DSI pléthorique serait nécessaire. La DSI se positionne maintenant différemment, en conservant un rôle tout autant critique. Elle est garante de la cohérence globale. Une DSI intermédiaire entre divisions métiers de sa société et ses prestataires, reste responsable d’un nombre de facteurs cruciaux: cohérence, sécurité, etc. Mais vraiment, l'objectif, c'est pour la DSI est de se rapprocher de ses directions métiers et pour ce faire de «sous-traiter » de plus en plus les choix technologiques.
Il revient aux prestataires de gérer la dichotomie entre technologie et services. L’objectif, aujourd’hui, est de plus en plus d’interfacer les métiers.
LeMagIT : De quel ordre est le ROI que vous assurez à vos clients?
D.B : Si l’on vend des solutions qui permettent d'économiser jusqu'à 20%, c'est déjà structurant. Le ROI est dans la standardisation et dans la mutualisation. On y revient …
LeMagIT : Comment allez-vous travailler avec Cloudwatt, la société créée conjointement par Orange, Thales et l’Etat français représenté par la Caisse des Dépôts et Consignations?
D.B : Cloudwatt a été créé dans le cadre des investissements d'avenir. L'État considérait le cloud très sérieusement. Toutes ces données de nos entreprises, de nos particuliers, etc., qui s’évaporent dans le cloud sont opérées par des opérateurs américains. Je pense que le déclencheur, pour l'État – un déclencheur d'investissement d'avenir ! – a été de se dire : « il y a un problème de souveraineté à gérer ».
LeMagIT : Que peut proposer Cloudwatt que vous ne proposez pas, par exemple?
D.B : Nous construirons des offres Orange « Cloudwatt-inside », donc nous serons complémentaires.
LeMagIT : Vous en serez client, en fait …
D.B : Client, mais aussi fournisseur et actionnaire…
LeMagIT : Mais vous continuerez à créer ou développer vos propres data centers?
D.B : Nous venons de construire un méga data-center en Normandie pour nos clients et nos besoins internes. Donc oui. Nous avons investi dans des data-centers à travers le monde pour répondre aux besoins des multinationales : sur les trois grandes zones géographiques Amérique, Europe et Asie. Nous complèterons ce dispositif avec des partenaires.
LeMagIT : Comment évolue la technologie des datacenters?
D.B : Surtout dans les possibilités de virtualisation. Centraliser les datacenters et rationaliser les données est une vraie source d’économie. Cela, pour Orange Business Services, c'est un acquis.
Bien sûr, tout le monde fait de la virtualisation. Mais nous, nous l’avons réalisé à très, très grande échelle . C'est un vrai sujet. Quand on parle de rationalisation native, on parle cloud, et ça commence par le datacenter. Cela ne nous empêche pas de délivrer de vrais services métiers. Mais on constate quand même que, pour la majorité des clients, le cloud, ça commence par le datacenter. Ce n'est pas toute la puissance du cloud, mais ça compte!