Ecoles & Entreprises : des formations qui suivent ou anticipent les tendances IT

Innovation en « fab lab », internet des objets, cloud, mobilité, mais aussi préparation aux exigences des métiers d'ingénieur-manager et à la transformation digitale des entreprises : autant de thèmes stimulant les relations écoles-entreprises.

L'Europe des 28, par la voix de sa commissaire aux nouvelles technologies Neely Kroes, n'a de cesse de s'inquiéter du déficit de compétences IT. Invoquant des centaines de milliers d'emplois à pourvoir dès cette décennie, moyennant une montée en charge de programmes de formation ad hoc. Blasés, passifs, les moins de 30 ans, face à ce constat ? Allons donc. Diverses enquêtes montrent au contraire qu'ils en veulent plus. Mais paradoxe : si, plus de 80% d'entre eux reconnaissent que le numérique est incontestablement porteur d'emplois en nombre, moins d'un sur dix dit vouloir en faire son métier (selon l'enquête flash Eurobaromètre (plus de 14000 jeunes interrogés en avril

Autre bizarrerie de la situation relevée par l'enquête confiée par Tata Consultancy Services (TCS) à ThinkYoung, un groupe de lobbying oeuvrant depuis Bruxelles, près de deux-tiers des jeunes européens interrogés (63%) estiment que le système éducatif ne les prépare pas correctement à l'économie numérique, tandis que 70% d'entre eux estiment que leur avenir professionnel dépendra de l'acquisition de compétences post-formation initiale.

L'ironie veut que ce soit une compagnie d'obédience indienne qui s'en préoccupe, TCS, certes implantée et embauchant en Europe (300 postes ouverts en France depuis l'acquisition en juillet dernier d'Alti). «Bien souvent, on parle pour les jeunes de ce qu'ils veulent, alors que si on prend le temps et les moyens de les écouter, on s'aperçoit qu'ils ont des points de vue clairs et établis sur un grand nombre de sujets complexes », avance Abhinav Kumar, responsable marketing Europe de TCS. Autre enseignement marquant de l'enquête TCS/Think Young : en postulant à un emploi, seuls 7% des 18-30 ans interrogés disent se soucier de la marque de l'entreprise, alors que les deux critères importants à leurs yeux sont les perspectives de carrière (pour 48%) et l'accès à des responsabilités (22%). De plus, en large majorité, ils se disent ouverts à la mobilité géographique (86%) et/ou à la mobilité d'un secteur d'activité à l'autre (87%). Une perspective de mobilité dans laquelle la transformation numérique prend sa part. Et à laquelle les universités, les écoles d'ingénieurs et de management répondent avec l'internationalisation de leur cursus. Ce que confirme, en France, l'enquête mobilité de la Conférence des grandes écoles. « Cette ouverture nuance le fait que la mobilité de main d'oeuvre au sein de l'Union européenne ne soit que de 0,2% par an », remarque le responsable marketing de TCS.

Mise à niveau des compétences numériques

Complexes, les questions concernant les obstacles à la mobilité ? Et surtout l'inadéquation de l'offre et de la demande de compétences ? Une chose est sûre, selon Abhinav Kumar: « il y a un besoin crucial de partenariat étroit entre les gouvernements, le monde académique et celui de l'entreprise autour de la pertinence de l'offre de formation et de l'attractivité des filières scientifiques et techniques ». Et de souligner, à titre d'exemple, parmi les opérations de partenariat engagées avec quelque 140 universités et écoles dans le monde, l'initiative « Apps for Good ». Un programme présenté comme contribuant à une certaine « démystification de la technologie », par lequel TCS parraine au Royaume-Uni les cours et ateliers de conception-développement d'applications mobiles dans une trentaine d'écoles (soit 6 000 jeunes britanniques dans les deux ans à venir).

Pour autant, concernant ce genre de mobilisation, les écoles et universités françaises et leur écosystème d'entreprises partenaires ne sont pas en reste. A Saint-Etienne, l'université Jean Monnet met à profit sa plate-forme d'innovation axée sur les usages du numérique pour lancer cette semaine une offre de mise à niveau des compétences dans ce domaine (smartinfo, smartwork, brainstorming 2.0, etc) sur la base de scenarii d'usages. Comme nous le constations lors de la dernière rentrée universitaire, l'innovation est à l'ordre du jour.
Ainsi, l'Essec, dans sa feuille de route 3i vers 2020, met la formation de « digital manager » au cœur de son alliance avec Centrale Paris. A l'appui, l'organisation d'un « fab lab » et une démarche de « design learning » qui laisse la main à l'étudiant pour définir lui-même son parcours.

Design learning, design thinking

A l'Epita ou à l'Epitech, ce type de démarche est carrément inscrite dans l'ADN de l'école, donnant lieu cette année au lancement d'un « Epitech innovation hub », plate-forme de réalisation pluridisciplinaire pour des projets menés avec une vision globale selon la méthode du design thinking (désirabilité utilisateurs, faisabilité technique, viabilité financière). Plus « disruptive », l'introduction à la Sorbonne (master innovation et management des technologies, IMT) de robots (conçus par la société Parrot) intervenant dans le processus d'apprentissage en mode présentiel ou en mode Mooc ou plutôt Morc (Massive open Robotic courses).

A vocation disruptive également, cette fois dans le domaine de l'ingénierie de systèmes complexes, le positionnement de Polytechnique et Thalès qui pérennisent, sous la modalité d'une chaire d'enseignement et de recherche, leur partenariat autour de la conception et la maîtrise de systèmes complexes à logiciels dominants (systèmes embarqués, systèmes d'information). Ou encore Centrale Paris labellisé cette année par Nvidia, centre d'expertise Cuda (Compute Unified Device Architecture) pour la maîtrise de cette architecture de traitement parallèle, comme le sont par ailleurs, en France, l'université de Reims Champagne-Ardenne (depuis 2012), la Maison de la Simulation (2012) et l’Ecole Normale Supérieure de Cachan (2013). Plus classique, la proposition lancée aux universités et écoles par Aruba Networks, fin avril, d'un partenariat autour de l'insertion dans les cursus d'une formation théorique et pratique aux technologies de la mobilité (réseaux, serveurs, sécurité), à la manière de ce que fait Cisco depuis 2001 en France (et ailleurs) au travers de CNA (Cisco Networking Academy).

Des cursus en ligne avec les projets industriels actuels et à venir

L'Internet des objets et la voiture connectée font tout autant l'objet d'un regain d'échanges écoles-entreprises. A Eurecom (formation d'ingénieur niveau master et de thésards, filiale à Sophia Antipolis de Telecom-ParisTech), au delà des programmes de recherche partenariale et de parrainage de promo menés avec le constructeur BMW, une école d'été est organisée sur le thème de la conduite autonome dans l'Internet des véhicules. Même principe pour la coopération entre Renault, LMS (activité PLM de Siemens) et Centrale Nantes qui prend la forme d'une chaire dans l'idée, outre le volet recherche, « de conforter l'alignement des enseignements dispensés aux futurs ingénieurs avec les projets industriels actuels et à venir ». A Troyes, l'UTT a choisi le mode de la participation à un consortium européen (projet AbattReLife dans le cadre de l'initiative European Green Cars Initiative) pour placer la collaboration avec PSA et BMW sous le signe du développement durable. L'équipementier Valeo jour la carte du défi et le financement de la réalisation d'un prototype fonctionnel d'une vingtaine de projets pour stimuler l'inventivité des étudiants en élargissant le propos à quelque 300 équipes issues de 40 pays et de 254 universités.

C'est ce genre de stimulation que vise par ailleurs le programme Innovent-E, associant les écoles Insa, Cesi, UT (Troyes, Compiègne, Belfort-Montbéliard) et l'université de Lorraine avec pour ambition d’accompagner par la formation les démarches d'innovation des PME/PMI. Avec pour événement phare, l'opération annuelle « 48h pour faire vivre des idées ». Ou encore les défis www.talentsnumeriques.fr de Huawei (sur les thèmes des terminaux et usages, réseaux télécoms du futur, smart city, ou cloud computing) et axée sur les talents féminins, l'initiative Ingénieuses'2014 à laquelle se sont inscrites des équipes de 46 écoles.

Attirer des profils atypiques

Donner les clés pour continuer à apprendre en tant qu'ingénieur-manager, en portant notamment l'accent sur la formation humaine (savoir-être allié au savoir-faire technique) durant leur parcours étudiant est devenu un leitmotiv parmi les écoles d'ingénieurs. « Les étudiants y sont très sensibles. Parfois sous couvert d'un abus de langage car, s'ils sont nombreux à vouloir une formation de généraliste pour être dès que possible – pensent-ils – manager plus qu'ingénieur, c'est parce qu'ils ont peur de se fermer des portes », observe Franck Pissochet, responsable communication de l'ESIEA. Certes, l'école sise à Paris et Laval met en exergue dans sa pédagogie, les multiples possibilités et opportunités qu'a l'étudiant de se forger une approche personnelle. Mais l'originalité de l'école est non seulement d'associer irrémédiablement informatique et électronique (pendant les 3 années du cursus ingénieur), mais aussi de proposer au plus tôt aux étudiants le contact avec une réalité professionnelle qui leur sied. Par exemple, avec l'organisation sous l'appellation « Espoirs Recherche », d'une option permettant, dès la fin de la première année, « aux jeunes motivés et prometteurs » d'être associés aux travaux de recherche de l'un des 4 domaines d'expertise de l'école, dont le pôle « Réalité virtuelle & systèmes embarqués ». Autre nouveauté de l'année, associée précisément à ce pôle : l'ouverture d'une filière « Numérique et Santé ». « Non seulement cela correspond à un réel appel à compétences en ingénierie dans ce secteur, mais c'est aussi une façon d'accueillir des profils différents voire atypiques », précise Franck Pissochet. Une ouverture organisée sous deux angles : d'une part, en deuxième année de prépa intégrée, l'accès ouvert aux « reçus-collés » des études de médecine (ceux recollés du fait du numerus clausus), avec un accompagnement spécifique (rattrapage en maths, physique, informatique) ; d'autre part, la proposition aux étudiants de 5ème année d'une majeure (option orientant les cours suivis et le stage de fin d'études) axée sur la conception et la mise en œuvre de systèmes (SI et numérique) dédiés au secteur santé et aux problématiques d'autonomie.

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