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Visioconférence dans l’espace (étape 2) : le soleil et le silence
Que ce soit sur l’ISS ou dans les projets de stations lunaires, les outils collaboratifs accompagnent aujourd’hui les astronautes. Mais pour aller plus loin, par exemple vers Mars, la communication va changer de nature. Et, comme sur Terre, le réseau va devoir évoluer. Dans cette série de quatre articles, LeMagIT vous fait décoller pour explorer la visio dans l’espace et ses retombées pour les entreprises. Deuxième étape : Mars.
Si la lune est à une seconde lumière de la Terre, « la distance de Mars varie entre 55 millions de kilomètres (3 minutes-lumière) et 400 millions de kilomètres (22 minutes-lumière). On passe donc à 20 minutes de latence… et encore, ce sont des délais théoriques qui seront plus grands dans la réalité » resitue Laurent Mainsant, Directeur adjoint du centre d’excellence Aerospace & Defense de Capgemini.
« [Pour les communications] on est complètement en décalé, ce qui d’ailleurs pose un problème psychologique qui a été étudié sur terre. Les échanges sont beaucoup moins “humains” et beaucoup plus formels. C’est très “J’ai ça à te dire. J’attends. Tu me réponds ça” ».
Un autre problème – gigantesque – se pose : le soleil.
Le soleil a rendez-vous avec Mars
Mars et la Terre ne tournent pas autour de notre étoile à la même vitesse angulaire. Les deux planètes peuvent être proches (alignées avec le soleil et du même côté de l’étoile), on parle alors « d’opposition ». Mais elles peuvent aussi être très lointaines (alignées, mais cette fois-ci de chaque côté du soleil). On parle alors de « conjonction ».
Une conjonction – c’est-à-dire le soleil entre Mars et la Terre – se produit tous les deux ans environ. Cette disposition dure quelques semaines et rend très difficiles les communications avec la Terre.
Conséquence, « on envisage la conquête de Mars comme une conquête autonome. Et ça change tout le paradigme. La conquête spatiale a jusqu’ici été faite en restant en contact avec la Terre. C’est l’exemple de la célèbre mission Apollo 13 où toute l’équipe d’engineering de la NASA fonce pour trouver une solution parce qu’ils avaient l’information en direct, ce qui leur a permis de donner une procédure à suivre, en live, aux astronautes qui étaient dans la capsule. Avec une mission sur Mars, oubliez cela », prévient Laurent Mainsant. « Parce que la communication à environ 21 minutes de latence, c’est difficile, mais ce n’est pas le pire des cas. Le pire des cas, c’est quand vous ne pouvez plus communiquer. Et là, vous êtes vraiment seul. »
Cartes postales martiennes et Ping-Pong lunaire
Un cas de figure comparable s’est produit lorsque Orion est passé derrière la Lune. Dans ce cas, Cisco n’a pas essayé de se connecter avec la capsule.
D’autres avant la NASA ont relevé le défi, mais en repassant par la case « infrastructure ».
Laurent MainsantDirecteur adjoint du centre d’excellence Aerospace & Defense de Capgemini
Les scientifiques des agences spatiales chinoises, CNSA et CMSA ont en effet été les premiers dans l’Histoire, à envoyer un rover – Yutu-2 (« Lapin de jade 2 ») – sur la face cachée de la Lune en décembre 2018. Par définition, cette face est inaccessible depuis la Terre et les communications ne passent pas.
Leurs ingénieurs ont donc imaginé un Ping-Pong spatial en envoyant, six mois plus tôt, un satellite relais (Queqiao) qui a été positionné en orbite autour du point de Lagrange L2, à 1,5 million de kilomètres. Ce qui lui permet d’être atteignable à la fois depuis la face cachée et depuis la Terre.
Difficile, quand on met toutes ces conditions bout à bout, d’imaginer qu’il puisse y avoir de la visio sur Mars. « Il faut vraiment garder en tête que l’on n’aura pas toujours des communications. Et que le contact se résumera parfois à envoyer des comptes rendus et des rapports et à recevoir le même type de chose », confirme Laurent Mainsant. « On repasse au système de la poste », résume, en une formule, celui qui a été un des concepteurs du contrôle de vol d’Ariane 5.
Pour la visio, ce sera donc l’envoi de vidéos asynchrones ; un retour à « la carte postale », en quelque sorte, et à une pratique qui, sur le plancher des vaches et lorsqu’elle n’est pas imposée, trouve déjà son utilité en entreprise.