Watson assiste les ingénieurs de Thales avec un chatbot
Thales met en œuvre l'AI d'IBM afin d'offrir une assistance utilisateurs à ses ingénieurs. Si le chatbot IBM atteint ses objectifs, ce sont, à terme, 25 000 ingénieurs qui disposeront de cet assistant intelligent.
Géant de l'électronique embarquée tant dans le domaine militaire que le spatial ou les transports, Thales est présent dans 53 pays où ils disposent d'une force de frappe en matière d'engineering avec pas moins de 25 000 ingénieurs. Chacun dispose d'outils et de méthodes fournis par l'entité Thales Corporate Engineering.
« Notre mission est de garantir la compétitivité et les performances de nos 25 000 ingénieurs dans le monde » explique Emmanuel Lecoeur, Directeur du développement et du support des ateliers d’ingénierie au sein de cette direction. « Nous mettons à leur disposition des environnements d'ingénierie, avec des logiciels, des processus et des bonnes pratiques. »
Au quotidien, son équipe doit apporter des solutions à la diversité des ingénieurs de Thales. Elle est en recherche continuelle de nouveaux outils pour y arriver. C'est dans ce cadre que le Directeur s'est intéressé à l'Intelligence Artificielle. « L'idée a été de mettre en place un assistant virtuel qui aide les ingénieurs à utiliser les outils que Thalès met à leur disposition. »
Du fait de la multiplicité des postes, Thales doit maintenir des services supports très variés, ce qui entraine un manque d'efficacité et des surcoûts. D'autant plus qu'une solution apportée à un ingénieur en France n'est pas automatiquement mise à disposition des autres centres de recherche dans le monde.
Un projet sélectionné à l'issue d'un "pitch" interne
En 2016, la Digital Transformation Office de Thales lance un appel interne à projets afin de susciter des initiatives innovantes dans l'ensemble du groupe. Emmanuel Lecoeur propose la création du chatbot. « Nous étions déjà en relation avec IBM, nous connaissions un peu Watson. Nous nous sommes rapprochés d'eux pour répondre à l'appel à candidatures. Nous avons "pitché" ensemble et nous avons eu le plaisir d'être sélectionnés ».
L'objectif est de fournir un assistant numérique à l'ensemble des ingénieurs du groupe, un chatbot qui allait s'appuyer sur une base de connaissances commune où toutes les solutions apportées par les services d'assistance pourraient enfin être mutualisées. « Nous avons monté un pilote sur la base de trois des outils les plus utilisés par nos ingénieurs. Commencé au printemps 2017, ce pilote est ouvert auprès de plus d'une centaine de bêta testeurs depuis septembre ».
Le déroulement de l'aventure va rapidement démontrer à Emmanuel Lecoeur que créer une IA n'est pas un projet informatique ordinaire.
Un groupe de personnes chargées du support est choisi afin d'éduquer Watson. Elles sont a priori bien placées pour savoir ce que demandent généralement les utilisateurs... Mais a "a priori" seulement.
« C'était sans doute une erreur de ne pas aller directement vers l'utilisateur final. Nous nous sommes appuyés sur nos experts pour identifier les intentions des demandes. Après coup, nous nous sommes aperçu que nos experts avaient une vision très complexe du sujet. Si bien qu'au final, notre chatbot ne savait pas répondre à des questions simples. C'est ce qui nous a poussés à nous tourner davantage vers les utilisateurs finaux pour mieux comprendre les besoins de nos ingénieurs. »
Mais là encore, les choses ne sont pas simples. Il a fallu faire parler les utilisateurs sur des problèmes possibles avant qu'ils les rencontrent. Et parfois, il a même fallu que l'équipe d'Emmanuel Lecoeur crée du contenu qui n'existait pas, sur des thématiques très pointues, pour alimenter Watson.
Pour le directeur, la préparation de l'IA est une tâche qu'il ne faut en aucun cas sous-estimer, surtout lorsqu'il s'agit de préparer les questions et de mener l'apprentissage du moteur cognitif afin qu'il puisse identifier les intentions des utilisateurs.
Heureusement, « le projet a été développé en mode agile », précise Emmanuel Lecoeur, « cela a été d'un grand secours dans un cadre où l'on apprend en marchant. Il faut être capable de pivoter rapidement quand une difficulté se présente. De cette manière nous avons appris à créer et à mettre en place une méthodologie pour gérer les questions, la structuration des intentions, et aussi à tester un chatbot ».
Un projet très différent d'un projet informatique classique
Thales a travaillé en relation étroite avec IBM. Ce premier chatbot qui pourrait préfigurer d'autres usages de Watson dans le groupe.
Grand promoteur des systèmes supervisés, Jean-Philippe Desbiolles, Vice-président de l'activité IBM Watson pour la France, recommande que la mise en place d'un tel système cognitif soit accompagnée de la création d'un centre de compétence interne lié à l'IA.
« Lorsqu'on déploie une telle application, on doit le faire avec un centre de compétences en systèmes cognitifs, chez notre client, pour qu'il supervise le système. Le client doit veiller à ce que son apprentissage reste toujours cohérent et consistant par rapport à l'objectif de l'entreprise. Il faut que la boucle d'apprentissage soit supervisée en permanence par des gens compétents. De l'apprentissage dépend la performance et de la performance dépendra la satisfaction des utilisateurs finaux, qu'ils soient internes ou externes. Ce n'est pas comme une application classique que l'on développe puis que l'on installe et qui ne bouge plus. Un système cognitif évolue, c'est pour cela qu'il faut le superviser. »
Suivant ses conseils, Thales s'est doté d'un centre de compétences auquel Emmanuel Lecoeur a fixé plusieurs objectifs. « Le premier est d'aller plus avant dans notre chatbot. Il doit le déployer auprès des utilisateurs, puis maintenir sa base de connaissances. Cette expérience a suscité pas mal d'envies en interne, auprès d'autres fonctions du groupe : dans l'IT, dans l'industrie ou dans le juridique. Ces fonctions aimeraient aussi disposer de tels outils. Ce que nous souhaitons, au-delà de notre propre chatbot, c'est fournir des compétences aux autres pour qu'ils puissent créer leurs applications. Nous souhaitons aussi les aider à industrialiser ces applications de l'IA ».
Aujourd'hui, les bêta-testeurs accèdent au chatbot - uniquement disponible en anglais - via l'intranet du groupe. Demain, ce sera aussi via l'application mobile de communication interne de Thales (un Whatsapp maison ultra-sécurisé). Et prochainement, il sera mis en place sur le portail groupe dédié à ses ingénieurs.
Ce premier bot a aussi obligé Thalès à rechercher et à intégrer de nouvelles compétences et de nouveaux métiers, notamment des Data Analysts. Car au final, Emmanuel Lecoeur est strictement du même avis que Jean-Philippe Desbiolles : « c'est un type de projet extrêmement différent d'un projet informatique classique ».