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Visioconférence dans l’espace (étape 4) : Internet jusqu’à Mars (et Vénus)

Que ce soit sur l’ISS ou dans les projets de stations lunaires, les outils collaboratifs accompagnent aujourd’hui les astronautes. Mais pour aller plus loin, par exemple vers Mars, la communication va changer de nature. Et, comme sur Terre, le réseau va devoir évoluer. Dans cette série de quatre articles, LeMagIT vous fait décoller pour explorer la visio dans l’espace et ses retombées pour les entreprises. Quatrième étape : le futur Internet interplanétaire du système solaire.

Cet article est extrait d'un de nos magazines. Téléchargez gratuitement ce numéro de : Applications & Données: Applications et données 21 - Y aura-t-il de la visio sur Mars ?

Au regard des faibles débits et des conditions difficiles de transmissions (cf. les épisodes précédents listés en fin d’article), on pourrait se demander pourquoi ne pas envoyer uniquement des messages vocaux ou des photos.

La réponse est triple. Il y a certes la dimension communication auprès du grand public, pour rendre accessibles les éléments de recherche spatiale. Mais la vidéo joue d’autres rôles, même en asynchrone.

La vidéo, pour quoi faire finalement ?

La première est qu’elle permet de représenter des phénomènes en mouvement, ce qui peut être utile pour des scientifiques restés sur Terre.

« On a vu l’apport des communications vidéo par satellite pour un skipper isolé en mer. […] Ce sera pareil pour Mars. »
Laurent MainsantCapgemini

La deuxième est que « la vidéo apporte la capacité de voir et d’expliquer en détail » par exemple pour réparer un appareil ou soigner, avance Laurent Mainsant, Directeur adjoint du centre d’excellence Aerospace & Defense de Capgemini. « Une bonne comparaison est à chercher du côté de la course au large (qui a beaucoup de points communs avec le spatial). On a vu l’apport concret des communications par satellite pour un bateau isolé au milieu de la mer. Avec la vidéo, les skippers peuvent montrer un souci physique directement à un médecin. Ce sera pareil pour Mars (même si ce sera en différé) ».

La troisième est, encore et toujours, psychologique. La visio permettra de lutter contre le mal de Terre (ou du pays) beaucoup plus que la voix seule. « Des études médicales ont montré que l’image fixe d’un être humain associée à de l’audio amène une impression de mort », confie l’expert de Capgemini. À l’inverse, un enregistrement vidéo apporterait un sentiment de vie très bénéfique au moral. « Ce phénomène sera, à mon avis, un élément important pour les astronautes », prévoit-il.

L’Internet interplanétaire et DTN

Avec l’arrivée des satellites à liaison optiques, les débits ne devraient plus être un problème, même sur longue distance. En revanche, pas de science-fiction, les photons – même intriqués – ne diminueront pas les temps de latence. « Il n’y a pas de communication supraluminale. La violation des inégalités de Bell ne veut pas dire que l’on peut aller plus vite que la lumière », insiste Eleni Diamenti, directrice de recherche au CNRS.

Mais cette technologie ouvre en grand les portes d’un nouveau « vrai » réseau : l’Internet interplanétaire.

« Il faut comprendre l’Internet de l’espace comme un vrai grand réseau quand il y aura des Hommes sur Mars. […] Donc il faut un protocole qui soit adapté. »
Jean-Luc IsslerCNES

Jusqu’ici, les réseaux spatiaux géraient du « point à point ». Aujourd’hui, « nous avons déjà plusieurs “noeuds” : la Terre, un orbiteur, l’atterrisseur qui communique avec son rover, qui communique avec son hélicoptère », dessine Jean-Luc Issler, chargé de mission à la direction Radio Frequency du CNES.

« Il faut comprendre “l’Internet de l’espace” comme un vrai grand réseau quand il y aura des hommes sur Mars (et de multiples robots, des ballons dans l’atmosphère, etc.) ».

La multiplication des nœuds fait immanquablement penser à Internet. Mais la grande évolution est à chercher ailleurs. Dans les protocoles.

« Quand on veut une liaison avec un petit vaisseau dans une ceinture d’astéroïdes, celui-ci peut être occulté par Jupiter, ou par des planètes ou par la Lune (ce ne sont pas les possibilités de blocage de la liaison qui manquent dans l’espace) », plaisante Jean-Luc Issler. « Donc il faut un protocole qui soit adapté ».

C’est ce que permet justement le DTN, le Disruption Tolerant Network – un standard venu du grand public et transposé dans le domaine spatial via le CCSDS (Consultative Committee for Space Data Systems, lire l’épisode précédent).

« Dans les protocoles de communication qui pourraient être utilisés, on parle beaucoup de DTN. Quand il y a plusieurs nœuds de communication, si jamais un nœud n’a pas la liaison active avec le suivant, la communication est stockée en attendant l’établissement de la communication. On ne perd pas d’infos », résume le scientifique du CNES. « Ce n’est pas encore très utilisé en spatial, mais les communications DTN longues distances commencent. C’est en marche ».

Représentation d'artiste d'un satellite autour de Mars
Représentation d'artiste d'un satellite autour de Mars

La NASA parle aujourd’hui d’un Internet interplanétaire qui couvre la Terre, la Lune, Mars et les astéroïdes. Mais ce réseau pourrait s’étendre à Vénus. « La NASA met à jour les plans de son réseau de communication spatiale tous les 5 ans environ. […] Chaque fois cela va grandir petit à petit », entrevoit Jean-Luc Issler.

En revanche, pas question dans l’immédiat de router un paquet de données instantanément, du nœud d’une agence au nœud d’une autre agence, en fonction des disponibilités des nœuds en question. « La règle de base ne sera pas tout de suite au cross support [N.D.R. : quand une agence spatiale utilise le réseau d’une autre, ou un réseau privé]. Chaque passage d’un réseau à l’autre doit faire l’objet d’un accord ou d’un contrat spécifique. Il n’y a rien de global à ce stade. S’il y a quelque chose de ce type, ce sera plus tard ».

De la vie ou de la visio sur Mars ?

Aujourd’hui, il n’est pas confirmé que Webex soit à nouveau embarqué dans Orion lors des prochaines missions du programme Artemis (Cisco attend une information de la NASA).

Mais il y aura bien de la visio en quasi-temps réel sur la Lune puisque le réseau et la technologie le permettent. « Nous avons vu comment il était possible de le faire. Il s’agit juste de réajuster vos attentes [en fonction du contexte] de la vidéoconférence », assure Jono Luck de Cisco.

Quant à Mars, il y aura de la vidéo. Mais asynchrone. Autrement dit, si les scientifiques font une grande découverte en y trouvant, par exemple des traces de vie ou de l’eau liquide, nous, terriens, verrons les preuves en image ; onze longues minutes plus tard.

Les autres épisodes de la série « Y’aura-t-il de la visio sur Mars ? »

Étape 1 : la Lune

Étape 2 : le soleil et le silence

Étape 3 : Mars et les pylônes spatiaux

Remerciements : LeMagIT remercie très chaleureusement le CNES et Jean-Luc Issler, qui, en plus de répondre à nos questions, ont accepté de relire, de vérifier (et de corriger, quand cela était nécessaire) tous les points techniques et scientifiques abordés dans cette série d’articles. Merci pour votre patience, votre expertise et votre prévenance.

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