Vin & IT : Château Palmer, un grand Margaux dans le nuage
Un des noms les plus prestigieux du Médoc, Château Palmer, distille depuis dix ans en interne une transformation numérique, où se mélangent gestion documentaire, CRM, collaboratif et cloud (et demain ERP). Le tout au service d’une innovation viticole dans le respect total de la tradition.
Transformation numérique. On peut avoir des vignes profondément enracinées dans la terre et la tradition, et l’esprit tourné vers les nuages et une forme de modernité. C’est le cas d’un des plus prestigieux domaines du Bordelais : Château Palmer.
Château Palmer est un Margaux (AOC), Troisième Cru classé. Le domaine raconte une très longue histoire où se mêlent un militaire anglais de renom (qui terminera sa vie dans la misère, mais qui restera dans l’Histoire pour avoir donné son nom à l’une des plus belles appellations françaises), des égos de grands banquiers du XIXe siècle, des flacons d’exception, un château iconique, et aujourd’hui, une modernité technologique.
Car ce domaine, toujours familial, a entamé une transformation numérique il y a environ dix ans, sous l’impulsion d’un nouveau Directeur général (Thomas Duroux), arrivé à ce poste alors qu’il n’avait que 34 ans. Sa jeunesse va insuffler peu à peu un changement à l’informatique de Château Palmer.
CRM, outils collaboratifs, gestion documentaire, SaaS. Et demain, un nouvel ERP (peut être cloud lui aussi). Annabelle Grellier – ex-responsable de la communication et aujourd’hui responsable de l’export – a supervisé côté métiers plusieurs de ces déploiements. Elle ouvre les portes de ce domaine légendaire au MagIT et nous raconte ce projet passionnant où l’IT vient aider à la confection de très grands vins.
Château Palmer : un domaine à la longue histoire
LeMagIT : Peut-on resituer Château Palmer ? Est-ce encore un domaine familial ?
Annabelle Grellier : Oui. Château Palmer, Grand Cru, est situé sur l’appellation Margaux, en région bordelaise, dans le Médoc.
Palmer, c’est une longue histoire. L’existence de la propriété remonte au 17e siècle. Elle s’appelle « Château Palmer » depuis 1814, du nom du Major général anglais – Charles Palmer – qui a acheté le domaine cette année-là.
L’histoire du Château est assez stable au fil du temps puisqu’il n’y a eu que trois propriétaires. D’abord Charles Palmer, que nous venons d’évoquer, qui a bâti la réputation du domaine et qui l’a fait connaître, notamment sur le marché anglais. Ensuite, les frères Pereire, deux grands banquiers du Second Empire. Les frères Pereire étaient des rivaux des Rothschild, et comme les Rothschild avaient une propriété un peu plus haut dans le Médoc, ils ont voulu eux aussi avoir un emblème ici. Ils ont fait l’acquisition du domaine en 1853. Ce sont eux qui ont fait construire le château, aujourd’hui très connu et qu’on retrouve sur toutes les étiquettes des vins du domaine.
Enfin, en 1934, quatre familles bordelaises rachètent le domaine. Deux sont toujours copropriétaires aujourd’hui : les familles Sichel et Mähler-Besse.
Pour répondre à votre question. Château Palmer est donc effectivement un domaine familial depuis 1934. Aujourd’hui, nous en sommes à la quatrième génération. C’est une vraie chance. Cela nous permet aussi de nous inscrire dans une vision d’avenir, de transmission du patrimoine, et de terroir.
LeMagIT : Peut-on également resituer l’activité du vignoble avec quelques chiffres clés ? Le nombre de bouteilles produites par an ? La part de l’export ?
Annabelle Grellier : Château Palmer, c’est 66 hectares de vignes qui, depuis 2014, sont cultivées à 100 % en bio et biodynamie. En moyenne nous produisons 10 000 caisses de Palmer et 10 000 caisses d’Alter Ego [N.D.R. : des caisses de douze] par an.
Le marché français reste prioritaire, mais nos vins sont très largement exportés partout dans le monde. Cette part varie chaque année. Nous n’avons, en plus, pas la pleine maîtrise de ces données puisque nos vins sont distribués par la place de Bordeaux (par les négociants), mais disons que nos vins sont très majoritairement vendus à l’international. Ce qui a aussi eu une influence sur nos décisions en termes d’outils informatiques.
LeMagIT : Pour terminer ce rapide portrait de votre domaine, et avant d’aborder ces projets IT, pouvez-vous nous dresser un portrait des RH de Château Palmer ? Combien de personnes travaillent dans les chais, dans les vignes et à l’administratif ?
Annabelle Grellier : Nous sommes 60 collaborateurs environ. L’essentiel de l’effectif est sur « la production » avec plus de 25 vignerons, les personnes qui travaillent au chai, à l’habillage, au conditionnement. Côté services administratifs, nous sommes aujourd’hui une quinzaine.
Une transformation digitale voulue par le DG
LeMagIT : Le domaine a initié une transformation digitale il y a une dizaine d’années. Il semble que le Directeur général, Thomas Duroux, ait eu une influence majeure dans ces projets de changements. Est-ce bien le cas et si oui comment ?
Annabelle Grellier : Thomas Duroux est arrivé en 2004, il y a donc 16 ans déjà. Il avait 34 ans quand il a pris la direction du domaine. C’était un tout jeune directeur avec une vision très ouverte et très avant-gardiste. Il a eu envie de se doter d’outils efficaces pour faire avancer l’ensemble de la propriété.
Quelques années plus tard, nous avons changé notre prestataire IT. Et on a vu s’ouvrir de nouvelles perspectives. Nous avons sélectionné un nouveau prestataire (UTOPSYS) qui s’est pleinement emparé du « sujet Palmer » pendant deux ans, puis qui nous a fait ses recommandations.
Nous avions à l’époque un serveur de partage de fichiers sous Mac. Comme nous étions particulièrement limités par son utilisation, c’est assez naturellement que Thomas [Duroux] et le responsable d’UTOPSYS ont envisagé une solution qui puisse permettre à tous les services support de travailler ensemble. D’où une migration vers Dropbox qui débute au final en 2017.
D’un serveur de fichiers sur site à une GED avec l’EFSS de Dropbox
LeMagIT : Vous aviez commencé à moderniser votre IT un peu avant, avec le CRM (nous y reviendrons). Sur ce projet d’EFSS (Enterprise File Sync & Share) quels problèmes vous posait concrètement votre existant pour « collaborer » ?
Annabelle Grellier : La plupart des documents étaient déposés sur ce serveur de fichiers pour du partage en interne, et super sécurisé. Mais, les collaborateurs avaient pris l’habitude de travailler sur leurs ordinateurs, sans utiliser ce serveur de partage. C’était des manières de fonctionner très individuelles.
Quand nous avons initié cette réflexion sur le travail d’équipe, le point de départ était de faire en sorte que tous nos collaborateurs travaillent vraiment ensemble plutôt que chacun de son côté. Et donc il nous fallait favoriser les synergies, les partages, les échanges.
LeMagIT : Ils ne le faisaient pas par manque d’envie, ou parce qu’il y avait une contrainte de l’outil ? Ou parce qu’ils n’en avaient pas l’idée ?
Annabelle Grellier : Un peu parce qu’on n’en avait pas l’idée. Un peu aussi à cause de l’outil. Le serveur n’était par exemple pas adapté aux contraintes des personnes qui voyagent – comme nos trois commerciaux à l’export ou comme Thomas Duroux, notre Directeur général. C’était un serveur sur site [pas très ergonomique] accessible via un VPN.
L’idée était d’utiliser la force du cloud, par exemple pour s’adapter à tous ces déplacements.
Annabelle GrellierChâteau Palmer
Et comme nous n’avons pas d’équipe IT, la personne externe qui avait mis en place le système précédent venait dans les bureaux une fois par mois ou tous les deux mois. L’objectif de notre Dropbox était aussi d’être plus flexible. On le voit bien d’ailleurs, avec les confinements. Si on n’avait pas mis en place cette solution, je pense que les trois quarts des effectifs n’auraient pas pu travailler à distance, ou en tout cas de manière beaucoup moins fluide.
LeMagIT : Qui est concerné par votre projet collaboratif de centralisation des documents ?
Annabelle Grellier : Ceux qui sont directement concernés par notre Dropbox, ce sont d’abord les services administratifs auxquels s’ajoutent les fonctions de support/coordination/supervision de la production : la personne en charge de tout ce qui est logistique et conditionnement, la directrice technique, le maître de chai, le chef de culture, et les deux personnes en charge de la recherche et du développement côté chai et vigne.
Dropbox a été un vrai moyen d’avoir de la transversalité. Par exemple, pour toutes les infos techniques et les informations autour du vin, nous avons créé un dossier spécial « Infos Vins » partagé par tous les départements. Le maître de chai va renseigner l’assemblage et les analyses (tout ce qui est allergène, les caisses, les certifications, etc.) ; le chef de culture va renseigner les dates de vendanges ; la com va ajouter les packshots et les habillages qui vont servir à l’ADV (administration des ventes), les photos, et les fiches millésime ; les relations presse ajoutent des notes et les commentaires. C’est un vrai moyen de faire travailler tout le monde ensemble, en synergie.
Avant on travaillait par email ou on se disait les choses entre deux portes. Là, on a quelque chose de complètement centralisé, auquel on peut tous avoir accès sans avoir à demander en permanence.
Or, de plus en plus, il a fallu travailler en mode projet comme, par exemple, quand on monte un événement, il y a plusieurs personnes concernées. D’où l’importance d’avoir cet outil collaboratif.
Slack et Trello en approche
LeMagIT : Quels événements organisez-vous ?
Annabelle Grellier : Chaque année, au moment des primeurs – la semaine où tous les professionnels et journalistes du monde entier viennent à Palmer pour goûter notre nouveau millésime – nous organisons un concert de jazz. L’idée, c’est qu’avant même qu’ils dégustent le millésime, ils puissent « l’écouter ».
La semaine précédente, nous invitons le ou les artistes à passer deux ou trois jours à la propriété. Les musiciens s’inspirent de ce qu’ils voient, de ce qu’ils sentent et de ce qu’ils ressentent, ici au domaine, pour ensuite « interpréter » le millésime.
LeMagIT : Vous avez mis en place d’autres outils collaboratifs autour de l’EFSS ?
Annabelle Grellier : Oui. C’est tout neuf. Slack et Trello ont été mis en place pendant le premier confinement au sein de la communication. La personne qui m’a remplacée à la tête de ce service est très « digitale ». C’est elle qui est en train de mettre en place ces outils. On va également les relier à Daylite pour que tout cela soit le plus fluide possible.
On est tous confrontés à ce même problème : on est inondé, surchargé de mails. Des outils comme Dropbox, Slack, Trello permettent de travailler de manière plus simple, plus logique, plus rapide.
Pourquoi Dropbox plutôt que G Suite ?
LeMagIT : Le cloud a beaucoup d’atouts, mais il a aussi un gros inconvénient : il passe par Internet. Or, il semble que votre Internet ne soit pas toujours « vaillant ». Comment avez-vous résolu ce problème de réseau ?
Annabelle Grellier : Effectivement, nous sommes dans le Médoc, une région qui n’est pas encore équipée de la fibre. Pas encore… mais cela arrive !
Nous avions une simple connexion ADSL et nous sommes passés à un système d’agrégation de quatre liens mixant l’ADSL et la 4G. Le réseau, c’est là où notre prestataire informatique UTOPSYS nous a bien accompagnés.
LeMagIT : Sur le choix de Dropbox justement. Vous utilisez Dropbox Paper pour éditer des documents à plusieurs. Mais vous étiez déjà sur Gmail pour la messagerie. D’où ma question : pourquoi avoir choisi Dropbox plutôt que d’aller vers Google Docs et Google Drive, qui auraient été une suite déjà intégrée avec votre messagerie ?
Annabelle Grellier : Nous avons étudié les deux options avec notre prestataire. Dropbox nous a paru plus adapté sur son utilisation offline, et aussi parce qu’il offrait des garanties en termes de sécurité sur lesquelles nous avions plus de doutes avec Google Drive (sur la gestion des droits d’accès, sur la protection des données, etc.).
Pour Dropbox Paper, nous l’utilisons en complément de Word pour travailler encore plus en mode projet. C’est encore très nouveau pour nous. On l’a découvert lorsqu’on a commencé à collaborer avec GoodID.
LeMagIT : La migration des données du serveur vers Dropbox s’est passée simplement ?
Annabelle Grellier : (rire) Ce n’est jamais simple ce genre de choses… Mais disons que ça s’est passé sans douleur. Il n’y a pas eu d’effet de bord ou de données perdues en tout cas. UTOPSYS a été très pro dans cet accompagnement-là.
Un NAS mieux paramétré et une arborescence Dropbox repensée
LeMagIT : Vous avez donc deux prestataires sur ce projet UTOPSYS et GoodID. Quel est le rôle de chacun ?
Annabelle Grellier : UTOPSYS est notre partenaire informatique qui nous accompagne en tant que consultant. C’est lui qui nous a aidés dans la mise en place de Dropbox.
Ensuite nous avons utilisé l’outil pendant deux ans. En l’utilisant, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait quelques problèmes : de synchronisation, de visualisation de miniatures. Ces petites choses nous embêtaient au quotidien. On s’est alors posé la question de savoir si on avait fait le bon choix ou si on l’avait mal configuré, ou qu’on l’utilisait mal.
Nous avons alors décidé de faire faire un audit par une autre entreprise, qui connaît très bien Dropbox : GoodID. Eux ont analysé nos besoins et nos usages et ils nous ont fait une recommandation sur la manière d’optimiser au maximum Dropbox. C’était fin 2019.
LeMagIT : Quelles ont été leurs recommandations ? Elles ont tout réglé ?
Annabelle Grellier : Ça va beaucoup mieux. On a revu la structure et le mode de fonctionnement. Surtout pour notre médiathèque.
À la communication, nous avons des clichés très volumineux. Ce qui posait des problèmes de bande passante. Nous avions mis en place un NAS en complément pour visualiser les miniatures des fichiers, parce que quand on cherche des photos (pour un journaliste par exemple), il faut très vite pouvoir repérer lesquelles envoyer. Et ça, on ne savait pas le faire avec notre Dropbox, tel qu’il était implémenté. Mais cela ne réglait pas tous les problèmes de réseau. GoodID nous a permis de revoir cette architecture et de faire en sorte que le NAS ne soit plus synchronisé dans les deux sens, mais uniquement dans l’un d’eux, pour ne pas monopoliser la bande passante. Autre changement : il n’y a plus qu’une seule personne qui a un accès total au NAS (la « patronne » qui gère la médiathèque). Tous les autres collaborateurs y ont accès en lecture seule et en téléchargement (download).
LeMagIT : Comment sont synchronisés votre NAS et Dropbox aujourd’hui ?
Annabelle Grellier : Le NAS se synchronise avec le cloud le soir, entre 20 h et 8 heures du matin. Le NAS – qui est notre librairie source – renvoie alors ses infos sur Dropbox pour que l’on puisse tous voir la médiathèque en ligne le lendemain.
Annabelle GrellierChâteau Palmer
On applique ce même principe pour nos archives qui, elles aussi, peuvent être très volumineuses. Par exemple, une fois qu’un événement est terminé, on le met dans un dossier Dropbox créé pour cela, mais ce dossier n’est pas synchronisé [en descendant]. On ne synchronise sur nos ordinateurs que les dossiers d’équipes sur lesquels on travaille au quotidien. Nous avons aussi configuré chaque ordinateur en fonction des services, pour être sûrs que chacun a bien les bons dossiers en local sur sa machine.
LeMagIT : Vous avez également complètement repensé l’arborescence de votre Dropbox. Pourquoi ? Quelle était la « mauvaise pratique » que vous en aviez et que vous avez transformée en « bonne pratique » ?
Annabelle Grellier : Quand on a fait ce travail avec GoodID, nous en avons effectivement profité pour revoir toute l’arborescence. Pourquoi ? Pour s’assurer que chaque département avait vraiment accès à ce dont il a besoin.
En parallèle, nous avons aussi cherché à avoir la même logique transverse dans tous nos dossiers entre les différents départements. Par exemple, au sein du département communication, nous avions cinq personnes dans l’équipe. Cinq personnes qui, du coup, travaillaient différemment. Il n’y avait qu’un dossier communication, mais que chacun alimentait à sa manière en fonction de ses besoins, de ses attentes, etc.
L’idée a donc été de se demander quels étaient les grands pôles dans la communication. Puis on a créé des sous-dossiers en fonction de ces pôles (stratégie, presse, événementiel, etc.) avec un nom et une numérotation précise : « 1.0 Stratégie », et dans ce dossier « Stratégie » on va avoir, « 1.01 Communication », « 1.02 Marketing », etc.
Annabelle GrellierChâteau Palmer
Le but est que ce soit plus simple de retrouver les informations grâce à ces noms de dossiers communs. Mais aussi d’avoir une organisation des dossiers qui soit documentée, commune, harmonisée, et qui ne dépende pas d’une seule personne. Parce que si cette personne part – ce qui nous est arrivé ! – il est incroyablement compliqué de se replonger dans sa logique d’organisation et de s’y retrouver.
Cette harmonisation a pris trois mois, le temps pour GoodID d’échanger avec tout le monde, de bien cerner les usages, de comprendre la structure qui était en place et de faire leur recommandation. Ensuite il y a eu un travail d’ajustement : on s’est assuré que l’arborescence que chaque équipe proposait était compatible avec ce mode de travail plus global à l’échelle de l’entreprise. Le tout a duré six mois, du début du travail de GoodID jusqu’à la formation des équipes.
Accompagnement du changement
LeMagIT : Vous avez également repensé les droits d’accès. Pourquoi ? Quels documents ne doivent pas être accessibles à tous ?
Annabelle Grellier : Typiquement, tout ce qui est RH et financier. Les contrats de travail, les rémunérations, ce genre de documents. Il n’y a que notre DAF qui y a accès.
LeMagIT : Les employés de Palmer reçoivent leurs fiches de paie via Dropbox ?
Annabelle Grellier : On pourrait, mais non. Ils sont envoyés par email. On veut rester le plus simple possible pour nos collaborateurs qui ne sont pas forcément technophiles.
LeMagIT : Justement, sur l’accompagnement au changement, avez-vous évoqué des formations ?
Annabelle Grellier : Oui, nous avons réalisé une formation sur deux jours. La première journée pour les équipes plutôt techniques et administratives (DAF et toute la prod). Et la seconde, pour la com où il y a ce mode de fonctionnement un peu différent avec la médiathèque, le NAS, les archives.
Dropbox en complément d’un CRM cloud
LeMagIT : Utilisez-vous aussi votre EFSS pour échanger des documents avec l’extérieur ?
Annabelle Grellier : Oui, on utilise Dropbox Transfer. Chez nous, cela a remplacé WeTransfer que l’on utilisait beaucoup, mais qui, lui aussi, consommait de la bande passante à chaque fois qu’on uploadait des images. Alors qu’à présent, on sélectionne des images dans Dropbox, et on fait un Dropbox Transfer avec un simple lien. Tout se passe et reste dans le cloud.
On a aussi ouvert Dropbox encore plus directement aux négociants. En septembre 2020, nous avons mis en marché notre millésime 2010 [N.D.R. : lire ci-après]. Début septembre, nous avons donc créé un dossier Dropbox à destination exclusive de nos 32 négociants qui, de cette manière, ont accès à tous les éléments dont ils ont besoin pour communiquer auprès de leurs distributeurs (les infos millésimes, techniques, etc.).
LeMagIT : Pour gérer ces « relations », un des premiers chantiers IT que vous avez lancés était un CRM. Pourquoi ?
Annabelle Grellier : Oui, quand je suis arrivée il y a dix ans, on n’avait pas de CRM. On gérait toute cette partie [des relations clients et des intermédiaires] sur des fichiers Excel.
Il y avait bien un projet pour faire du spécifique en développant un CRM maison, mais cela a été une catastrophe. Si on veut concevoir son propre CRM, il faut avoir une équipe IT entière dédiée au projet, ce qui n’est clairement pas notre cas. Donc, on a compris assez vite qu’il valait mieux s’appuyer sur des outils existants qui avaient déjà fait leurs preuves.
La mission que j’ai mise en place rapidement a donc été de trouver cet outil. Ce CRM nous a permis d’avoir une base partagée de tous nos contacts, de parfaitement bien les qualifier, de communiquer avec eux via des newsletters, etc. Et aussi d’avoir une vision partagée du calendrier de tous les collaborateurs.
LeMagIT : Il y a dix ans il n’y avait pas trop de CRM cloud et pourtant le vôtre l’est ?
Annabelle Grellier : On a choisi Daylite de Marketcircle [N.D.R. : un CRM historiquement sur Mac). Il n’est peut-être pas ultra puissant, mais il répond à nos besoins. Dans un premier temps, il était sur site puis effectivement nous sommes passés au cloud [N.D.R. : Daylite est passé en mode SaaS en 2015].
Ce CRM nous convient parfaitement bien aujourd’hui.
Vers un nouvel ERP, qui pourrait lui aussi aller dans le cloud
LeMagIT : Et sur l’ERP, où en est « Château Palmer » ?
Annabelle Grellier : L’ERP, c’est un projet sur lequel on va travailler dans les mois à venir.
Nous avons un outil qui fonctionne bien, mais nous voudrions aller encore plus loin, plus dans le détail [du métier]. On se sent un peu contraints et limités.
LeMagIT : Quelles sont ces contraintes et ces limites concrètement ?
L’ERP que nous avons aujourd’hui est un outil utilisé par quelques maisons de négoce et des propriétés. Mais il est vieillissant. Les mises à jour sont un peu laborieuses. Et comme je vous le disais, on voudrait aller plus loin. Par exemple, nous avons un système qui s’appelle « Prooftag » – c’est un système de sécurisation et de garantie d’authenticité qu’on appose sur les bouteilles. Typiquement, ce système doit pouvoir communiquer très facilement avec notre ERP. Aujourd’hui ce n’est pas le cas.
Toutes ces difficultés nous amènent à réfléchir au process. On sait en tout cas que cela va faire partie des grands enjeux à venir sur les prochains mois.
LeMagIT : Vous avez un calendrier pour ce prochain « gros » projet ?
Annabelle Grellier : On essaye d’aller vraiment jusqu’au bout des possibilités de l’outil actuel parce qu’on sait aussi que dès qu’on lancera ce chantier-là, ça va être long et complexe à mettre en place.
Annabelle GrellierChâteau Palmer
Nous avons déjà mené un audit sur notre organisation de manière globale, avec pour objectif de réfléchir à notre transformation digitale de façon transversale – depuis la mise en bouteille, en passant par l’habillage, le conditionnement, la mise en caisse, la livraison aux négociants. L’idée, c’est de fluidifier tout ce process avec un outil qui nous accompagne sur toutes ces étapes.
Nous avons un grand projet autour du conditionnement. On va déménager toute la partie logistique pour gagner en efficacité. L’idée, c’est d’en profiter pour se doter d’un outil informatique qui va nous permettre d’être plus efficaces. Nous avions rencontré des gens de chez Prodware, il y a deux ans. On a envie d’étudier des solutions un peu plus globales. Mais nous attendons les résultats de cet audit avant de nous lancer dans le projet ERP.
LeMagIT : Vous pourriez aller vers un ERP cloud ?
Annabelle Grellier : Oui, oui, on ne se ferme aucune porte. Et en plus, on devrait être reliés à la fibre très bientôt !
L’IT au service de l’innovation dans le métier du vin
LeMagIT : Et comment voyez-vous la suite ?
Annabelle Grellier : Château Palmer est une entreprise qui grandit. On fait un métier qui est très traditionnel, ancré dans le terroir, dans l’histoire. Et en même temps, c’est un métier qui évolue en permanence, où l’on est en recherche d’innovation, que ce soit sur la partie technique, à la vigne, au chai.
Pour la communication et le commercial, il était donc très important de se doter d’outils qui nous permettent de communiquer plus efficacement avec un distributeur à Tokyo ou à New York. Ou de pouvoir envoyer des éléments à des journalistes qui peuvent eux aussi être à l’autre bout du monde, ou en France comme vous-même.
LeMagIT : Vous dites que « Château Palmer grandit ». Quelles sont vos perspectives de croissance aujourd’hui ? On peut dire que vous êtes un domaine très « haut de gamme ». Ce segment est-il moins touché que les autres d’un point de vue économique ?
Annabelle Grellier : Moins touché, je ne sais pas. C’est très particulier en ce moment. En tout cas, nous avons fait une très belle campagne primeur. C’est un temps fort dans le Bordelais qui débute en avril avec des sorties sur mai, juin, juillet. Ce n’était pas forcément gagné vu le contexte actuel.
Annabelle GrellierChâteau Palmer
Après, pour les prochains mois, on a du mal à se projeter. La restauration est touchée de plein fouet au niveau mondial. Or les restaurants restent un des secteurs avec lesquels nous travaillons beaucoup. D’un autre côté, les amateurs et les grands collectionneurs continuent à avoir envie de se faire plaisir. Mais la période est tellement trouble et opaque que c’est difficile de vous répondre.
Ensuite quand on parle de croissance, Palmer c’est et cela reste 66 hectares de vigne. On ne va pas produire plus de vin que ce qu’on fait aujourd’hui (et ce n’est pas prévu). Donc, on ne vise pas une croissance en volume, mais plutôt une croissance en valeur ; en essayant d’asseoir nos positions, en continuant de construire notre image de marque, en travaillant notre notoriété, notre visibilité et en rendant nos vins toujours plus désirables. Et en innovant. Le confinement nous a aussi permis de reposer beaucoup de choses à plat.
LeMagIT : Comme quoi ? Sur quel type d’innovation métier, lié au vin et à sa production, travaillez-vous ?
Annabelle Grellier : Je pense par exemple à de l’innovation commerciale. Les primeurs restent un temps fort. C’est capital pour une propriété comme Palmer. Mais cela fait aussi maintenant dix ans que l’on garde la moitié de notre récolte pour proposer aux clients ce que l’on appelle des « vins en livrables », c’est-à-dire des vins qui sont prêts à boire.
On est parti d’une citation du grand œnologue Émile Peynaud qui disait que les grands crus bordelais commencent à s’exprimer pleinement au bout de dix ans de vieillissement.
L’idée, c’est donc d’avoir un temps fort « primeur » sur le premier semestre, et deuxième semestre un temps fort « livrables », avec la mise en marché d’un millésime qui a dix ans. Cette année c’est le 2010. L’an prochain, ce sera le 2011. Etc. On essaye d’innover en proposant des choses qui aillent aussi dans le sens des marchés.
LeMagIT : Merci beaucoup pour cette « visite » de votre IT et de votre transformation. Pour terminer, que diriez-vous de cette évolution entamée il y a 10 ans ?
Annabelle Grellier : Que l’on est très satisfaits de tout ce qui a été mis en place. Cela nous a beaucoup aidés. Et quand les équipes support ont été confinées en télétravail, on a bien compris la chance que nous avions d’avoir ces outils.