Vendée Globe : Alex Thomson mène sa course sous le signe de la Data et du Machine Learning
Avec son Hugo Boss, et plus que toute autre équipe, le skipper britannique Alex Thomson Racing mise sur la donnée pour mener son Vendée Globe à vive allure et optimiser la performance du bateau. Mais aussi ses performances personnelles.
Dès le passage des Açores, il a pris la tête du Vendée Globe et (à date de cet article) il ne la lâche plus. Alex Thomson vient de franchir l’équateur à la barre de son IMOCA 60 Hugo Boss. Et si Thomas Ruyant, sur le LinkedOut, essaye de rester au contact, le skipper britannique semble irrattrapable dans cette descente de l’Atlantique.
Tout comme son rival dunkerquois, la campagne de l’Alex Thomson Racing a véritablement démarré en 2017 avec le design de ce nouvel IMOCA de 60 pieds, le Hugo Boss. L’équipe s’est tournée vers Nokia Bell Labs pour doter son bateau des technologies IT qui sont le plus à la pointe et faire la différence avec les autres équipes engagées dans cette course autour du monde.
« Nous sommes arrivés dans le projet mi-2018, un an après le début. Nous ne sommes pas intervenus dans la conception du bateau lui-même, mais dans les technologies IT qui ont été déployées à bord ou même portées par Alex » explique au MagIT Thierry Klein, vice-président du laboratoire de recherche Enterprise and Industrial Automation aux Nokia Bell Labs, en charge du partenariat avec Alex Thomson Racing.
Depuis deux ans les chercheurs des Bell Labs aux États-Unis, mais aussi des centres de recherche Nokia en Finlande, et de Saclay et Lannion en France, sont impliqués dans le programme avec un objectif : améliorer la performance du skipper et de son bateau sur une course au grand large qui dure environ soixante-dix jours.
Exploiter et présenter au mieux les données de 350 capteurs
Dans le cadre du programme, sept projets ont été lancés dans cette quête de la performance. Les innovations proposées par Nokia au skipper sont essentiellement axées sur le traitement des données – les fameuses « data ».
« Tous les projets ont pour même objectif de mieux comprendre le comportement du bateau et celui d’Alex lui-même » resitue Thierry Klein. « L’enjeu est de pouvoir extraire des données des capteurs et lui présenter des informations de manière synthétique pour qu’il puisse prendre les meilleures décisions. Il s’agit essentiellement d’une problématique de collecte de données, d’analyse et de prise de décision ».
Si le chercheur évoque bien évidemment le traitement des données émises par les 350 capteurs posés sur le bateau – notamment au travers d’algorithmes de Machine Learning – ce concept de données s’est donc élargi au skipper lui-même. Alex Thomson est en effet équipé de capteurs qui scrutent en permanence des constantes pour évaluer son état de forme.
« Nous avons inclus des données physiologiques. Nous avons conçu un équipement qu’il porte sur lui en permanence et qui enregistre sa fréquence cardiaque, ses mouvements, etc. Nous pouvons ainsi calculer le temps passé à dormir ou l’énergie qu’il a dépensée, entre autres choses », illustre Thierry Klein. « Cette information lui permet de savoir s’il doit dormir un peu plus, depuis combien de temps il ne s’est pas reposé, s’il doit manger plus, et quelle est l’intensité de son activité ».
Ces données physiologiques sont collectées par l’ordinateur de bord via le réseau Wi-Fi à la disposition du skipper, tandis que tous les capteurs placés sur le bateau transmettent leurs données via un réseau local filaire.
Ces données sont partagées avec les fans du skipper sur le site Web de l’équipe, via une section Hub où chacun peut accéder à quelques données de base sur le bateau et sur l’état de forme du champion.
Cette mise à disposition est l’un des points du règlement de la course. Toutes les données envoyées vers la côte doivent être accessibles de manière publique.
Contrairement à la course automobile, toutes les données des capteurs ne sont pas envoyées à l’équipe, seule une infime partie est envoyée à terre. En effet, tous les monocoques du Vendée Globe disposent d’une liaison satellite Iridium dont le débit est bien éloigné de la 4G. Thierry Klein livre quelques détails sur les limites rencontrées avec ce système de communication : « le débit offert par Iridium est de l’ordre de 700 kbit/s, mais c’est déjà beaucoup plus que ce dont disposaient les concurrents du précédent Vendée Globe il y a quatre ans, pour qui la liaison Inmarsat n’offrait que 300 kbit/s dans le meilleur des cas et 30 kbit/s dans le pire, selon la latitude et la position du bateau ».
« La nouvelle version d’Iridium est plus rapide, mais une grande partie des données restent tout de même à bord. Nous envoyons des données une fois par heure depuis le bateau. Toutes les données de l’heure passée sont agrégées et envoyées. Les vidéos HD tournées par Alex sont uploadées en dépit du débit assez bas, cela reste gérable, car il ne s’agit pas de direct. Pour les interviews accordées aux TV, la qualité est plus basse, ce qui permet le direct via Iridium ».
Un souci majeur pour les chercheurs a été d’optimiser au maximum la bande passante. « L’utilisation du réseau Iridium est standardisée par le règlement des classes IMOCA. Tout ce que nous pouvions faire, c’est chercher comment exploiter au mieux le débit disponible du point de vue des applications et des protocoles employés et le placement de l’émetteur/récepteur sur le bateau ».
Un vent de Machine Learning
Autre projet plutôt inhabituel dans le monde de la course au large, le bateau a été équipé de pas moins de neuf caméras IP. L’objectif est de fournir au skipper une vision complète de son bateau sans que celui-ci n’ait à quitter son cockpit.
Dans la course moderne, notamment depuis que les monocoques sont équipés de foilers, les bateaux sont extrêmement rapides et les mouvements très violents. Le skipper réalise un maximum de tâches depuis ce poste de pilotage à l’abri des embruns et de la météo. Via de multiples tablettes tactiles, Alex Thomson peut surveiller son bateau depuis ce poste protégé, avec ses caméras placées aux points-clés – dont une caméra à 360° en haut du mât, mais aussi un FLIR (un système de visio nocturne mobile piloté depuis le cockpit).
Un autre projet mené pour Alex Thomson a été de coupler le pilote automatique du monocoque à un algorithme de Machine Learning qui a « appris » la façon de barrer du skipper britannique. Celui-ci pilote désormais le bateau dans son style lorsque le skipper lui passe la main.
Thierry KleinNokia Bell Labs
Néanmoins, pour Thierry Klein, le principal défi de cette collaboration avec l’Alex Thomson Racing fut de trouver la manière de présenter des masses de données à un skipper qui a déjà fort à faire à la barre de son bateau. « Notre problématique était de savoir comment Alex allait pouvoir consommer les données générées par les 360 capteurs et par les caméras. Le skipper a bien évidemment beaucoup à faire pour faire avancer le bateau, sa charge de travail est très élevée. Il faut donc nous assurer que nous lui présentons la bonne information au bon moment et à un niveau adapté. Il n’a pas besoin de voir toutes les données à tout moment, et c’est pourquoi nous avons développé une application pour tablette où il peut consulter les données dont il a besoin au niveau de détail le plus adapté » via des visualisations étudiées pour synthétiser les bons KPI.
Le Vendée Globe est une course longue, soixante-dix jours pour les meilleurs, et si le skipper doit aller vite pour gagner, il lui faut avant tout finir.
Le logiciel doit immédiatement signaler au skipper lorsqu’il flirte un peu trop avec les limites et lui donner les informations nécessaires pour savoir s’il doit réduire l’allure ou même affaler une voile par gros temps, afin de ne pas risquer la casse d’un foiler ou la chute du mât.
Plus de mise à jour possible depuis le départ
Depuis le départ de la course, le 8 novembre, Alex Thomson est seul maître à bord. Les règles de course imposent que les systèmes embarqués ne puissent plus être mis à jour pendant la course. Les équipes ont l’interdiction d’envoyer des données aux bateaux. Interdiction aussi d’accéder aux systèmes informatiques à distance.
Thierry KleinNokia Bell Labs
Les équipes ne peuvent plus donner aucune indication de route à Alex, et celui-ci ne peut pas faire tourner les algorithmes dans le cloud. « Nous sommes libres d’installer un ordinateur dans le bateau et de faire tourner autant d’algorithmes que l’on veut en local, si ces algorithmes sont installés avant le début de la course. Mais une fois le départ donné, plus aucune mise à jour ou envoi d’un nouvel algorithme n’est possible », explique le chercheur de Nokia Bells Labs.
Si la puissance informatique à bord n’est théoriquement pas limitée, les contraintes en termes de taille, de poids et surtout de consommation électrique, limitent les ambitions des informaticiens. « Installer un ordinateur plus puissant, cela signifie plus d’espace occupé dans le bateau, plus de poids, plus d’énergie consommée. La question qui se pose c’est est-ce que cela va être compensé par plus de performance ? C’est un équilibre à trouver entre performance et contraintes ».
Un processus itératif avec un Alex Thomson technophile
Pour l’instant, faute de pouvoir influer sur sa course, l’équipe doit se contenter de suivre les exploits du skipper par Data interposées. Quant aux chercheurs de Nokia, ils attendent le retour (triomphal ?) d’Alex Thomson aux Sables-d’Olonne afin de lancer de nouveaux développements pour la course suivante.
Thierry KleinNokia Bell Labs
« Nous avons un programme de développement, mais tout cela sera fait dans un agenda très serré. Tout dépendra des modifications qu’Alex voudra après la course ». En effet, le skipper est très au fait des technologies et cherche constamment les solutions qui lui permettront d’accroître sa performance. Avec les chercheurs de Nokia, le skipper est dans un processus itératif d’amélioration des innovations proposées.
« Que ce soit les caméras, le pilote automatique, les capteurs, tous ces projets avaient pour but d’aider Alex sur le bateau et améliorer son niveau de forme lors de la course. Nous avons commencé par lui montrer les bénéfices qu’il pouvait tirer de ces technologies, puis nous les avons améliorées en fonction de ses retours », se réjouit Thierry Klein. « Ce fut un processus interactif avec lui pour améliorer les technologies, mais aussi pour qu’il comprenne comment il allait en tirer profit lors de la course. Nous n’avons jamais eu à le pousser à essayer lors des entraînements, il a été moteur dans ce processus itératif d’amélioration ».
Les chercheurs ont déjà quelques idées dans les cartons. Pour le prochain Vendée Globe, le monocoque d’Alex Thomson pourrait bien disposer d’une connectivité 5G privée sur le bateau pour interconnecter tous les capteurs IoT. Mais, là encore, tout sera question de compromis entre poids, énergie dépensée et performance gagnée.
Numérique et Vendée Globe
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Advens for Cybersecurity, un concentré de technologies connectées à l’assaut du Vendée Globe
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