Transformation numérique : les 1001 projets de Lafuma
Lafuma est une des PME textiles les plus populaires auprès des amateurs de montagne et de surf. Sous l’influence de la numérisation, ses défis IT ne manquent pas. Ils vont de la modernisation du SI, au Cloud en passant par l'analyse des données clients finaux.
En plus de sa marque, également connue dans le mobilier de jardin « made in France » (fabriquée dans la Drome), Lafuma possède Millet, Eider et Oxbow (basé à Bordeaux) et est en pleine mutation stratégique.
« Nous avions un retard à rattraper dans la digitalisation pour aller vers le e-Commerce et l’omni-canal », analyse Aymeric Moulins, Responsable de Domaines IT de Lafuma, d’où un besoin de « renforcer les liens entre les canaux » par exemple en mettant en place le Click & Pick.
L’entreprise a de plus été rachetée en 2013 par le groupe suisse Calida (également propriétaire d’Aubade) – qui a lui-même un SI existant. Optimisation de l’existant, transformation et intégration font que l’ETI française de 700 personnes multiplie aujourd’hui les chantiers IT.
Un outillage IT quasi unifié
Dans les coulisses de cette transformation, Calida n’a pas imposé son ERP (historiquement sur SAP). La nouvelle maison mère a fait preuve de pragmatisme en laissant Lafuma choisir son outillage en fonction de ses besoins et de son existant.
En revanche, l’ETI française a décidé, elle, d’harmoniser ses processus et son SI. Lafuma utilise aujourd’hui un ensemble d’outils qui est le même à 95% dans toutes ses activités : la solution du hollandais Unit4 pour la gestion financière (Coda), Cegid pour les approvisionnements, la gestion commerciale et les boutiques (OrliWeb et CBR), Magento pour le e-Commerce, Esker pour la dématérialisation et l’automatisation des factures ou encore Technomedia (en cours de déploiement, racheté depuis par Cegid) pour le SIRH en pur SaaS.
« On a eu le choix de passer à SAP FC/CO pour l’ERP Finance, mais le projet outre un coût élevé a été jugé non prioritaire par rapport à d’autres projets permettant de développer le business », explique le responsable qui se montre très satisfait de l’outil de gestion financière actuel. « En revanche nous avons une règle à respecter, il faut d’abord aller voir ce qui est utilisé dans le groupe avant d’envisager d’autres options. Cela favorise les contrats cadres et les économies d’échelle ».
L’applicatif a donc bien évolué, ce qui n’empêche pas la DSI d’avoir encore beaucoup de chantiers en cours. Le premier d’entre eux concerne l’infrastructure, vieillissante.
IaaS et SaaS en approche
« La performance et la qualité de service pour l’utilisateur sont de vrais sujets », explique Aymeric Moulins. Pour les améliorer, Lafuma pense actuellement au IaaS et/ou à une infrastructure externalisée managée.
« Une de nos problématiques est de donner un accès de qualité à nos filiales au grand export (Chine, Japon, US). On doit être sûrs d’avoir un réseau de qualité. Avec les moyens que nous avons – nous sommes une ETI, pas une multinationale – nous sommes convaincus à la DSI que la solution passe par l’externalisation ».
Dans le cas d’un passage direct au SaaS, le Cloud aurait un autre avantage. Il obligera Lafuma à standardiser encore plus les processus et lui éviterait « les dérives des spécifiques ».
Ce chemin vers le SaaS devrait s’accompagner dans un premier temps par une phase de virtualisation de l’existant. « Cela dépendra du projet dans son ensemble et de qui pourra nous accompagner ». En revanche, l’objectif à terme est clair : « externalisation totale de l’infrastructure ».
Point intéressant, Aymeric Moulins ne minimise pas le coût du Cloud – ou la difficulté à prévoir son tarif avec précision. Mais la valeur, l’évolution automatique, les mises à jour (sans avoir à faire de test de régression) et la souplesse qu’il procure pour une « petite » DSI en justifierait le prix - voire le surcout sur le long terme par rapport aux solutions sur site tout en s’affranchissant d’une expertise technique difficilement gérable à la vitesse où l’IT évolue.
La plupart des nouveaux outils implémentés se font aujourd’hui en mode SaaS chez Lafuma, sauf les plus critiques.
Vers des canaux numériques plus directs
Dans son cœur de métier, Lafuma est confronté à un problème classique des ETI qui exercent dans le B2B2C : le client final est en contact avec le distributeur, pas avec le producteur. Lafuma fait donc face à un problème de connaissance de son consommateur et de ses exigences.
Même si Lafuma est persuadé que le Whole Sale (indirect) restera encore majoritaire à moyen terme, « cela ne dispense pas de se préparer au e-Commerce et au changement d’habitude de consommation ».
Pour cela, la direction a acté la création d’une boutique en ligne pour chacune de ses marques afin de vendre en direct dès 2015. « Les investissements sont importants pour toujours améliorer l’interface utilisateur. C’est d’autant plus logique qu’aujourd’hui 90% des consommateurs vont d’abord repérer leurs produits en ligne avant de franchir la porte d’un magasin », note Aymeric Moulins.
La PME – qui espère également se renforcer à l’international par ce canal direct en ouvrant chaque année de nouveaux stores - passe également déjà par une dizaine de marketplaces (dont Amazon et la FNAC en France).
A terme, Lafuma vise à stabiliser son CA Wholesale et axer sa croissance sur le retail et le e-Commerce : elle espère ainsi réaliser 10% de son CA sur ses propres sites, adaptés en fonction des régions (France, Belgique, DACH, Japon).
En parallèle, l’ETI a ouvert un portail B2B pour son réseau de distribution. Le portail permet aux magasins revendeurs de vérifier les disponibilités, de passer des commandes, d’avoir accès à la totalité du catalogue produits, et d’être livré sous deux jours. Pour Lafuma, il permet de pousser des recommandations et surtout de ne plus limiter les horaires de demandes de réassorts au créneau 9h-18h du customer service. « Cela permet également une plus grande flexibilité pour les magasins qui peuvent ainsi passer commande en dehors de leurs horaires d’ouverture. Les résultats obtenus depuis le début d’année sont très encourageants », se félicite le responsable.
Ce portail B2B s’appuie sur la solution Visiativ interfacée via un connecteur développée en partenariat avec Cegid.
Se procurer la donnée pour mieux connaitre le client
Un problème persiste. Aujourd’hui Lafuma est loin d’avoir une vision granulaire de ses marges, produit par produit, couleur par couleur, taille par taille – pour adapter sa production, réduire son niveau de stock ou concevoir les prochaines collections. La faute, en partie, à un manque de contact direct avec les clients qui achètent chez Intersport, Go Sport, Vieux Campeur, etc.
Ce chantier de la data est le nerf de la guerre. « On essaye d’acquérir les données et d’exploiter mieux celles que l’on a. Mais nous n’avons pas encore des KPI mis en place automatiquement par semaine. Il y a encore beaucoup de gestion manuelle », constate Aymeric Moulins qui espère y remédier et automatiser la production de nouveaux indicateurs.
Le responsable a déjà commencé à prendre le taureau de l’analytique par les cornes.
Lafuma est en train de se construire une visibilité client. L’ETI négocie des accords avec certains retailers pour avoir chaque semaine les ventes réelles des magasins (le sell-out). « Mais cela coute cher. C’est une vraie négociation commerciale avant de pouvoir collecter ces données et de nous les envoyer ».
Une autre option, mais qui n’est pas en temps réel, consiste à automatiser la compilation et l’extraction des informations clefs à partir des factures et des retours. Ce chantier est en cours et se montre très complémentaire du portail B2B qui permet, lui aussi, d’avoir des données « fraiches » sur les ventes réelles via les demandes de réassorts ou les commandes.
Le choix délibéré d’Excel pour le reporting
Sur l’analyse issue de toutes les données de l’entreprise, Aymeric Moulins a pris le contre-pied de beaucoup de projets analytiques.
Pour lui, le plus important est que les métiers – dont les DAF – utilisent les outils mis à leur disposition. Et qu’ils puissent le faire par eux-mêmes sans les allers-retours incessants et chronophages avec la DSI.
Exit, donc, les gros outils de BI traditionnelle ou les solutions « modernes » comme Qlik. A la place, l’outil analytique central retenu est… Excel. « Parce que 99% des personnes dans une ETI font de l’Excel ! Quoi de mieux pour éviter une résistance au changement ? ».
Plus exactement, Lafuma utilise la surcouche MyReport de l’éditeur français ReportOne. L’extension à Excel permet de capitaliser sur le savoir-faire des employés tout en amenant des visualisations complémentaires.
« Au fil des années plus de 600 rapports Cognos ont été produits. Les trois quart ne sont jamais utilisés » constate Aymeric Moulins en séance publique lors d’un évènement client de Unit4. « Nous avons donc décidé d’opérer un virage à 180°. Nous sommes en version 8 de Cognos, aujourd’hui obsolète. Vu le coût d’une mise à niveau, on a plutôt décidé de passer à du reporting sur Excel pour que les usagers fassent leurs propres indicateurs, qu’ils se posent la question de ce dont ils ont vraiment besoin et qu’ils puissent tout interroger en temps réel. L’IT assure la cohérence du modèle et la fiabilité des données, les opérationnels n’ont plus qu’à les faire parler ».
La décision du passage au self-service vient aussi d’un problème de délais. Un DAF n’est jamais vraiment satisfait de la durée de production d'un rapport. « Avec un outil comme MyReport, les financiers peuvent faire un rapport intégralement par eux-mêmes ».
Techniquement la DSI construit et fait évoluer le modèle de données en fonction des besoins utilisateurs, issue du Datawarehouse Oracle qui unifie toutes les informations de Lafuma. Mais la consultation et les rapports ad hoc sont aujourd’hui en BI self-service. « On vous aidera, mais c'est à vous de le faire », a résumé en interne Aymeric Moulins.
Le remplacement et le déploiement de MyReport se fait en trois temps : d’abord auprès des contrôleurs de gestions (qui doivent pouvoir créer des rapports) et de key users déterminés à même de produire des tableaux de bord, ensuite auprès des commerciaux (qui doivent pouvoir actualiser leurs chiffres à leur demande en fonction de leurs rendez-vous clients) et enfin toutes les populations qui ont besoin d’accès à des métrics (en mode consultation pure). Le modèle n’est pas figé et devrait s’adapter aux utilisateurs.
« L’objectif est un arrêt total de Cognos à horizon début 2020, il n’y a en tout cas plus de nouveaux développements sur la plateforme ».
Encore 1001 montagnes à gravir
L’année 2018 s’annonce riche pour Lafuma. Dans les mois qui viennent, Aymeric Moulins va étudier un passage au IaaS et la première montée de version de Coda depuis sept ans.
L’audit de la migration a déjà eu lieu. « On sait qu’on va y aller. La question est de savoir si on y va sur site (on premise) ou si on passe sur une solution Cloud ». L’interfaçage avec le SAP de la maison mère devra certainement être ré-adapté. « On a budgété des jours pour voir comment faire avec des experts de Unit4 pour essayer d’améliorer la procédure et simplifier la remontée de l’information financière ». Plus celle-ci sera efficace, plus Lafuma pourra défendre son choix de Unit4 face à une éventuelle tentation de la part de Calida d’unifier les ERP.
Toujours en rapport avec Unit4, Aymeric Moulins devra poursuivre le chantier d’unification du SI en général et de la gestion financière en particulier en déployant Coda dans sa filiale japonaise avant d’enchaîner avec la Chine.
D’autres projets d’envergure sont également en passe d’être signés, comme l’optimisation des retombés du CRM et le lancement du déploiement d’un PLM (Lectra). Les quatre responsables de domaines auront enfin la lourde tâche de continuer la stratégie omnicanale et de vision 360° des clients – en partenariat avec le réseau de distribution.
Autant de défis qui ressemblent à autant des sommets à gravir pour les – seulement - 13 personnes qui composent la DSI. Pas de quoi, ceci dit, effrayer un groupe dont certaines de ses marques ont été créés en pleine montagne savoyarde.