S/4HANA : les recettes de Bridor pour réaliser une migration Bluefield
Devenu multinational, Bridor considère l’IT comme un levier prioritaire de sa croissance. L’industriel de la boulangerie surgelée transforme ses systèmes, en particulier avec un vaste chantier de migration vers S/4HANA.
Le groupe Le Duff, c’est plus de 40 ans d’histoire dans la restauration et la viennoiserie. C’est aussi plusieurs marques, comme Brioche Dorée, Del Arte, ou encore Bridor, le vaisseau amiral sur sa branche industrie. Implantée historiquement en Bretagne, Bridor produit des pains, des viennoiseries et des pâtisseries surgelées à destination d’une clientèle professionnelle.
Grâce à un outil industriel composé de neuf sites de production et à une implantation commerciale dans une centaine de pays, Bridor a franchi le cap du milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2022. L’ETI s’est fixé de fortes ambitions de croissance, y compris via des acquisitions.
Bâtir un SI adapté à la taille de Bridor et à sa croissance
Le développement de l’entreprise, dont le chiffre d’affaires double tous les cinq ans, a de profondes implications sur le SI, et in fine sur sa transformation.
Dans ce domaine, comme chez nombre d’industriels de l’agroalimentaire, un rattrapage était nécessaire. L’entreprise, et plus largement son secteur, « accélère sur la mise à niveau de son patrimoine informatique et prend le virage du digital », déclare Ronan Le Janne, directeur Transformation & SI Bridor.
L’activité commerciale est un facteur de cette accélération. Ce n’est pas le seul. L’aspect réglementaire, comme le RGPD, a ainsi largement favorisé les projets, par exemple au niveau SIRH. L’usage des smartphones, comme les attentes des collaborateurs, impose aussi des évolutions et de nouveaux services numériques, qui doivent par ailleurs être sécurisés.
« La cybersécurité est clairement une priorité », insiste le directeur SI de Bridor. « La perception quant à l’apport du digital sur la performance de l’entreprise a notablement changé ces dernières années. »
D’une IT centralisée et adaptée à un industriel de taille intermédiaire, l’entreprise ambitionne de se doter d’infrastructures et de systèmes d’information adaptés à sa trajectoire et à sa nouvelle politique d’acquisition.
Ce modèle de croissance « implique de bien penser l’architecture d’entreprise », pour « un acteur multinational, global et multisite. Historiquement, nous étions un acteur de taille intermédiaire avec des équipes regroupées sur les mêmes sites et dont la connaissance reposait davantage sur les experts métier que sur les processus ».
Déjà 20 ans de SAP, mais une version bloquée en 2012
De startup à scale-up, c’est ainsi que pourrait se résumer la trajectoire de transformation de l’industriel de plus de 40 ans. Pour atteindre cette cible, le SI de Bridor doit participer à l’uniformisation des processus et à l’accompagnement de la croissance, dans un environnement cyber, renforcé « pour préserver les actifs ».
L’ambition est également d’accorder une place plus importante à la valorisation des données. « C’est une tendance générale, mais nous devons demain mieux [les] exploiter pour apporter de nouveaux services numériques et gagner en performance dans le pilotage de nos activités », souligne Ronan Le Janne.
Un chantier emblématique répond aux différents impératifs stratégiques de Bridor : la mise à niveau de son socle ERP.
L’entreprise a fait le choix de SAP il y a 20 ans déjà, un système « fiable et robuste » (sic). L’ERP sert les besoins de l’ensemble des usines. L’outil bénéficiait d’un bilan positif, mais une étude interne, complétée par l’aide d’un cabinet, a néanmoins été menée avant de se réengager avec l’éditeur.
« Une fois que nous avions confirmé le choix de pérenniser SAP, le sujet était de définir la manière d’opérer la montée de version », assure le directeur de la transformation. La complexité se concentre en effet dans le comment. L’activité du groupe tourne en continu, « du 24x7, pratiquement 365 jours par an ».
Cette « force » de l’outil de production constitue aussi une contrainte pour les équipes IT dans la conduite des projets, et même dans le déploiement de mises à jour. Le progiciel SAP en place avant la migration (ECC6 EHP5) remontait à 2012. Cet existant complexifiait de multiples opérations liées par exemple aux activités des filiales hors de France.
Une migration technique et une refonte des processus en même temps
« L’ERP est un actif stratégique de l’entreprise », insiste Ronan Le Janne, pour qui SAP constitue le système cœur des opérations. La montée de version du logiciel était donc clé afin de bénéficier des innovations fonctionnelles et des outils adaptés à sa taille et à ses ambitions de développement.
Pourquoi n’avoir pas procédé à des évolutions progressives au fil du temps ? « Nous avons pu constater combien il était difficile de faire évoluer de façon très structurante un ERP en cours d’utilisation. Déployé il y a 20 ans, il correspondait parfaitement aux besoins de l’époque. Mais nous ne sommes plus du tout chez le même Bridor à présent. »
Gestion du multisite, problématique de l’export, élargissement des gammes de produits, création de filiales de distribution : l’industriel breton devait « se réinterroger sur les processus », et pas uniquement se satisfaire d’une migration technique.
L’étude interne a mis en évidence plusieurs scénarios pour basculer sur S4/HANA. C’est la piste du Bluefield (également appelé « data selective approach ») qui sera finalement retenue, soit une « ambitieuse » montée de version technique d’un seul saut de ECC6 EHP5 à SAP 2021 pour ne pas affecter la production, combinée à un audit et une refonte des processus.
« Très schématiquement, la méthode de migration Bluefield consiste à copier le système SAP dans un nouvel environnement, de le vider de toutes ses données, puis à faire la montée de version technique vers S/4 », détaille Ronan Le Janne.
Cette approche présente un haut niveau de complexité, mais elle a divers avantages. « Elle permet de réaliser des évolutions structurantes de la solution sans restriction, ce qui aurait été impossible avec une migration Brownfield. »
Au travers du Bluefield, Bridor a pu « nettoyer les données » et mettre à niveau ses listes de valeurs, supprimant à cette occasion celles devenues obsolètes. « L’utilisation de SAP est ainsi simplifiée. » Le nettoyage réalisé, les équipes IT pouvaient lancer « le paramétrage de la nouvelle solution, sans avoir la contrainte des données dans le système. » Dans un second temps, des données seront injectées dans la nouvelle plateforme pour les besoins des phases de tests.
Pour le directeur, cette méthode « évite un projet lourd d’archivage de données qui est souvent nécessaire en Brownfield ». Elle était également perçue comme « plus sécurisante lors de la bascule » et offre un temps d’interruption plus réduit.
À titre de comparaison, un Brownfield aurait engendré un arrêt de la production d’au minimum 5 jours – « impossible compte tenu des enjeux financiers. »
48 heures d’interruption avec la migration Bluefield
Avec la migration Bluefield, Bridor a « fait le choix de conserver son patrimoine applicatif SAP tout en menant des refontes majeures et structurantes. » Mais selon les termes de Ronan Le Janne, cette décision était bien celle du mode « big bang » sur toutes les usines en 48 h – « et sans incident majeur. »
Le directeur de la transformation voit cependant des limites au Bluefield, à commencer par la non-conservation de l’historique des données. La gestion de ce capital a d’ailleurs nécessité « de mener un chantier complexe de migration des données ». Et attention à bien le « maîtriser au cours du projet, surtout avec autant d’évolutions majeures. »
En ce qui concerne la Data, Bridor n’a pas totalement renoncé à cet historique. « Pour faciliter la transition, nous avons conservé l’ancien système ECC en consultation et conservé l’historique dans nos outils BI », précise son responsable.
Le Bluefield SAP a été mené en plusieurs grandes étapes : consultation, cadrage et enfin mise en œuvre. La consultation a été consacrée à la rédaction d’un épais cahier des charges de 120 pages qui décrivait l’existant « et surtout les enjeux actuels et à moyen terme sur l’ensemble des BU concernées. »
L’ERP couvre l’ensemble des fonctions cœur business et leurs processus : les achats, l’approvisionnement & réception, la production, le stockage, l’expédition & transport, la direction générale, les tarifs, la facturation, la comptabilité, etc. Le cahier des charges était une première opportunité pour impliquer et mobiliser les métiers, mais aussi pour identifier le « bon partenaire, à la fois compétent et expérimenté sur le secteur agroalimentaire et sur le conseil autour de S4/HANA. »
Avant même la sélection de l’intégrateur (PM, racheté par Viseo), un PoC a été lancé sur la conversion technique. Le but « était de se forger des convictions sur le chemin et la méthode pour y arriver ». Ce test a été réalisé « dans un bac à sable » via une copie du système.
Le PoC a tenu lieu de répétition avec ainsi la suppression des données suivie de la montée de version de SAP. Y participaient les experts IT, ainsi que les chefs de projet SAP, « qui connaissent très bien le métier ». Cette phase de test a permis (sans donner la main aux utilisateurs métiers directement) de procéder à des vérifications fonctionnelles dans le système.
6 mois de cadrage pour fixer le plan à exécuter rigoureusement
La seconde étape – « fondamentale » – de cadrage s’est échelonnée sur 6 mois ; période durant laquelle une centaine d’ateliers alignés précisément sur le cahier des charges ont été réalisés.
Les objectifs étaient de bien comprendre l’existant, d’« expliquer les opportunités de S4/HANA, d’étudier les refontes de processus, d’en déduire la liste des écarts et des évolutions à mener, et enfin d’arbitrer ces écarts, pour définir un périmètre projet qui soit clair et dresser le planning. »
À l’issue de ces deux premières étapes, Bridor disposait d’un plan. La troisième – la mise en œuvre – visait à son exécution « la plus rigoureuse possible » avec une échéance arrêtée au 1er janvier 2023. « Nous avions une fenêtre qu’il ne fallait pas rater ! », se souvient le directeur Transformation. Les enjeux étaient forts pour limiter l’impact sur l’activité et permettre des évolutions profondes.
Via la migration SAP, l’industriel prévoyait par exemple de refondre son modèle finance au travers d’un langage commun à tout le groupe. C’est toute la structure comptable et analytique qui devait évoluer, notamment dans le but de permettre un meilleur pilotage de l’activité et des marges.
La migration était en outre adossée à un important projet supply chain, à la fois organisationnel, fonctionnel et IT autour de la démarche S&OP (Sales and operation planning). Une source de complexité supplémentaire.
Une fois fait, le Bluefield a permis le déploiement d’un ERP « extensible », soit multisite et portable, sur d’autres usines et entités, pour une entreprise dont le développement combine croissance organique et externe.
Ronan Le JanneDirecteur Transformation & SI Bridor
« Il s’agissait aussi de préparer la suite. L’ERP historique ne nous aurait pas permis de le faire puisqu’il n’était pas prévu pour. » Ce vaste chantier a aussi été l’occasion de « retravailler et de refondre la structure organisationnelle, c’est-à-dire le squelette où sont gérés l’ensemble des processus. »
À la clé, Bridor constate un meilleur pilotage de la performance des activités. La nouvelle structure a par exemple scindé production et distribution. Pour mener à son terme la migration, Ronan Le Janne identifie plusieurs leviers critiques : l’implication des métiers, une organisation projet « très structurée » autour de rôles et responsabilités et d’une « méthode rigoureuse. »
Les gains identifiés en amont, comme l’amélioration de la performance, notamment sur la supply chain, ont pu être confirmés en 2023 après la mise en production en 48 heures. Sur le volet supply chain, Bridor s’est en outre équipé de SAP IBP. La simplification du calcul de marge et des processus comptables a été concrétisée.
Après la bascule sur le nouvel ERP, l’entreprise a opté pour un « démarrage maîtrisé avec de la progressivité » et « beaucoup d’accompagnement ». Malgré « quelques anomalies assez normales, nous n’avons souffert d’aucune perte de productivité ou de performance ».