RPA : Heineken partage les retours de sa stratégie « Automation First »
Second plus gros brasseur mondial, Heineken a déployé plusieurs centaines de processus robotisés. Un retour d’expérience unique sur les atouts et les faiblesses des RPA dans une grande entreprise.
A partir de 2011, la célèbre marque de bière néerlandaise qui emploie plus de 73000 personnes dans le monde a structuré ses opérations financières européennes sous forme de centres de services. Heineken dispose d’un centre captif à Cracovie, en Pologne, et d’un centre offshore en Inde. A l’occasion de cette restructuration, l’entreprise avait fortement poussé vers une standardisation des processus de fonctionnement, mais pas de ses systèmes IT.
« La nature fragmentée de nos processus et de nos données était un frein », explique Vincent Vloemans, de l’activité GlobalIT for Finance d’Heineken. « Nous souhaitions améliorer les bénéfices tirés de ces centres de services par une automatisation des tâches, ce qui devait libérer du temps pour notre capital humain et leur permettre d’aller vers des tâches à plus haute valeur ajoutée. »
C’est dans ce but que Heineken s’est intéressé à l’automatisation de ses processus fin 2015.
Plutôt que de mettre en œuvre une plateforme BPM, puis standardiser ses processus, Heineken a privilégié l’utilisation des RPA dans une démarche sélective de type "Automation First". « Ce n’est sans doute pas l’approche la plus conventionnelle - et je ne la recommanderais probablement pas à toutes les entreprises. Mais si tout indique qu’il vous faudra plus de 5 ans pour standardiser l’ensemble de vos processus, vous pouvez choisir de ne rien faire... ou bien choisir ceux que vous allez porter sur le RPA en parallèle au travail à mener sur les processus. [...] Cette approche RPA nous permet de faire une standardisation sélective. »
Une plateforme RPA couplant Blue Prism, ServiceNow et IBM Watson
A l'époque, il existait déjà quelques solutions RPA sur le marché. Mais elles étaient, selon Vincent Vloemans, encore peu matures pour un déploiement à l’échelle d'une entreprise comme Heineken, avec ce que cela sous-entend en termes d’administration IT et de sécurité.
« Nos travaux ont fait apparaître les quelques pièges potentiels de ce type de projet, à savoir le passage à l’échelle de la solution, sa capacité à contrôler les processus, les sécuriser. Notre choix était de ne pas aller vers une solution desktop mais bien une solution dédiée aux entreprises. »
En 2015, Heineken estimait par ailleurs qu'il est impossible de savoir comment vont évoluer les solutions disponibles et qui serait le leader du marché dans 5 à 10 ans. L’approche de Heineken a donc été de marier la technologie RPA de Blue Prism à d’autres technologies, notamment ServiceNow pour avoir une orchestration homme/machine, et à d’autres services, comme ceux d’IBM Watson sur la reconnaissance d’images et du Text Mining.
La mise en œuvre des RPA a démarré par de multiples expérimentations menées en simultané sur la plateforme Blue Prism par une poignée d’utilisateurs experts de la DSI locale du centre de services partagés préalablement formés.
« Comme nous n’étions pas convaincus du bien-fondé de cette approche, une équipe cross fonctionnelle composée d’experts en processus métiers a été mise en place afin de bâtir des proof-of-concepts en parallèle », se souvient le responsable qui explique que « les travaux de la première équipe se sont avérés peu fructueux. Il ne s’agissait pas d’une question de personnes ou de logiciels, mais dans un centre de services, les experts doivent faire leur travail au quotidien, ils avaient des problèmes à résoudre et ne pouvaient dégager le temps nécessaire pour automatiser les processus. »
En parallèle, les résultats se sont avérés bien plus concluants pour des PoC menés par l’équipe cross-fonctionnelle dédiée au traitement des factures, à l’ajustement des prix, au reporting, ainsi qu’à un processus plus sophistiqué mettant en œuvre de l’IA pour les factures entrantes non liées à un bon de commande.
Dès lors, Heineken s’est livré à l’exercice d’analyser les 150 procédures standard en vigueur dans ses centres de services partagés afin d’identifier celles qui bénéficieraient le plus d’une automatisation.
Cette évaluation s'appuie sur plusieurs indicateurs - fréquence d’exécution du processus, durée de l’activité et bien évidemment le nombre de personnes qui pourraient être réassignées à d’autres tâches à plus haute valeur ajoutée.
Les recettes du succès de la stratégie RPA d’Heineken
De l’aveu même de cet expert des RPA, la technologie n’est pas le point le plus compliqué dans ce type de projet.
Dans le contexte d’une entreprise de la taille d’Heineken, la question du passage à l’échelle est clé. Il faut pouvoir disposer d’outils efficaces pour superviser l’exécution d’un grand nombre de processus en parallèle et pouvoir placer des contrôles sur les exceptions afin de ne pas laisser les cas non traités s’accumuler.
« Il faut se soucier aussi du mode de livraison : nous travaillons avec de multiples fournisseurs et de grands partenaires. Il faut s’assurer que ceux-ci travailleront de la manière dont Heineken travaille et déterminer quelle documentation est nécessaire pour travailler ensemble. Au début du projet, les efforts de documentation constituaient un gros fardeau dans l'élaboration des RPA, ce à quoi nous avons rapidement remédié en enregistrant les cas d'utilisation et en élaborant une méthodologie spécifique », explique Vincent Vloemans.
Un autre projet Heineken
En outre, il est important de définir les droits de ce nouveau type d’utilisateur que sont les robots. « Au départ, c’est une question simple : chez Heineken, vous avez un utilisateur « humain » ou un utilisateur système qui n’a pas l’autorisation d’agir sur les données transactionnelles. Mais nous avons dû réfléchir au rôle de l’utilisateur RPA : quels sont ses droits, comment ses actions sont contrôlées, etc. »
Parmi les bonnes pratiques d’Heineken figure la recherche de la plus grande modularité possible dans la construction des scripts. Le responsable souhaite garder les mains libres, afin de pouvoir remplacer une technologie par une autre sur ces processus, s’il le juge utile pour tel ou tel cas d’usage.
C’est d'ailleurs l’un des arguments qui a plaidé en faveur de la plateforme de Blue Prism. L’éditeur mettait l’accent sur une stratégie d’écosystème de solutions autour de ses logiciels. Parmi les partenaires qui gravitent autour de sa suite logicielle figurent IBM avec Watson, Celonis, Expert Systems, Google, Microsoft, AWS, la reconnaissance d’image Abby, etc.
Les bénéfices directs et indirects des RPA
Heineken compte actuellement 150 bots Blue Prism en production dans une multitude d’applications et de domaines différents.
Certains mettent en œuvre du Machine Learning et des algorithmes d’IA. Vincent Vloemans ne livre pas de chiffres quant au nombre d’heures de travail économisées grâce à cette robotisation, mais il confie que l’impact est bien réel.
Vincent Vloemans, Heineken
« C’est assez surprenant, mais le bénéfice le plus significatif du RPA réside dans l’élimination des erreurs humaines. Cela accroît la précision des données relatives aux processus, la précision des contrôles et la conformité de ces processus. [...] Lorsque vous automatisez un processus - qu’il s’agisse d’une transaction, d’une saisie de données - vous améliorez tout ce qui va au-delà du processus lui-même. » Logiquement, les RPA permettent d’accélérer les cycles, ce qui a un impact direct tant sur les clients que sur les fournisseurs ou sur les employés. Une demande qui demandait 1 ou 2 semaines peut trouver une réponse dans la journée.
Heineken forme constamment de nouveaux « champions RPA » dans de nouvelles fonctions et de nouvelles activités de l’entreprise. Des démonstrations sont réalisées et les premières propositions de RPA ont été soumises au processus de gouvernance. Les propositions sont évaluées par le « process owner » et par l’IT. Des contrôleurs vérifient également toutes les conséquences de la robotisation, afin de savoir si le RPA proposé est un bon candidat à l’automatisation.
Plus surprenant, Heineken a trouvé un cas d’usage des RPA dans le fonctionnement de l’IT. « Lorsqu’un développement est réalisé sur SAP, celui-ci doit être déployé auprès de multiples marchés. Cela demande un gros travail de préparation, de customisation, etc. Nous utilisons des RPA pour la livraison des applications, avec un questionnaire qui permet de collecter les données relatives à la customisation de l’application SAP par exemple. Le RPA va configurer automatiquement les modules SAP concernés et initier le cycle de tests. »
Vincent Vloemans confie toutefois que les RPA sont beaucoup moins à leur aise sur des processus qui ne sont pas initiés par un moyen numérique, comme par exemple si le déclencheur est un appel téléphonique ou un courrier physique.
De même, le RPA est moins efficace sur les processus où les vérifications manuelles sont nécessaires.
Comment Heineken marie IA et RPA
Heineken utilise déjà des solutions d’OCR dans un RPA de contrôle des dépenses où la lecture automatique des documents permet de réconcilier les données déclarées par les salariés et les notes de frais.
Mais Heineken va déjà plus loin dans ses usages de l’IA dans les processus. Son département « Advanced Analytics » a commencé à utiliser le Machine Learning en 2017. Dans le domaine industriel, un algorithme peut même prédire quels seront la couleur et l’aspect de la bière en fin de processus de brassage.
Si les équipes IA et RPA sont séparées, celles-ci travaillent ensemble sur certains projets. Par exemple, quand un fournisseur envoie un email, cette donnée non structurée est traitée par Watson qui va classer la demande. Si la demande correspond à un script qui a été modélisé, un ticket est automatiquement généré sur ServiceNow. Le moteur IBM Watson délivre alors une information structurée avec le numéro de fournisseur, le numéro de facture, la question. Le RPA désigne de quel système il s’agit et rédige la réponse pour le fournisseur.
Un pilote est également mené sur l’analyse des réseaux sociaux pour savoir quels produits pousser sur telle zone géographique en fonction de sa population.
Les bons conseils RPA de Vincent Vloemans
Pour Vincent Vloemans, les RPA figurent parmi les projets dont le risque est relativement faible. Il conseille aux entreprises de se lancer rapidement, tout en soulignant l’intérêt de mener de tels projets de manière graduelle et réfléchie.
« Je conseillerai d’entreprendre cette démarche rapidement mais sur un rythme plutôt lent. Il faut prendre le temps de faire les premières expérimentations et de voir comment l’organisation les accueille. Il faut vraiment adapter la démarche à la culture de l’entreprise et à la complexité de son organisation. Vous pourrez ensuite capitaliser sur les premières expériences, mettre en place les rôles, l’architecture, commencer le travail avec les structures de contrôles de l’entreprise et avec les auditeurs », liste Vincent Vloemans.
« Il faut prendre son temps dans la mise en place des fondations de la démarche RPA et, seulement ensuite, monter en puissance et accélérer ».