Pour l’US Air Force, le PLM est un facteur d’innovation
L’US Air Force a renouvelé sa confiance dans la solution PLM de Siemens, Teamcenter. La branche aérospatiale de l’armée américaine considère avoir les clés pour assurer sa transformation numérique. Mais l’acquisition de la plateforme et les affres de la contractualisation gouvernementale ont ressemblé à vrai un parcours du combattant.
L’US Air Force (USAF) est l’un des huit services des forces armées des États-Unis. Il dépend du département de l’Air Force, l’une des trois divisions du Département de la Défense. Il s’agit aussi de la seconde branche de l’armée américaine en matière de budget et d’effectifs. En 2017, elle commandait plus de 329 000 soldats actifs, faisait appel à 172 000 civils, à 69 000 réservistes et à 107 000 membres de la garde nationale aérienne. L’USAF disposait également de 5 369 avions militaires et plus de 400 missiles balistiques intercontinentaux.
Bombardiers, avions de chasse, appareils de reconnaissance, avions furtifs, transporteurs, drones, hélicoptères. Une telle armada de véhicules demande une gestion fine des équipements et de leurs pièces à travers le temps. Pour cela, les progiciels PLM sont recommandés. « Un logiciel PLM est un référentiel de données qui permet de gérer les nomenclatures des systèmes et des sous-systèmes d’un produit ou d’un véhicule ou d’un dispositif d’armement, par exemple », affirme Denis Goudstikker, Senior Executive, Data Management & Analytics Portfolio Development chez Siemens en France.
Une rationalisation des coûts
L’USAF emploie ce type d’applications depuis plus de deux décennies pour gérer la conception de ses systèmes d’armement, le maintien et la logistique associés à ses nombreux équipements.
Dès 2000, l’Air Force a choisi le produit d’UGS Corporation (Unigraphics Solutions inc. – connu originellement sous le nom EDS), l’éditeur de Product Data Management (PDM), puis de Teamcenter, afin d’équiper la base aérienne de Tinker, en Oklahoma, dans le cadre du programme Integrated Data Information Manager.
En 2003, la base aérienne de Wright-Patterson a passé un contrat avec Intergraph Corporation et ses revendeurs pour le programme « système de gestion améliorée des informations » qui incluait l’attribution de licences perpétuelles à PDM, devenu Teamcenter.
L’année suivante, l’USAF décide de standardiser ses solutions PDM sur Teamcenter. En clair avant même le rachat d’UGS par Siemens en 2007, plusieurs milliers de licences perpétuelles pour Teamcenter étaient disponibles dans les différentes bases aériennes.
Les années passent, et à la notion de PDM s’ajoute le PLM (Product Life Cycle Management).
En 2014, l’US Air Force lance alors une étude pour analyser son parc logiciel, évaluer son coût, et anticiper les projets de conception. Outre le fait que plus de 50 directions de programmes ont exprimé leur souhait d’employer un PLM dans les dix prochaines années, le rapport note que l’achat d’une nouvelle solution à l’échelle de l’USAF coûterait 324 millions de dollars. Les auteurs conseillent donc de réutiliser les licences existantes.
À la fin de l’année 2017, dans une optique de rabais, Siemens informe l’Air Force qu’elle disposait de plus de 30 000 licences inactives (en plus des 21 000, déjà listées). L’éditeur allemand évalue donc le coût de la modernisation – de réactivation, de mise à jour, de standardisation et de maintenance – à 22 millions de dollars. Soit environ 300 millions d’économie par rapport à l’achat d’une nouvelle solution PLM.
En 2019, l’USAF signe finalement un contrat avec Siemens non pas de 22 millions de dollars, mais de 24,5 millions pour réaliser cette modernisation. Le contrat couvre 59 000 licences soit 8 000 de plus que les 51 000 licences initialement listées en 2017 (un delta qui s’explique par des achats supplémentaires et la découverte d’autres licences inactives).
Denis GoudstikkerSenior Executive, Data Management, Siemens, France
En janvier 2021, les deux acteurs annoncent que l’US Air Force unifie sa pile PLM sur Teamcenter, produit désormais associé à la gamme Xcelerator. Ce choix doit permettre d’unifier la pile PLM à travers tout le département au lieu de disperser les licences par programme et par base aérienne, comme cela était le cas auparavant.
« Nous avons récemment dévoilé ce contrat avec l’US Air Force, mais le programme qui en dépend ne date pas d’hier : cette armée a engagé depuis plusieurs années sa transformation numérique », confirme Denis Goudstikker.
Cette unification est théorisée par Will Roper, ancien secrétaire assistant du département Air Force for Acquisition, Technology and Logistics dans un livre blanc intitulé « There is No Spoon » qui expose la nécessité de disposer d’une pile technologique interopérable, ouverte et la plus uniformisée possible, tout cela guidé par une stratégie de maîtrise des coûts.
Ce choix, la branche de l’armée le justifie par le fait que la plupart de ses partenaires emploient également Teamcenter.
Le déploiement de Teamcenter est désormais effectué sur le cloud, plus spécifiquement sur Cloud One – la plateforme (multi) cloud de l’USAF dont les environnements sont répartis entre Microsoft Azure et AWS.
L’USAF dit oui au cloud, non au SaaS
Le choix de conserver un modèle de licences perpétuelles n’est pas innocent. Si l’armée américaine se tourne vers le cloud, elle n’est cependant pas prête à adopter le modèle SaaS.
En 2014, les analystes qui ont étudié les logiciels PLM utilisables par l’USAF avaient désigné deux éditeurs comme de possibles fournisseurs : PTC et Teamcenter.
Le Department of Army employait déjà Windchill (le concurrent de Teamcenter chez PTC). Mais PTC, l’éditeur basé à Boston, a décidé en 2016 de passer au modèle de souscription. Au moment d’évaluer un possible passage à Windchill, la plateforme était donc déjà « as a Service ». Et l’USAF a estimé le coût de déploiement, de licence et de souscription à 104,7 millions de dollars. Soit environ 80 millions de plus que l’offre de Siemens.
Conséquence, l’Allemand remporte le marché de l’USAF face à l’acteur « local ». Dur à avaler pour l’éditeur l’américain. À la fin de l’année 2018, quand le Département de l’Armée de l’air partage un avis d’intention pour attribuer à la branche « Gouvernement » de Siemens – basée à Arlington (Virginie) – un contrat exclusif, PTC ne s’avoue pas vaincu. Il émet un « Bid Protest », une contestation d’appel d’offres. PTC considère en effet que l’appel n’a pas été réalisé dans les règles de l’art et que l’estimation des coûts est erronée. Le US Government Accountability Office (GAO), chargé de statuer sur ce type de litiges, juge néanmoins que le Département de l’Armée de l’air et que Siemens ont bien respecté les règles du jeu. L’USAF avait spécifié dans son appel d’offres qu’elle cherchait un acteur capable de mettre à jour et de maintenir les logiciels Teamcenter qu’elle possédait déjà.
Pendant leur plaidoyer, les avocats de PTC invoquent au contraire le fait qu’il s’agissait plutôt d’un passage à de nouveaux logiciels, donc à de nouvelles licences, plutôt que d’une réactivation ou d’une mise à jour de produits existants. Ainsi les anciennes licences n’auraient aucune valeur.
Or, lors des négociations, l’Air Force et Siemens se sont entendus sur la valeur résiduelle des licences perpétuelles. Par conséquent, l’éditeur allemand « préserverait les investissements antérieurs dans le logiciel » en proposant des rabais équivalents pour l’achat de nouvelles versions. Cet argumentaire a convaincu la GAO qui a donc rejeté la demande de PTC.
Des succès qui justifient le recours à Teamcenter
Pour autant, la division PLM de l’US Air Force, l’USAF PLM CISO, n’a pas attendu l’annonce de 2021 pour exploiter les dernières versions de Teamcenter, comme en témoigne une série de vidéos publiées sur YouTube. En 2019, Teamcenter servait à 25 000 utilisateurs potentiels dans six bases aériennes différentes.
Major général Michael J. SchmidtProgram Executive Officer for Command Control Communication Intelligence & Networks, US Air Force
Les officiers expliquent les bases du PDM et du PLM tout en évoquant les récents bénéfices obtenus avec la plateforme de Siemens.
En outre, cette unification part d’une observation métier. « La grande majorité de nos activités et nos gestions de contrôle de configurations [dans une approche PLM, c’est la méthode employée pour lister les variantes d’un même produit, par exemple des versions d’un même chasseur avec des armements différents N.D.L.R] ont été réalisées avec des outils très peu intégrés depuis très longtemps et étaient peu efficaces », juge le major général Michael J. Schmidt, Program Executive Officer for Command Control Communication Intelligence & Networks au sein de l’US Air Force dans une vidéo YouTube intitulée « Importance of AF-PLM ».
« Le PLM est la fondation de la transformation numérique de l’Air Force. Cela va nous propulser dans le 21e siècle. Cela va nous permettre de comprendre toute la chaîne – de la gestion des exigences jusqu’à la nomenclature BOM (Bills of Materials). Cela va permettre à nos ingénieurs, à nos logisticiens, à nos officiers chargés des contrats, à nos directeurs financiers et à bien d’autres d’obtenir et de comprendre des données valides tout au long de la gestion du cycle des appareils », vante Lynn Eviston, Directrice, Plans et Programme, AF PLM Functionnal Lead, pour l’US Air Force.
Teamcenter a par exemple été employé dans le cadre du programme de remplacement d’ailes du A-10 Warthog, un avion consacré au soutien aérien rapproché (un véhicule antichar) mis en service dès 1975.
Le programme, réalisé en partenariat avec Boeing, aurait permis d’économiser 23 millions de dollars (les nouvelles paires d’ailes sont moins chères à entretenir) et d’augmenter le taux de disponibilité de l’avion. Le temps d’acquisition a également pu être réduit de 75 % grâce à la proposition de modèle CAO compatible entre les environnements des deux acteurs.
La direction logistique et de l’ingénierie de l’Armée de l’air emploie aussi le prologiciel. Et d’autres directions de programmes de premier plan (dont ceux consacrés au chasseur F-15EX, au Combat Rescue Helicopter et au missile balistique intercontinental Minuteman III) commencent à employer Teamcenter nouvelle génération.
Major général William. T. ColleyAssistant spécial et Commandeur de la transformation numérique, AFMC
« Nos partenaires de l’industrie de la défense deviennent des entreprises digitales. Si l’on ne s’associe pas à ces acteurs et si l’on ne suit pas le mouvement, nous ne profiterons pas des avantages numériques qu’ils peuvent nous apporter, à savoir : développer plus rapidement, à un coût plus faible et de profiter d’une intégration complète [des systèmes] », martèle le Major général William. T. Colley, assistant spécial et Commandeur de la transformation numérique auprès de l’AFMC (Air Force Material Command).
« Teamcenter s’intègre [aussi] avec les systèmes de gestion des pièces et les ERP de l’US Air Force », ajoute Denis Goudstikker de Siemens France. « Il s’agit d’obtenir une seule source de vérité pour gérer les relations avec des milliers de fournisseurs et d’équipementiers ».
Autre atout, les porte-parole de l’US Air Force considèrent que les standards ouverts et les capacités d’intégration avec d’autres outils du marché permettent cette collaboration avec les entreprises du secteur de la défense.
Enfin, à ces problématiques liées au PDM et à son évolution, s’ajoutent les enjeux plus modernes associés aux PLM. « Comme d’autres armées, l’US Air Force a une problématique de maintien en condition opérationnelle de ses avions de chasse. Sans entrer dans les secrets, ses membres comprennent bien l’intérêt d’un jumeau numérique et d’autres technologies pour suivre l’état du matériel sur le terrain », conclut Denis GoudStikker.
Teamcenter doit donc supporter des fonctionnalités d’analyse proactive et prédictive pour la gestion de flottes et pour estimer les matériaux et les pièces nécessaires à un programme ou à une mission.