ParisTalk : les premières vraies applications « made in France » de la Blockchain promises pour 2018
Ces derniers mois, les "PoC" se sont multipliés. La CDC, AXA, Carrefour ou EDF sont désormais prêts à passer à l'étape suivante, avec des usages métiers concrets. L’année 2018 devrait donc être celle de la concrétisation pour les Blockchains.
Si les fluctuations du cours du Bitcoin entretiennent l'intérêt des médias pour la monnaie virtuelle, les applications en entreprise de la blockchain - qui motorise le Bitcoin - se font quelque peu attendre.
Après avoir suivi une courbe ascendante, l'intérêt des DSI pour la technologie semble désormais entrer en phase de désillusion. Peu de projets semblent en effet franchir la phase des PoC (Proof of Concept) tous azimuts que nous venons de connaître.
Sur ce sujet, Télécom ParisTech vient de consacrer la neuvième édition de ses "ParisTalk", une session intitulée "la Blockchain dans la vraie vie". L'occasion pour une dizaine d'intervenants impliqués dans le développement de projets en France de faire un point sur leurs initiatives en cours.
Les banques/assurances en pointe sur les blockchains
On pouvait penser que les concepts de blockchain aller heurter de plein fouet les banques et les assurances. Mais elles ont bien vu le danger d'une désintermédiation de leurs activités et se sont engagées dans de multiples projets pour ne pas être "uberisés" par de nouveaux entrants.
Le projet LabChain de la Caisse des Dépôts est représentatif de cette anticipation et fait figure de locomotive de la blockchain en France.
« Nous avons lancé LabChain en 2015 avec 11 partenaires et nous venons de passer à 30 aujourd’hui. C’est un laboratoire d’innovation sur les métiers de la banque, de la finance et de l’assurance centré sur les cas d’usages », commente Nadia Filali, directrice des programmes blockchain à la Caisse des Dépôts. Aux premiers partenaires que furent AXA, BNP Paribas, BPCE, CNP Assurances, Crédit Agricole ou des experts de la blockchain tels que Paymium, se sont ralliés Allianz et Groupama en 2017.
Le programme est sans doute le plus actif en France. Il a initié des PoC dans de multiples domaines tels que la gestion des identités, la connaissance client, les fonds d’investissements, la gestion des titres ou l’assurance. Tous ces prototypes n’ont pas donné lieu à des services ou des applications en production, mais celui qui a porté sur l’assurance décès aurait très directement inspiré AXA qui vient de lancer Fizzy, une assurance sur les vols en retard, qui s’appuie sur une blockchain Ethereum.
Nadia Filali a laissé sous-entendre que si les banques communiquent peu sur leurs projets internes, certaines ont déjà déployé des applications en toute discrétion.
En outre, un partenariat unit CDC et La Banque de France sur le projet MADRE, un système de gestion des identifiants des créanciers émettant des prélèvements.
La Caisse est aussi engagée dans le projet LiquidShare avec BNP Paribas, la Société Générale, CACEIS et Euronext. « La législation française est un peu en avance sur la question de la gestion sur la blockchain des titres non cotés auquel LiquidShare s’intéresse, en concurrence avec six autres projets. L’autre ouverture porte sur les Minibons, que l’on appelait avant les bons de caisse. Nous travaillons avec les agents en financement participatifs à les aider à mettre en place un réseau décentralisé qui permettra de gérer ces Minibons. »
Enfin, la Caisse a mis en place un programme interne baptisé BloCDChain afin de diffuser la connaissance en interne de la blockchain et porter les PoC internes.
Blockchain, un composant clé de la SmartGrid de demain
Autre poids lourd des blockchains en France, EDF. Gilles Deleuze, responsable du programme de recherche Blockchain au sein de l’entité EDF Lab a révélé que l’énergéticien mène actuellement une dizaine d’expérimentation sur la blockchain.
Illustration de cet activisme dans le domaine, le projet Oslo2Rome qui doit être lancé le 30 novembre avec la startup allemande MotionWerk. Lors de cette expérimentation, des voitures électriques vont rouler à travers l’Europe et une application mobile permettra aux chauffeurs de sélectionner une borne de recharge sur leur parcours. C’est une blockchain qui assurera la comptabilité des kW achetés par les automobilistes et les reversements aux opérateurs de bornes de recharge - ou même aux magasins et particuliers volontaires dont les bornes seront choisies par les conducteurs.
Autre projet révélé par Gilles Deleuze, le projet Tango B dans le domaine de l’économie circulaire. Le projet est mené avec Orange, Enedis, Valdelia, Ecologic et Emmaüs. Celui-ci s’intéresse à l’aspect tokenisation sur la blockchain pour tenir une comptabilité à la fois de la valeur des biens échangés, mais aussi de la valeur écologiques de biens en termes de gains en CO2.
Plus proche du cœur de métier d’EDF, l’énergéticien travaille avec SystemX, Atos, La Poste, Evolution Energie et Energisme sur une place de marché énergétique s’appuyant sur la blockchain. Cette plateforme, baptisée BEST, reprend le principe de fonctionnement du microgrid déjà en place à Brooklyn depuis plusieurs années, ainsi que celui déployé par Bouygues Immobilier, Energisme et Stratumn pour l’écoquartier Lyon Confluence.
L’objectif d’EDF est surtout de tester un passage à l’échelle de la blockchain pour ce type d’application où tous les autoproducteurs d’énergie solaire d'un quartier, d'une ville et peut-être un jour d'un pays peuvent alimenter le réseau électrique et être rétribués en conséquence.
« Nous travaillons pour l’instant sur des environnements simulés. Nous avons établis des critères de performance pour tester un passage à l’échelle de l’infrastructure et gérer 5, 50, 500 ou 10 000 points de consommation, enregistrer des consommations à l’échelle de la seconde à la minute, ce qui permet de réaliser des optimisations énergétiques plus ou moins poussées et d'atteindre un niveau de disponibilité et de sécurité comparable aux autres solutions. »
Enfin, EDF Lab mène des projets de recherche internes dans le cadre de son programme DURIN (Design & Use Reliable Blockchains) dans lequel les équipes projets s’attachent à faire sauter les verrous technologies liés à l’adoption de la blockchain à grande échelle, notamment sur le plan de la sécurité du consensus et des contrats, les performance du consensus, etc.
A la critique porté à la technologie blockchain, notamment reprise par Gilles Babinet sur Twitter quant à la facture énergétique du mining, Gilles Deleuze a balayé l’argument. « Quelques chiffres : Le système bancaire mondiale sans compter les distributeurs de billets consomme 74 GW et la fabrication seule de la monnaie-papier, c’est 16 GW. Le bitcoin aujourd’hui, c’est entre 500 à 700 MW. Je vais tout de suite clore le débat, le bitcoin n’est pas énergivore ! » On n’en attendait pas moins d’un énergéticien.
Des opportunités dans la Supply Chain
Parmi les autres orateurs à avoir présenté des applications développées sur la blockchain, Clément Bergé-Lefranc, directeur de Ledgys. La startup a créé l’application Ownest dédiée à la traçabilité, une application notamment exploitable au monde de la logistique. Celle-ci est mise en œuvre par Carrefour France dans le cadre de la traçabilité des rolls (ces chariots dans lesquels sont placés les produits livrés à un point de vente). Carrefour en gère 10 000, rien que pour la région Ile-de-France.
Une blockchain pourrait aider le distributeur à lutter contre la disparition de ces rolls qui lui coutent environ 90 € l'unité. « Le principe est de transférer la responsabilité d’un actif grâce à une application mobile », explique Clément Bergé-Lefranc. « Nous avons créé pour chaque roll un tracker digital (un token) et chaque acteur de la supply chain transfère la responsabilité des rolls sur le quai de chargement. L’entrepôt transfère au transporteur la responsabilité des rolls chargés dans son camion. Le transporteur accuse réception des rolls, puis c’est au tour du point de vente au moment de la livraison via l’application mobile ou les douchettes Zebra. »
Cette application fait un usage relativement basique de la blockchain, mais Clément Berge-Lefranc espère qu’une telle solution pourra remplacer dans le futur la lettre de voiture, ce document officiel qui permet l’échange de marchandise "au cul du camion". « Il y a eu une tentative de eCMR il y a quelques années, mais aujourd’hui la technologie blockchain permet de mettre en place un tel eCMR. Nous travaillons avec la principale fédération de transporteur routier afin de le mettre en place et faire de cet eCMR la norme de demain. »
La Blockchain appliquée au bien être animal d'ici le Salon de l'Agriculture
Autre créateur de startup présent sur le ParisTalk Blockchain, Pierre Paperon. Celui-ci fut à la tête du marketing de Cloudwatt de 2012 à 2014, après avoir été responsable chez LastMinute.com, mais aussi chez Apple et AltaVista. Aujourd’hui co-fondateur de Solid, une société de service spécialisée en blockchains, il assure être engagé dans une quinzaine de projets en France.
« Nous sommes dans un projet pour un grand opérateur de télécommunication dont je ne peux pas parler, mais nous sommes aussi dans un autre projet qui est consacré au bien-être animal. C'est un projet mené en collaboration avec un conseiller de l’Elysée et des industriels de l’agroalimentaire. Des critères de certification des animaux ont été établis et un token va être attribué à chaque animal certifié. Le lancement du service doit être réalisé lors du prochain salon de l’Agriculture, le 24 février. Les consommateurs pourront flasher un QR code sur chaque barquette de viande avec son smartphone, le QR code contiendra ce token et prendre connaissance des valeurs relatives à la viande qu’il achète »
Outre ce projet, Pierre Paperon évoque le travail réalisé avec un bailleur social qui gère 25 000 logements pour mettre en place des systèmes d’échange locaux (SEM) entre les locataires. Il évoque des projets similaires pour la Mairie de Montreuil ainsi qu’à Suresnes. « Beaucoup de PoC ont été réalisés sur ce que j’appelle la seconde génération de blockchains, c'est-à-dire Ethereum et les smartcontracts. Aujourd’hui, nous passons à une phase de production - une phase industrielle - où nous allons assurer le traitement de millions d’objets pour entrer dans la troisième génération. »