OPC-UA : comment Renault unifie la récolte de données dans ses usines
Le constructeur automobile est l’un des premiers à avoir parié massivement sur le protocole de communication OPC-UA. Au-delà de l’interopérabilité réseau offerte par ce standard, c’est la couche unifiée de données qui intéressait le concepteur de la R5 E-Tech.
80 millions d’euros. C’est la somme que Renault estime avoir économisée en déployant sa plateforme IDM 4.0 (pour Industry Data Management 4.0), une initiative lancée en 2019. Cette plateforme est le socle sur lequel le constructeur a bâti une soixantaine de cas d’usage analytique, d’intelligence artificielle et de supervision. L’ensemble doit ouvrir les portes du métavers industriel au constructeur.
Mais avant d’en arriver là, Renault devait pouvoir exploiter les données de ses machines. Or, dans le monde industriel, il est courant qu’un site regorge de systèmes isolés les uns des autres, qui produisent des données dans des formats incompatibles ou propriétaires.
« Ce qui est unique dans notre plateforme, c’est la capacité à collecter, structurer en temps réel l’ensemble des données des robots et des équipements connectés sur l’ensemble de nos sites », déclare Laurent Sidler, IS/IT Data Program Manager chez Renault, dans une vidéo de présentation.
Cette vidéo reprend l’une des étapes du parcours des Renault Tech Industry Days, une exposition-démonstrateur consacrée aux innovations mises en place par le groupe. LeMagIT a pu assister à une visite guidée de ce dispositif installé à l’usine de Flins-Sur-Seine, dans les Yvelines.
Renault ne jure que par le protocole OPC-UA
L’on y apprend que le groupe récupère et formalise les données de plus de 9 500 équipements déployés sur 22 sites. Ils sont ensuite stockés dans un data lake à des fins d’analyse. Environ 70 % des équipements présents dans ces usines sont connectés à ce système.
Comment ? En s’appuyant sur le protocole OPC-UA (Open Platform Communications Unified Architecture). Ce standard lancé en 2008 a pour objectif de rendre interopérables des machines, des équipements et des robots industriels connectés avec des infrastructures distribuées ou cloud. C’est une évolution de la norme OPC.
En 1995, Microsoft imagine OPC (alors nommé OLE for Process Control) pour interconnecter son système d’exploitation Windows avec les équipements IT-OT sur le terrain. En 2011, le protocole est renommé Open Platform Communications et est placé sous la responsabilité de l’OPC Foundation.
OPC-UA permet non seulement une indépendance par rapport à l’OS et au hardware, mais aussi aux modèles de données spécifiques aux équipements à connecter. En clair, le standard permet de définir un modèle de données par classe d’appareils, qui eux-mêmes nourrissent un métamodèle.
De plus, OPC-UA est compatible avec deux types d’architecture : client-serveur et pub/sub. Outre une couche de sécurisation des transmissions de données, le protocole prend en charge la découverte et l’interconnexion aux serveurs OPC déjà installés dans les usines. Un gage d’interopérabilité et d’extensibilité pour les industriels.
Une implémentation « maison »
Après une suite de projets lancés en 2016 sur ses sites en Espagne, en Turquie et en Roumanie, Renault rassemble ses experts IT et OT en 2017 qui décident, en s’alignant avec la stratégie industrie 4,0 du groupe, d’adopter OPC-UA.
Jean-Marc ChatelanazIDM4.0 Program Director, Renault
Problème, les machines existantes de Renault ne répondaient pas forcément à la norme OPC-UA. Le constructeur se rapproche alors de PROSYST, un éditeur et fournisseur de solutions d’automatisation industrielle. Ensemble, ils conçoivent, dès 2017, IoT Box. Ce système doit récupérer les données et unifier les données des automates Schneider Electric et Siemens. Cette passerelle IoT repose sur une architecture client-serveur. En 2018, avec le concours de PROSYST, l’IoT Box et OPC-UA sont d’abord utilisés pour connecter une vingtaine d’îlots robotisés – soit plus de 500 machines – dans les usines de Valladolid (Espagne), de Bursa (Turquie) et Pitesti (Roumanie).
« [Les IoT Box], ce sont des serveurs industriels qui nous permettent d’héberger le logiciel uDC (Unified Data Collector) chargé de collecter les informations dans des protocoles propriétaires et de les exposer à nouveau modélisés en OPC-UA », résume Jean-Marc Chatelanaz, IDM4.0 Program Director chez Renault, lors de la visite.
Peu après, Renault s’est penché sur la récupération des données de ses visseuses. Dans le cadre de protocoles automatiques ou manuels, l’industriel utilise environ 6 000 visseuses. En 2022, il en avait connecté approximativement 500.
« De plus en plus, nous demandons à nos fournisseurs que leurs équipements soient compatibles OPC-UA nativement. Au début, il y avait de la résistance, mais la demande commence à être entendue », renseigne Jean-Marc Chatelanaz.
Renault s’est appuyé sur les modèles de données génériques d’OPC-UA pour unifier la collecte de données au niveau des machines. À l’aide de modèles de données génériques et des modèles spécifiques, il couvre aujourd’hui près de 70 processus différents.
« Les modèles génériques décrivent le fonctionnement des installations, tandis que des modèles sont spécifiques à certains processus », précise le directeur du programme IDM 4.0.
Par exemple, dans un seul modèle, Renault récupère des informations sur la localisation, le moteur, le type de visserie, la puissance et l’usage de ses visseuses.
Des données envoyées vers BigQuery
Une fois les données collectées et uniformisées, elles sont stockées une première fois sur la plateforme DataFlow, un ensemble de serveurs déployés sur site qui hébergent le système chargé de l’agrégation des données. Elles sont ensuite envoyées vers un lac de données cloud. C’est tout l’objet du partenariat entre Renault et Google Cloud annoncé en 2020. Les données sont ingérées et transformées à l’aide de l’outil DataFlow de GCP, avant d’être stockées dans des instances BigQuery. L’architecture est utilisée en production depuis 2021. Ce sont plus d’un milliard d’événements qui sont stockés dans le cloud tous les jours.
Au-dessus de l’espace de démonstration de l’usine de Flins, l’on trouve une salle hébergeant un centre de contrôle-commande où deux équipes sont chargées de la bonne gestion des données.
Il ne s’agit pas uniquement de modéliser les processus de fabrication. Parmi ces événements, 80 000 points de données proviennent des batteries des véhicules électriques de Renault. Le constructeur automobile a la possibilité de mesurer en temps réel le fonctionnement des batteries grâce à OPC-UA. Si ses clients l’y autorisent, il peut effectuer ces mesures lorsque les voitures ont quitté ses usines et les camions de ses transporteurs. Pour rappel, l’usine de Flins produit les Renault Zoe, la fameuse voiture électrique d’entrée de gamme.
Un projet transformé en offre commerciale
« Ce que nous avons déployé, c’est ce que certains éditeurs prônaient à l’Hannover Messe cette année », confie un membre de la DSI de Renault au MagIT.
Jean-Marc ChatelanazIDM4.0 Program Director, Renault
Le constructeur automobile est si convaincu par sa capacité de collecte interopérable de données qu’il a lancé avec Atos l’offre ID@Scale, une solution « Edge to Cloud » reposant sur l’expertise OPC-UA de Renault et une implémentation réalisée par Atos. « Il n’avait pas d’équivalent sur le marché, c’est pour cela que nous avons développé cette solution en interne. Il n’y a toujours pas d’équivalent à cette échelle. Ici, il s’agit de mettre en valeur notre savoir-faire, mais aussi de monétiser cette implémentation », indique Jean-Marc Chatelanaz.
Un peu moins d’un an après la commercialisation, les porte-parole du groupe estiment que l’offre en est encore à ses prémisses. Pour autant, les projets auprès des premiers clients sont prometteurs, jugent-ils.
Pour que Renault puisse prouver ses dires à ses équipes et aux potentiels clients d’ID@Scale, le démonstrateur installé dans l’usine de Flins-sur-Seine permet de visualiser en temps réel les données de robots installés dans les différentes usines du groupe. L’un des cas d’usage les plus simples mis réellement en place par Renault consiste en la supervision des données de plus de 2 200 robots. Celles-ci permettent d’indiquer quand une machine rencontre un problème, et d’agir en conséquence. Arrêts, panne, consommation, rythme de production : le personnel du groupe a mis en place plus de 300 alertes afin d’optimiser l’assemblage de ses véhicules.
Gains estimés : 10 millions d’euros. Le projet le plus rémunérateur est sans doute l’inspection des soudures réalisée à l’aide des données des robots soudeurs et d’algorithmes de vision par ordinateur. En 2022, Renault estimait avoir économisé 15 millions d’euros rien qu’avec ce cas d’usage.
En interne, le projet est loin d’être terminé. Le groupe compte raccorder 22 000 équipements à IDM 4.0 sur 35 sites, d’ici à la fin 2023, pour un retour sur investissement non plus estimé à 80 millions, mais à 200 millions d’euros. Un autre sujet clé pour le groupe n’est autre que la cybersécurité.
« Depuis l’année dernière, nous sommes en train de déployer des firewalls sur tous les sites. Nous commençons à ne plus pouvoir nous connecter aux machines à distance sans autorisation », témoigne un responsable de la démonstration.
L’adoption d’OPC-UA et des services d’ingestion, de transformation de données et de stockage de Google Cloud ne pourrait expliquer à eux seuls ce bilan. Dans un prochain article, LeMagIT reviendra plus en détail sur les procédés analytiques et d’intelligence artificielle mis en place par Renault.