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Nexans mise sur les jumeaux numériques pour améliorer son bilan carbone
Après avoir développé une solution en partenariat avec Cosmo Tech, Nexans fait de nouveau appel au spécialiste du jumeau numérique. Le groupe français veut répondre à un de ses enjeux internes : réduire considérablement ses émissions de gaz à effet de serre sans affecter sa rentabilité.
Fondé par Alcatel-Lucent, Nexans est un spécialiste de la fabrication de câbles électriques, de fibre optique et Ethernet. Présent sur les marchés du bâtiment, des infrastructures haute tension, de l’industrie, du transport de l’IT et les télécommunications, le groupe se concentre depuis février 2021 sur l’électrification. C'est tout l'objet du plan « Winds of change » (les vents du changement en français).
Cette stratégie induite par la transition énergétique a pour but de recentrer les activités de Nexans sur la fourniture de câbles utilisés tout au long de la chaîne de production et de distribution de l’électricité décarbonée. L’entreprise entend miser sur des projets liés aux énergies solaires, éoliennes et nucléaires. Par exemple, il a signé un contrat avec la SNCF pour alimenter la gare de Paris Montparnasse en électricité à l’aide de câbles supraconducteurs censés « supporter la puissance de trois réacteurs nucléaires en seul câble ».
Tandis que le groupe renoue avec la croissance, il doit anticiper sa propre transition écologique. Il s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de Scope 1 et 2 de 46,2 %; et de 24 % ses émissions de Scope 3 d’ici à 2030 par rapport à l’année de référence, 2019. Cela représente une baisse de 50 000 tonnes équivalent carbone par an.
« Le plan stratégique s’accompagne d’un modèle de pilotage nommé E3 pour économique, environnement et engagement », indique Fatima Addakiri, Global Data & Analytics Director chez Nexans.
Cet outil de la mesure de la performance vise à évaluer « la rentabilité du carbone, des capitaux et des compétences engagés ».
Fatima AddakiriGlobal Data & Analytics Director, Nexans
« Nos objectifs sont ambitieux. Il nous fallait trouver un moyen pour mener leur exécution et leur réalisation. Une question s’est posée rapidement : comment pourrait-on respecter nos engagements de réduction des GES tout en maintenant nos engagements opérationnels et financiers ? », poursuit la responsable.
Avec ses jumeaux numériques, Nexans lie ses actions environnementales à son bilan financier
Pour Nexans, les jumeaux numériques répondent à cette question. L’entreprise est familière avec cette technologie. En partenariat avec Cosmo Tech, elle a développé pour ses clients Asset Electrical. Il s’agit d’une solution de simulation combinant les données des actifs, d’inspection et les stratégies de renouvellement d’un réseau électrique. Les usagers peuvent employer cet outil pour tenter de réduire les dépenses d’investissement et les coûts de maintenance tout au long du cycle de vie d’une infrastructure électrique.
C’est donc sur la même technologie que Nexans s’appuie pour ses besoins internes. « Nous avons bénéficié de cette proximité avec Cosmo Tech pour nous interroger sur l’utilisation du jumeau numérique pour cet enjeu environnemental », déclare Fatima Addakiri. « Cela nous permettait de travailler sur des scénarios “what-if” (qu’est-ce qu’il se passerait si… en français N.D.L.R) permettant de mesurer en permanence l’impact d’une initiative liée à un des piliers de notre modèle de pilotage sur les deux autres ».
« L’idée, c’est de trouver la meilleure façon de prendre des décisions en respectant les trois E – – engagement, économique, et environnement – en même temps, à aucun moment, l’un au détriment de l’autre », précise-t-elle.
Dans ce cadre, Nexans ne modélise pas un, mais trois jumeaux numériques. « Un jumeau numérique est l’équivalent d’un jeu de données qui va matérialiser un des trois E. Nous avons donc un jumeau numérique pour la partie économique et financière, le jumeau numérique pour l’environnement et plus tard nous en intégrerons un autre pour l’engagement des ressources humaines », explique la responsable du projet.
Selon Fatima Addakiri, les jumeaux numériques doivent surtout servir à observer une situation présente et à lancer des simulations prenant en compte des paramètres « relativement complexes ». Il s'agit de réaliser des projections cibles et futures sur les aspects financiers et environnementaux. « C’était pour nous important et séduisant parce d’une manière très simple n’importe quel utilisateur à n’importe quel niveau de l’organisation devait pouvoir prendre une initiative, la jauger en la simulant et constater son impact sur son entité ».
Par exemple, l’outil peut servir à observer les consommations d’une énergie émettrice de GES comme le gaz sur différents sites industriels. Cette consommation de gaz peut être due à l’utilisation de fours industriels. « Pour abaisser les émissions de GES, l’on pourrait changer le brûleur d’un four », illustre Fatima Addakiri. « Un brûleur plus performant permet de réduire la consommation de gaz, mais cela implique un investissement CAPEX. Nous estimons les émissions liées à la réduction de consommation tout en mesurant son impact financier sur notre EBITDA ». Ce scénario a déjà été appliqué dans une usine de Montréal et pourrait être répliqué sur un autre site à Lens, en France.
L’outil E3 est également utilisé au moment d’installer des panneaux photovoltaïques. Les parties prenantes évaluent la rentabilité entre l'achat des équipements ou leur location longue durée. Dans ce cas, un tiers installe ses panneaux solaires sur un toit, un parking ou dans une « ferme » pour alimenter les usines de Nexans. La deuxième solution est souvent plus rentable, observe la directrice.
Concernant la livraison des câbles aux clients les plus éloignés des usines, Nexans simule les effets d’un mode de livraison alternatif sur son chiffre d’affaires, son bilan carbone et son EBIDTA. Par exemple, l'entreprise affrète des camions roulant au gaz compressé quand la distance à parcourir dépasse les 1000 kilomètres. Pour les clients les moins réguliers, elle étudie la non-prise en charge du transport à ses frais.
« Cela permet aussi de revoir notre tarification. Une tonne d’émission de CO2, cela a un coût de compensation que nous intégrons dans notre EBITDA », indique la responsable qui anticipe la prise en compte des effets des émissions GES par les marchés financiers. Dans ce cadre, l’entreprise a déjà évalué 120 000 routes de livraison et d’acheminement de matières premières.
Une combinaison technologique complexe
Un tel résultat ne s’obtient pas en un jour. Pour déployer les deux jumeaux numériques, il a fallu trouver « les données les plus parlantes sur les univers financiers et écologiques ». « Ensuite, il y a eu un gros travail de modélisation pour faire communiquer ces deux jumeaux numériques », poursuit-elle.
Cosmo Tech évoque de son côté plus de 60 000 caractéristiques différentes. Pour cela, Fatima Addakiri s’est appuyé sur son expérience et les retours des cadres de la direction afin de valider les modèles.
Fatima AddakiriGlobal Data & Analytics Director, Nexans
« Le travail de modélisation requiert une connaissance approfondie de notre activité et des données existantes. Elles proviennent de plusieurs processus d’achat, vente, industrie et finance. En la matière, mes dix années d’expérience dans le groupe m’ont bien servi », renseigne la responsable.
La plateforme de Cosmo Tech a été déployée en mode PaaS sur le cloud Microsoft Azure, une première pour les équipes IT de Nexans. « Nous nous sommes armés pour réussir, puisque c’était quelque chose que nous ne savions pas faire. Le projet a été bien piloté », assure Fatima Addakiri.
Les données sont ingérées depuis les systèmes Historian (des bases de données éditées par AVEVA) déployés sur les sites industriels, les ERP et les outils BI SAP du groupe vers un « Lake House » dans Azure. « Nous utilisons des Azure Functions et l’Azure Digital Twins afin de transformer les données avant de les transmettre à Cosmo Tech », explique la responsable.
Les données de transport proviennent de Shippeo et servent à estimer les émissions carbones. Nexans fait aussi appel à Schneider Electric pour équiper ses usines en capteurs IoT. « Ces senseurs nous permettront de collecter des données issues des machines et des produits afin de peaufiner les mesures de leurs émissions GES ».
L’apport de données externes posait des enjeux de cybersécurité que les équipes de Nexans ont dû traiter. « Nous insérons dans notre cloud Azure un composant externe alors que le Lake House contient des données sensibles. Notre équipe de cybersécurité a fait un bon travail d’audit », considère-t-elle.
Pour les métiers, ces aspects plus techniques sont « transparents ». Pour l’instant, ils ont accès à une application développée à l’aide de Power Apps qui affiche les tableaux de bord et permet d’afficher les scénarios. Sous le capot de l’application, une instance Power BI est connectée à Azure Data Explorer (ADX) qui accueille les résultats des simulations.
Une seule plateforme pour toute l’entreprise
Au moment de la disponibilité générale de la solution, cette interface sera portée par la plateforme de Cosmo Tech. « Cela nous facilitera la tâche en matière de maintenance puisqu’il n’y aura plus qu’une seule application, celle de Cosmo Tech », anticipe la directrice.
En attendant, les responsables du projet E3 forment rapidement les usagers. « Nous avons un plan de déploiement. Nous organisons des sessions de 1h30 par unité opérationnelle. Les différentes parties prenantes dont le directeur de la BU, les responsables de la finance et de la durabilité y participent. Lors de cet embarquement, nous expliquons les mécanismes de fonctionnement, les règles de calcul qui ne sont pas toujours simples », reconnaît Fatima Addakiri.
La directrice et son équipe misent aussi sur l’explicabilité. Ainsi, il s’agit de renseigner une définition pour tous les champs de données qui influe sur les simulations. Par ailleurs, un guide d’utilisation et un webinaire disponible sur l’intranet du groupe réexpliquent les grands principes de l’outil.
Données sensibles obligent, Nexans applique une politique stricte d’accès. Tous les usagers ne peuvent pas accéder aux données financières, tout comme les « initiatives » c’est-à-dire les demandes de simulation sont soumises à l’approbation des responsables des groupes et des unités business. « Il ne faut pas noyer l’outil avec des simulations que l’on sait d’emblée infructueuses. Les initiatives sont simulées, puis un deuxième mécanisme d’approbation permet de les valider ou de les rejeter », informe la directrice.
Fatima AddakiriGlobal Data & Analytics Director, Nexans
Nexans conserve un historique de toutes les simulations, satisfaisantes ou non. « Il s’agit de démontrer le niveau d’activité des collaborateurs, peu importe si leur idée donne lieu à une prise d’action ou non ».
Au-delà de la participation des différentes unités opérationnelles et des sites de production, l’objectif est d’analyser les prises de décision suivant si une entité peut investir de manière conséquente dans la transition énergétique ou non. « Souvent, une initiative est rejetée pour des raisons économiques », signale Fatima Addakiri.
En ce sens, l’outil E3 a permis d’observer que les unités opérationnelles les plus émettrices en CO2 sont fréquemment celles dont l’activité est plus faible. Pourtant, ces deux informations ne sont pas corrélées dans le processus de modélisation. « L’outil nous permet d’étudier le phénomène et de l’analyser en profondeur afin d’identifier les champs d’action potentiels pour baisser les émissions de GES sans dégrader le bilan financier d’une unité déjà en difficulté ».
Auparavant, l’analyse des émissions GES était réalisée tous les ans. Désormais, Nexans peut effectuer des points plus régulièrement dans l’année, voire obtenir des mesures à un instant T. « L’autre avantage, c’est que cette plateforme est commune à toute l’entreprise. Il est beaucoup plus facile de partager les simulations et les prises de décision à travers nos sites dans le monde », constate la responsable. « Et il est possible de généraliser l’étude de scénario. Une initiative de réduction des émissions a fait ses preuves en Australie, que se passerait-il si je l’appliquais à toutes les usines du groupe qui ont les mêmes technologies que dans ce pays d’origine ».
Dans ce cas-là, les résultats varient suivant le mix énergétique des pays, ce qui peut encourager des investissements dans une région plutôt dans une autre. « En Afrique, les facteurs d’émissions sont très élevés parce que le mix énergétique n’est pas favorable. Par exemple, une initiative de réduction des GES au Maroc pourrait avoir beaucoup plus d’impact que si elle était prise en Suède », suppose-t-elle.
L’outil E3 est installé sur 40 sites, et est accessible par plus de 120 utilisateurs. Nexans prévoit de terminer son déploiement d'ici à la fin de l'année 2022. Entre 3 000 et 5000 scénarios ont déjà été joués.