Mondes Disparus : la paléontologie creuse la piste de la réalité virtuelle

La nouvelle exposition du Museum National d’Histoire naturelle propose un voyage étonnant dans l’Histoire longue de la Terre, reconstituée en réalité immersive – animaux compris – grâce aux savoirs des paléontologues. Visite des coulisses technologiques de ce dispositif de vulgarisation fascinant.

Pour lancer un projet de réalité virtuelle (métavers ou autre), le premier conseil le plus souvent donné aux responsables d’entreprise est : expérimentez, testez par vous-même, et voyez de quoi il s’agit. Une bonne occasion de le faire se présente au Museum National d’Histoire Naturelle (MNHN) avec Mondes Disparus – un exemple remarquable et passionnant d’univers immersif.

La réussite n’était pourtant pas assurée. L’exposition est à la fois un défi scientifique (rendre la paléontologie attractive et ludique pour le grand public, en respectant à la lettre l’exactitude et la rigueur des savoirs de la discipline – exigence non négociable pour une institution comme le MNHN) et un défi technique.

Mettons fin d’entrée au suspens : les deux sont relevés haut la main dans un exemple parfait de ce que les technologies immersives peuvent apporter à des sujets a priori complexes. Quant au MNHN, il continue avec succès son exploration des technologies de réalités virtuelles (VR), après d’autres excursions sur les terres de la 3D.

Six époques et 2 000 m²

Le voyage, à travers 3,5 milliards d’années, commence dans la galerie de Géologie et de Minéralogie. Une fois enregistré et coiffé d’un casque de réalité virtuelle (des HTC Focus 3), le visiteur est propulsé dans six périodes de l’Histoire de notre planète (Archéen, Cambrien, Carbonifère, Jurassique, Crétacé, Éocène, Pléistocène) avec une succession de saynètes, reliées entre elles par un scénario assez basique – mais là n’est pas l’essentiel – de voyage dans le temps et dans le futur.

La partie technique a été confiée à la société Emissive, dont la filiale Excurio a aussi modélisé en 3D et co-écrit les détails foisonnants de la pérégrination avec un comité d’une vingtaine de paléontologues.

« Sur le plan méthodologique, la reconstitution des paléopaysages, de la flore et la faune, a impliqué toute la chaîne de production VR chez Excurio, en collaboration très étroite avec le Muséum », raconte Fabien Barrati, co-fondateur d’Emissive en 2005. « Une fiche détaillée par espèce a été conçue avec le concours des experts scientifiques, sur laquelle les graphistes ont pu se baser pour produire un modèle en trois dimensions. Puis, les animateurs 3D ont apporté du mouvement à ce modèle avec le soutien scientifique d’une illustratrice du Centre de recherche en Paléontologie – Paris (Muséum/CNRS – SU) spécialiste des reconstitutions et de la locomotion ».

Enfin, les intégrateurs ont donné vie à l’ensemble, en assemblant les décors et les espèces au sein de scènes, avant d’y ajouter musique, voix et bruitages.

La réalité virtuelle, comme une évidence

« Après avoir vu l’Horizon de Kheops et Eternelle Notre Dame [N.D.R. : deux univers virtuels également conçus par Emissive], l’idée de la réalité virtuelle s’est imposée comme une évidence », confie au MagIT Guillaume Lecointre, un des commissaires de l’exposition et professeur spécialiste de l’évolution au MNHN.

D’autant plus évidente qu’au début du projet, le MNHN n’en est pas à son premier essai dans la 3D. Depuis 2017, l’institution du Jardin des Plantes propose un Cabinet Virtuel et depuis 2021, une exposition permanente qui fait Revivre (c’est son nom) les espèces éteintes grâce à la réalité non pas virtuelle, mais augmentée[1].

Une des scènes de Mondes Disparus
Une des scènes de Mondes Disparus (période Éocène)

 Avec Mondes Disparus, le MNHN va un pas plus loin dans l’exploitation du potentiel de ces technologies. La déambulation se fait dans un espace de 2 000 m² virtuel… qui tient dans l’espace réel d’un long couloir de 500 m², couvert de bien étranges motifs pour permettre aux algorithmes des casques de localiser avec précision chaque visiteur (lire par ailleurs « Dans les coulisses techniques de Mondes Disparus » à paraître dans le prochain numéro de notre magazine Applications & Données).

« C’est la puissance de notre plateforme. Elle permet d’adapter très facilement le contenu virtuel à différents espaces réels » vante Fabien Barrati.

Concrètement, le « film », dont le visiteur est le spectateur immergé, est découpé en micro-scènes, qui se déroulent chacune dans un espace d’environ 4 m². Ces espaces – sorte de briques de base – peuvent ensuite être combinés à loisir, comme un jeu de cubes modulables, pour coller au lieu physique. Emissive est même capable de faire des démonstrations dans une pièce de ses locaux parisiens.

Cent participants en simultané

Sa plateforme logicielle a été conçue par une dizaine de développeurs. Elle ne gère pas la 3D – l’univers a été conçu à part avec le moteur Unity – mais elle centralise toutes les métadonnées, à la manière d’un serveur de jeux vidéo.

Pour Mondes Disparus, un des défis est de scaler cette plateforme pour arriver à gérer, simultanément, jusqu’à une centaine de personnes dans l’univers virtuel avec une technologie, dite de « free-roaming en colocalisation ».

« Quarante-cinq minutes de déplacement libre, dans des paléo-paysages que l’on n’avait jamais vus, c’est unique au monde et une grande première. »
Stéphanie TarguiResponsable des contenus numériques du MNHN

Le but des serveurs en backend est d’éviter les interruptions de l’histoire, mais aussi les collisions entre personnes. Car dans Mondes Disparus, on ne voit pas les autres groupes de visiteurs ; ce qui donne l’impression agréable d’être dans une visite privée avec ses proches. Pour éviter de bousculer les visiteurs d’autres groupes, des avatars – anonymes – se matérialisent néanmoins si, et seulement si, ces autres visiteurs arrivent à proximité immédiate.

Emissive a également travaillé l’ergonomie générale. Contrairement à ses expositions précédentes, le visiteur n’a plus besoin de porter un sac à dos (qui contenait un gros PC portable).

« Quarante-cinq minutes de déplacement libre, dans des paléopaysages que l’on n’avait jamais vus, c’est unique au monde et une grande première », se réjouit Stéphanie Targui, responsable des contenus numériques du MNHN.

La barre de la centaine de participants simultanés visée par Emissive ne sera pas forcément celle du MNHN, mais elle pourrait être atteinte dans d’autres lieux.

Car après neuf mois à Paris, l’exposition fera un tour du monde. Ses escales sont déjà prévues à Shanghai et à Londres. Le choix des saynètes a d’ailleurs tenu compte de ce facteur en diversifiant les lieux géographiques dans le scénario, de telle sorte que chaque musée qui accueillera Mondes Disparus pourra proposer aux visiteurs d’aller voir les fossiles « IRL » qu’il possède.

Une réalité virtuelle qui ancre plus durablement les savoirs

Le lien avec « la vraie vie » (IRL) – les fonds des muséums, donc – a d’ailleurs posé débat. « Au départ, nous étions encore plus ambitieux », raconte Guillaume Lecointre, « nous avions envisagé des QR Code à scanner pour renvoyer vers des informations supplémentaires ». Par exemple les fossiles à voir au MNHN, ou les parties de l’anatomie communes entre l’animal disparu, que l’on voit passer devant soi, et les animaux vivants aujourd’hui.

« Au départ, nous avions envisagé des QR Code à scanner pour renvoyer vers des informations supplémentaires. »
Guillaume LecointreProfesseur spécialiste de l’évolution au MNHN

Mais rapidement le principe vertueux du « less is more » s’est imposé. D’une part ces codes auraient compliqué la gestion du flux des visiteurs (en rendant moins prévisible le temps passé dans chaque « brique » d’espace).

D’autre part, l’univers virtuel est déjà tellement riche et foisonnant (petit conseil… levez la tête partout où vous passez et scrutez les horizons !) que, lors des premières minutes de l’immersion, c’est la contemplation qui l’emporte et l’on écoute à peine les voix de la guide virtuelle (Charlie, une jeune chercheuse) et de son compagnon le robot Darwin.

Petit à petit, au fil de l’aventure, la magie de la paléontologie et de la science opère et s’ajoute à la beauté des lieux et des créatures. En étant ainsi immergés et actifs, les visiteurs ancreraient en effet plus durablement les savoirs en eux, insiste l’institution du Jardin des Plantes – comme un plaidoyer pour la réalité virtuelle dans son ensemble.

En attendant l’Ornithosuchus ?

La paléontologie est un univers bien plus vaste que les six périodes choisies pour l’exposition. « Il y a en tout 18 périodes paléontologiques », rappelle Guillaume Lecointre.

Certaines sont donc restées de côté. « Ma période préférée est le Permien », illustre le paléontologue qui évoque, à cette époque, des animaux étranges comme un crocodile bipède (l’Ornithosuchus) qui aurait fait un parfait candidat pour étonner les visiteurs. « Il a fallu en choisir six pour tenir dans les 45 minutes », tranche l’expert de l’évolution.

Le choix a donc été difficile. Mais il laisse espérer d’autres expositions et d’autres voyages dans le monde, bien vivant, de la paléontologie. Celui du jour est en tout cas, et déjà, une source intelligente et étonnante pour toucher du doigt, « in real life », l’état de l’art ces technologies virtuelles.

Mondes Disparus au Muséum National d’Histoire Naturelle

Du 14 octobre 2023 au 16 juin 2024 à la Galerie de Géologie et de Minéralogie – au Jardin des Plantes (accès par le 36 rue Geoffroy Saint-Hilaire). Métro Censier Daubenton (L7).

Ouvert du mercredi au dimanche de 10 h à 18 h (dernière entrée à 17 h).

Tarifs : 29 €/24 €

L’exposition est accessible à partir de 8 ans (recommandé à partir de 11 ans).



[1] Lors de la saison 2021/2022, le MNHN a également organisé une exposition immersive, l’Odyssée Sensorielle, mais sans technologies VR ou AR (projection sur grand écran, odeurs, etc.).

Pour approfondir sur Applications métiers