Michelin : « en tant que client Oracle, OCI nous paraît un choix naturel »
L’industriel français a migré son ERP Oracle EBS de ses datacenters au cloud d’Oracle. Dans cette interview, Michelin explique que ce n’était pas une fatalité, mais un choix raisonné.
Michelin fait partie de ces grands comptes français qui utilisent depuis des années dans ses datacenters des progiciels Oracle (et d’autres, édités par ses concurrents). Au moment de migrer ses infrastructures vers le cloud pour des besoins opérationnels, l’industriel s’est naturellement posé la question de l’hyperscaler le plus adapté à ses besoins.
Alors que les logiciels d’Oracle peuvent fonctionner dans tous les clouds publics, Michelin est tout de même arrivé à la conclusion qu’il valait mieux migrer ces applications-là dans OCI, le cloud d’Oracle. Pour comprendre le cheminement de ce projet, LeMagIT a rencontré Cécile Latour, la directrice IT responsable de toutes les applications des processus finance, achats et services du personnel au sein de Michelin, lors du récent événement Oracle CloudWorld 2023. Interview.
LeMagIT : Quelle est la solution que vous avez voulu migrer en cloud et pourquoi ?
Cécile Latour : La solution concernée est notre ERP Finance, Oracle E-Business Suite (EBS), qui est en place dans nos datacenters depuis 2012 et qui chapeaute aujourd’hui 70 sites industriels dans le monde. En Europe, il supporte les processus manufacturing, finance, achat, ainsi que le traitement des commandes clients jusqu’à la comptabilisation des revenus.
En pratique, cet ERP représente des téraoctets et des téraoctets de données. Il est utilisé par 50 000 collaborateurs dans le monde entier. Et il traite 80 % de nos revenus.
Cet ERP, très centralisé, donc, fonctionnait sur des serveurs qui sont arrivés en fin de vie il y a un an et demi. Outre cette obsolescence technique, nous étions aussi confrontés à de nouveaux enjeux de performances. En clair, EBS n’est pas le seul ERP que nous utilisons (nous avons aussi du JD Edwards, du Microsoft Business Central, et peu de SAP en revanche), mais EBS est le principal, nous voulons lui confier plus de tâches et Michelin déploie de nouveaux sites que nous voulons aussi chapeauter avec EBS. Donc la solution allait être bien plus sollicitée qu’auparavant.
Pour résoudre cette seconde problématique, nous devions gagner en élasticité. Après avoir étudié les différentes infrastructures possibles, il nous est apparu que la meilleure solution serait de faire héberger notre ERP en cloud.
LeMagIT : Et pourquoi avoir spécifiquement choisi OCI ?
Cécile Latour : C’est en effet un choix spécifique dans le sens où nous n’avions jamais rien déployé sur OCI. D’ordinaire, nous travaillons plutôt avec le cloud Azure et il était tout à fait possible d’installer EBS sous forme de VMs sur Azure.
Cependant, le fait que des datacenters OCI soient implantés en France (nos datacenters historiques sont à Montpellier) et le fait qu’il y ait désormais des retours d’expérience solides de la part de nos partenaires chez Oracle mettaient finalement OCI sur certain un pied d’égalité avec Azure. Dès lors, nous avons considéré qu’il serait sans doute plus simple de faire héberger une solution Oracle sur le cloud d’Oracle.
LeMagIT : Mais encore ? Avez-vous choisi OCI pour passer d’un logiciel sur serveur à une application en SaaS ?
Cécile Latour : Non. Pour l’heure, nous utilisons toujours EBS et nous l’exécutons sur des machines virtuelles d’OCI. Nous ne sommes pas passés sur Fusion, l’équivalent d’EBS en SaaS. Avec EBS exécuté sur l’infrastructure d’OCI, il n’y a aucun changement, ni du point de vue de l’utilisateur final ni du point de vue des fonctionnalités. Pour tout vous dire, nous n’avons même pas fait d’upgrade sur la solution ; il s’agit du même EBS que celui que nous utilisions dans nos datacenters.
En revanche, ce qu’OCI change par rapport à notre datacenter c’est que nos équipes applicatives ont bien plus la main sur l’infrastructure. Ils sont plus libres d’augmenter le nombre de VMs, de CPUs, de mémoire.
Cela peut paraître paradoxal. Mais la complexité d’un datacenter fait qu’il n’y a que les équipes infrastructures qui peuvent y toucher. Dans OCI, il y a des consoles de gestion, des outils de monitoring inédits qui permettent aux équipes applicatives de prendre directement la main, ce qui nous rend plus autonomes. Et ce qui permet, accessoirement, à nos équipes applicatives de monter en compétences. Mes équipes sont très friandes de pouvoir travailler dans de nouvelles technologies.
LeMagIT : Et quid des questions techniques ? Car on imagine qu’il a fallu réfléchir au dimensionnement de l’infrastructure utilisée sur OCI, n’est-ce pas ?
Cécile Latour : Oui, très probablement. Mais cette question a été traitée par nos équipes infra. En ce qui me concerne, je suis responsable des applications qui s’exécutent dessus.
Pour être plus précise, nous avons été accompagnés tout le long du projet par les équipes Oracle, à la fois en tant que consultants, puis aussi par leurs experts de la division CSS [Customer Success Service, une assistance technique d’Oracle sur les déploiements d’infrastructure, N.D.R.]. Ce sont des gens qui travaillent avec nous depuis les premiers jours où nous avons déployé de l’Oracle dans nos datacenters et qui connaissent par cœur nos métiers, nos processus, nos spécificités.
C’est aussi pour cette raison, pour leur accompagnement, leur proximité, que nous avons choisi OCI.
LeMagIT : Où en êtes-vous actuellement concernant cette migration ?
Cécile Latour : Après avoir passé le début de l’année 2022 à étudier les solutions possibles, le projet s’est structuré durant le quatrième trimestre de l’année dernière. Techniquement, il a vraiment démarré au début de l’année 2023 avec la migration de nos environnements de non-production.
Nous avons quinze environnements, neuf de non-production, trois de production (un pour l’Europe, un pour l’Amérique, un pour l’Asie) et trois DRP [à ce stade, LeMagIT n’est pas sûr de comprendre s’il s’agit de Disaster Recovery Plans – des PRA, c’est-à-dire des copies de secours – ou d’environnements dits de Distribution Resource Planning, soit de la planification des ressources de distribution, NDR]. À la date d’aujourd’hui, il nous reste à migrer un environnement de production et les trois DRP.
À chaque migration d’un environnement, nos équipes applications, infrastructures et celles d’Oracle ont travaillé ensemble. Et cela s’est très bien passé. Par exemple, les opérations de migration de chaque environnement de production ont été exécutées sur un week-end. Et elles se sont déroulées avec le délai convenu. Nous avons rouvert le service dès le lundi matin et il n’y a eu aucun impact sur nos activités.
Je pense que tout aura été migré d’ici à la fin de l’année.
LeMagIT : Les collaborateurs de Michelin se sont-ils rendu compte d’un changement ?
Cécile Latour : Globalement, les retours sont que le système fonctionne de manière beaucoup plus fluide depuis la migration. Cela a surtout été saillant pour nos équipes américaines et, ce, alors même que notre ERP n’est pas répliqué dans une région américaine d’OCI.
En matière de performances, sur les processus de clôture, nous avons vu une baisse très importante des temps de traitements. Je dirais qu’ils durent dix fois moins longtemps qu’auparavant.
Mais l’idée avec notre EBS est qu’il ne soit plus essentiellement dédié aux processus de clôture. Nous voulons le faire monter en charge sur les prises de commande, sur la facturation, sur les flux industriels, sur la gestion des stocks. Or, là, les traitements sont 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Et avec EBS sur OCI, nous avons bien la solution ultra-performante, tout le temps, que nous attentions. C’est-à-dire que les processus de clôture, qui sont des traitements assez lourds, n’ont à ce jour aucun impact sur les autres fonctions.
LeMagIT : Cet EBS en cloud OCI vous coûte-t-il le même prix que l’EBS dans vos datacenters ?
Cécile Latour : La projection est que cette solution en cloud devrait nous coûter par an 20 à 30 % moins cher. Mais attention. J’ai bien conscience que pour parvenir à un tel résultat, il nous faudra maîtriser parfaitement toutes les notions de dimensionnement des ressources et de FinOps liées à OCI. Cela va nécessiter de nouvelles compétences dans notre équipe. Oracle nous accompagne pour comprendre tous les leviers que nous pouvons actionner.
En plus des équipes d’Oracle, nous sommes également accompagnés sur ces questions par Capgemini.
Le MagIT : Et après ? Que ferez-vous une fois qu’EBS aura été intégralement migré sur OCI ?
Cécile Latour : Pour l’instant, du point de vue de l’architecture, nous n’utilisons aucune des caractéristiques d’OCI qui pourraient nous apporter des fonctionnalités nouvelles. Donc l’examen de ces nouvelles possibilités sera l’étape suivante, dans le court terme.
Dans le long terme, nous nous poserons certainement la question de savoir si nous devons rester sur EBS en IaaS ou si nous devons passer à Fusion en SaaS. Nous avons à l’idée que Fusion nous permettrait sans doute plus facilement d’accéder à des fonctions d’analytique, d’IA, des fonctions qui vont quand même dans le sens de l’histoire.
Cependant, Fusion est un produit radicalement différent d’EBS. Ce serait un énorme changement culturel. C’est une stratégie que nous construirons donc petit à petit. Parce que, sur ce sujet, il ne s’agira vraisemblablement plus du tout d’une migration en seulement un an.