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Low-code/no-code : ces leçons retenues par EDF Particulier
Fin 2019, après un appel d’offres public, la DSI du marché des particuliers d’EDF a choisi la plateforme Pegasystems pour moderniser la gestion de la relation client du groupe. Si la solution tient ses promesses, la DSI a découvert qu’un projet low-code/no-code réclame presque autant de préparation qu’un projet IT traditionnel.
En 2022, EDF gérait la livraison d’électricité vers 33,9 millions de sites et la fourniture de gaz à 6,4 millions de sites dans le monde. En France, le producteur et fournisseur d’énergie dessert 29,1 millions de sites clients, dont 2,4 millions en gaz.
L’année dernière, le fournisseur a vendu 231,6 TWh d’électricité et de 40,5 TWh de gaz auprès des clients d’EDF Direction Commerce et d’Électricité de Strasbourg.
Longtemps en situation de quasi-monopole en France, le groupe n’avait pas grandement ressenti les effets de l’ouverture globale du marché à la concurrence en 2007 avant 2016.
L’application des réglementations européennes, la prise de conscience progressive des particuliers ayant désormais le droit de changer de fournisseur d’énergie à leur guise a conduit à la perte d’un million de clients entre mi 2016 et mi 2017 : plus de 100 000 clients particuliers se tournaient vers un fournisseur alternatif tous les mois.
Un système existant qu’il fallait adapter à l’entrée en scène de la concurrence
Bien que détenteur de 80 % du marché résidentiel, l’épisode est douloureux pour EDF.
Côté IT, la DSI d’EDF Particulier, rattachée à la Direction Commerce, avait préparé cette ouverture du marché. En 2004, la Direction Commerce a lancé le déploiement d’un ERP ECC SAP. Ce n’est qu’entre 2007 et 2011 que le SI consacré aux particuliers est migré vers l’ERP. « Cela nous a pris un temps considérable de migrer nos anciens systèmes vers les nouveaux », juge Olivier Jehl, DSI du marché des clients particuliers chez EDF.
Il est accompagné de la version 7.0 du CRM de l’éditeur allemand, lancé officiellement en 2009. « Le système est bien adapté à l’ouverture du marché », mais en 2016-2017, il « répondait en grande partie aux méthodes du passé ». C’est là qu’il fallait réagir.
Entretemps, SAP a annoncé S/4HANA, une évolution majeure vouée à remplacer ECC. Un défi encore inimaginable pour la DSI d’EDF Particulier. « Nous nous sommes rendu compte que nous n’avions ni les moyens ni l’envie de tout refaire. De plus, S/4HANA n’était pas encore “sec” », évoque Olivier Jehl.
« Nous avons essayé de “pousser le tas de sable” intelligemment. Plutôt que de passer sur S/4HANA – à l’époque nous ne nous sentions pas prêts –, nous avons migré notre facturière sur un Exadata ».
L’infrastructure fournie par Oracle en 2016 a permis de diviser par trois le temps des nuits applicatives. Il est alors envisagé de conserver ce système pour les dix années à venir.
En parallèle, EDF préparait l’activation du smart metering et plus particulièrement des compteurs Linky, ce qui réclamait de gérer davantage de données.
L’ouverture du marché – qui représentait également l’opportunité pour EDF d’attirer des clients gaz – a fini de convaincre le DSI qu’il manquait un outil de conquête. « Le CRM de SAP est avant tout adapté à la gestion de contrats. Nous n’avions pas grand-chose pour la gestion des prospects », se rappelle-t-il.
Moderniser la gestion des prospects
Un appel d’offres public est lancé à la recherche de cette pièce manquante.
« Nous avons fait le choix de lancer un appel d’offres couplé auprès des éditeurs et des intégrateurs ».
Après une première phase de sélection en s’appuyant sur les fiches techniques des solutions, EDF Particulier a lancé une deuxième phase de prototypage. « Nous avons demandé aux candidats retenus de construire un prototype fonctionnel en quelques semaines, que nous avons déployé sur un centre d’appels », explique Olivier Jehl. « Ces solutions étaient accessibles comme des MVP, mais cela nous a permis de faire une évaluation technique et ergonomique, en prenant en compte l’acceptation des conseillers, les bénéfices et si elle dégradait ou non la durée moyenne de traitement ».
La DSI d’EDF Particulier a mis en concurrence Microsoft Dynamics, Salesforce et Pegasystems. « SAP n’a curieusement pas répondu à notre appel d’offres », remarque le DSI.
Le dirigeant constate que, dans le monde du CRM, les solutions sur site sont peu adaptées aux besoins d’EDF Particulier.
« Concernant le CRM, il n’y a pas réellement de solutions sur site qui répondent à nos besoins. La scalabilité et le coût du cloud sont sans pareil », affirme Olivier Jehl.
Comme souvent, les différences entre les outils de la même catégorie sont minces.
« Cela s’est joué entre Salesforce et Pega sur la ligne d’arrivée. En termes de fonctionnalités, c’était difficile de les différencier : c’est donc le prix qui a joué et le respect des règles de conformité, dont le RGPD ».
« Nous avons choisi d’emblée la solution cloud de Pega sur AWS. Quelle que soit la solution retenue, nous aurions choisi une offre cloud », constate le dirigeant.
Olivier JehlDSI du marché des clients particuliers, EDF
Salesforce n’avait pas encore acquis Vlocity, un spécialiste de l’intégration de briques CRM auprès des fournisseurs d’énergie. « Il y aurait eu Vlocity, cela aurait pu être différent », estime-t-il.
Un projet lancé (trop ?) rapidement
La DSI d’EDF Particulier a lancé le projet « tambour battant » avec son intégrateur de l’époque. « Nous avons conservé le prototype déployé sur les trois centres d’appel tests. Nous sommes partis de cette base que nous avons enrichie. Cela nous a permis de conserver l’implication des opérationnels », poursuit le DSI. « Nous avons eu beaucoup de facilité à intégrer le projet dans nos démarches d’industrialisation Agile ».
La plateforme Pega étant un outil de CASE management et de processus avant d’être un CRM, elle s’avère particulièrement modulaire.
« Le premier cas d’usage est arrivé quatre mois après le démarrage du contrat et c’était au moment de l’annonce de la fin du tarif régulé du gaz », se rappelle le responsable. « Nous en avons profité pour démarcher des clients sur les contrats gaz. Nous avions besoin d’une solution de démarchage massive pour les envois de courrier et d’e-mails : nous l’avons fait avec la solution de Pega ».
Cela a été efficace, mais le projet visait à industrialiser pour trois à quatre millions de clients.
« L’inconvénient, c’est que nous sommes partis sur les bases d’un prototype qui n’était pas très urbanisé », note Olivier Jehl.
OIivier JehlDSI du marché des clients particuliers, EDF
Il fallait connecter le CRM aux 15 à 20 SI nécessaires pour récolter les fruits de ces campagnes. « Les outils de modélisation de données, de design des applications Web, étant très permissifs, nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas forcément fait les bons choix. Il a fallu restructurer, revoir les applications et les logiques », remarque le DSI.
Deux ans plus tard, en 2023, et après avoir changé d’intégrateur, EDF Particulier a finalement terminé le déploiement auprès de ses conseillers de vente. « A posteriori, c’est la durée standard d’un projet, mais cela nous a paru long à moi, mes collègues, aux métiers et à ma direction ».
Outre les choix de conception et le changement d’intégrateurs, cette durée relativement longue pour un projet low-code/no-code s’explique aussi par le fait que c’était la première fois que la DSI d’EDF Particulier mettait en place la méthodologie Agile à l’échelle SAFe. « Là aussi, il y a du bon et du moins bon », constate le DSI. « Au moment de refondre les modules applicatifs, cela s’est fait en bonne intelligence entre la technique et le fonctionnel, entre l’IT et les métiers. Les livraisons logicielles étant continues, il n’y a pas eu d’effet tunnel ».
Il y a tout de même un revers de la médaille : « comme nous continuions à livrer des fonctions, la refonte nécessaire a pris davantage de temps ».
Les développeurs auraient pu se faire piéger par la multiplication de cas, l’un des défis généralement constatés avec les outils comme ceux de Pega.
La DSI d’EDF Particulier n’a pas rencontré cette difficulté. « Nous avons peu de parcours consacrés à la souscription, mais ils sont complexes et longs », nuance-t-il. « Nous n’avons probablement pas suffisamment découpé ces processus en sous-cas, ce qui aurait pu nous permettre de les réutiliser intelligemment ».
À la recherche des bonnes compétences
L’autre frein à la livraison rapide du projet n’est autre que le manque d’experts Pega sur le marché français. La DSI d’EDF Particulier a également trouvé de la main-d’œuvre en Suisse, ainsi qu’en Espagne.
« La bonne expertise n’est pas forcément francophone. Contrairement à ce que l’on pense, le low-code réclame de très hautes compétences, alors que les intégrateurs engagent plus souvent des profils juniors. Le low-code, ce n’est pas magique », prévient Olivier Jehl.
Olivier JehlDSI du marché des clients particuliers, EDF
Aussi et surtout, le DSI considère qu’en ne prenant pas le temps nécessaire à l’amorçage du projet, ses équipes en ont perdu.
« Cela vaut véritablement le coup de prendre six mois pour construire la design authority, l’équipe, internaliser certains aspects, bien poser le modèle de données et former les métiers à l’outil », conseille-t-il. « Ce temps peut paraître peu productif, mais il est absolument indispensable. Nous l’avons effectué un peu plus tard, ce qui nous a fait perdre un peu de temps ».
Au plus fort du projet, il y avait quatre équipes, pour un total de 50 à 60 collaborateurs. Deux équipes développaient des microservices spécifiques, dont les outils de tarification.
Une autre équipe, dite digitale, s’est occupée de coupler les écrans Pega avec les systèmes sur site. Deux équipes ont été chargées de l’intégration et de la gestion des données marketing.
Une solution adaptée à la volatilité du marché de l’énergie
La suite CRM a fait son office pour la conquête massive par courrier et par e-mail, conquête pendant laquelle EDF proposait des contrats préremplis, ajustés au moment de transformer la vente.
Depuis un an et demi, « il y a une crise énergétique » qui a complètement changé les règles du marché. « Les clients reviennent, mais sur l’offre consacrée au tarif régulé de vente de l’électricité », rappelle Olivier Jehl.
Or, EDF tente désormais de se différencier en proposant des offres dites de marché, combinant de préférence des packages électricité et gaz, voire des services.
« Au moment où nous devions lancer de grandes campagnes consacrées aux offres de marché, il y a eu la guerre en Ukraine. Nous avons dû pivoter. C’est désormais notre outil de gestion de la souscription pour tout client qui vient de la concurrence », relate le DSI.
Dans la logique de vente, EDF s’intéresse davantage aux habitudes de consommation du futur client, ce qui permet de proposer plus facilement ces « bundles ».
Cette manière de faire rencontre un certain succès auprès des clients qui viennent d’emménager, constate le DSI.
Ces « bundles » dépendent de règles « relativement simples » décrites dans la plateforme Pega. « C’est plutôt pratique : la volatilité des prix est telle qu’en ce moment, nos offres évoluent environ tous les trois mois ».
« Nous mettons en avant ce qui paraît à la fois le plus adapté aux besoins du client et à notre rentabilité », déclare Olivier Jehl.
Le fait d’inclure les règles qui permettent d’éditer les offres aisément dans la plateforme n’est pas une initiative de la direction métier. Au moment de lancer le projet, une politique commerciale devait s’appliquer sur deux ans.
Si le passage au run implique une réduction des effectifs – deux équipes devraient maintenir la solution –, il reste encore des modèles à développer. De fait, la solution demeurera en place au moins jusqu’en 2028.
« Un outil de vente, ça vit. Dans la situation actuelle, nous sommes obligés d’imaginer le panel de tous les cas possibles et l’on développe beaucoup de choses qui ne servent jamais, mais qui restent disponibles au besoin », explique le DSI.
De gros chantiers en perspective
La suite implique la refonte de l’ensemble du SI commercial du marché des clients particuliers.
Il y a d’une part la bascule brownfield vers S/4HANA Private Cloud Edition sur site en passant par l’offre Rise with SAP. « Nous ne cherchons pas à réinventer la poudre. Nous pensons ne plus avoir les compétences nécessaires pour se lancer un projet greenfield. Il faudrait tout reconstruire, c’est monstrueux. C’est un ERP qui a 20 ans de conception, nous n’allons pas repartir de zéro. Et en plus, notre facturière fonctionne », argue Olivier Jehl.
Il fallait toutefois ne pas attendre le dernier moment pour lancer le projet de migration. Les entreprises, dont EDF, ne veulent pas se retrouver parmi les retardataires qui lanceraient cette initiative en 2027-2028.
Le marché du cloud souverain, pas assez mature pour la DSI d’EDF Particulier
L’un des sujets de la rénovation de ce SI commercial concerne le choix d’infrastructure, renseigne Olivier Jehl. « Faut-il migrer vers le cloud ou non ? Avec les réglementations européennes et les risques que représentent les lois extraterritoriales américaines, quand on manipule de la donnée personnelle sensible, nous sommes attendus au tournant », signale-t-il. « Dans ce contexte, nous avons fait le choix de conserver notre facturière on-premise ».
EDF Particulier pourrait se tourner vers un fournisseur de cloud souverain, mais la DSI considère que le marché n’est pas encore assez mature.
« À date, nous ne voyons pas de solutions crédibles : nous migrerons vers un cloud de confiance le jour où il existera réellement », envisage Olivier Jehl.
D’ailleurs, EDF compte décommissionner le CRM 7 de SAP, et sélectionner une autre plateforme disponible depuis le cloud pour la gestion des contrats. Cette fois-ci, c’est Salesforce grâce à Vlocity qui s’est imposé lors de l’appel d’offres, annonce le DSI du marché Particuliers.
Deux plateformes CRM à faire cohabiter
Cette hybridité des systèmes d’information impose une gymnastique afin de respecter les réglementations européennes.
« Cela oblige à être plus malin dans la gestion des données des clients », note Olivier Jehl. « Par exemple, les données confidentielles, comme les informations bancaires de nos clients ne sont pas stockées dans le cloud. Elles transitent dans les écrans à travers des flux sécurisés. Si l’on a besoin de mettre des données confidentielles dans le cloud, nous les chiffrons avec une clé qui n’appartient qu’à nous, stockée sur nos HSM. Nous savons le faire avec Pega, nous devrons le mettre en place avec Salesforce ».
Dans un premier temps, EDF réalisera la gestion des contrats et l’après-vente depuis Salesforce, tandis que Pega demeurera la plateforme de vente jusqu’en 2028. « Cet équilibre n’a pas vocation à rester forcément dual très longtemps. En toute bonne logique, si le projet Salesforce se déroule bien, nous récupérerons ce que nous avons fait avec Pega dans Salesforce », anticipe Olivier Jehl.
Selon toute vraisemblance, la DSI du marché Particuliers d’EDF devrait trouver les compétences localement. Par exemple, les modules de gestion des contrats d’énergie de Salesforce sont bien connus des intégrateurs français, dont Worldgrid, une division souvent oubliée dans la maison Eviden (ex-Atos).
« Cette fois-ci les compétences sont disponibles sur le marché, mais tout le secteur s’équipe au même moment », observe le DSI. Nous ne sommes pas les seuls à mener des projets S/4, Salesforce ou Pega, y compris au sein d’EDF ».