Les recettes de Nielsen pour un déploiement RPA réussi
Spécialiste de la mesure d’audience des médias, Nielsen s’est lancé dans le RPA en 2016 avec l’éditeur UiPath. Un projet pionnier mais dont les résultats se sont fait attendre jusqu’en 2018. En charge de l’automatisation chez Nielsen, Deborah Fassi livre son expérience dans le déploiement des RPA.
Présent dans une centaine de pays dans le monde, Nielsen compile des masses considérables de données relatives aux audiences TV, Web et d’achats en points de vente afin de délivrer aux marques des analyses détaillées sur l’efficacité de leurs campagnes de communication.
Avec 90 % de la population mondiale couverte, l’entreprise doit manipuler des données extrêmement diverses et hétérogènes, ce qui impose de multiples tâches unitaires à ses équipes. « Pour résumer le métier de Nielsen, il s’agit de collecter de l’information, de l’enrichir et la restituer à nos clients » expliquait Deborah Fassi, Senior Vice President Transformation & Automation, Media and Retail Measurement de Nielsen, lors de l’événement UiPath Together qui se tenait à Paris le 16 avril 2019.
« La phase de collecte est complexe car la donnée provient de sources qui sont très différentes. L’enrichissement lui-même varie d’un pays à l’autre avec des outils différents et nos clients souhaitent disposer de restitutions qui sont bien souvent sur-mesure, ce qui ajoute encore de la complexité aux traitements. Nos processus sont donc très complexes mais aussi très fragmentés, avec de multiples petites tâches unitaires à traiter. Quand nous nous sommes lancés dans l’aventure des RPA, notre idée était de donner une capacité d’automatisation propre à son poste à chaque employé. »
Estimant que le recours à l’offshore est un modèle en fin de course, la responsable s’est intéressée aux RPA en 2016, à l’occasion du chantier de transformation digitale initié par l’entreprise américaine. « En 2016, le Machine Learning, l’IA commençaient à être très à la mode, nous avons alors décidé d’investir massivement dans ces domaines. »
Le modèle de déploiement décentralisé ne convainc pas
Le projet RPA est initié en décembre 2016 et, après examen des solutions proposées par les éditeurs spécialisés, c’est la plateforme RPA d’UiPath qui est sélectionnée en juillet 2017. La vice-présidente mise alors sur un modèle de déploiement très décentralisé qui a vu cette militante des RPA mener une phase d’évangélisation auprès des métiers afin de leur expliquer ce en quoi consistaient les RPA et en recrutant des volontaires pour les former et leur donner accès à UiPath Studio.
L’objectif est alors que les métiers puissent réaliser eux-mêmes leurs automatisations et ainsi obtenir un impact massif dans l’entreprise. « Mon objectif était d’obtenir un impact dans la totalité de l’entreprise, au sein de toutes les fonctions, mais l’approche initiale n’a pas très bien fonctionné. J’ai rapidement été déçue car l’adoption était très lente. Les premiers progrès enregistrés étaient lilliputiens et la raison était toute simple : tous les volontaires que nous avions identifiés, nos “RPA Champions”, faisaient du RPA en plus de leurs tâches quotidiennes. Ils ne disposaient pas de suffisamment de temps disponible pour s’impliquer et créer des automatisations. Ce modèle de déploiement ne fonctionnait pas. »
En décembre 2017, devant l’absence de résultats probants, Nielsen change son fusil d’épaule et décide de faire évoluer son modèle et tendre vers une organisation plus centralisée. Une équipe centrale de développeurs RPA est constituée. C’est elle qui va réaliser les automatisations à la place des experts métiers, le réseau de RPA Champions étant pour sa part chargé d’identifier les processus candidats à l’automatisation, de les documenter et d’alimenter l’équipe centrale en projets.
Autre frein à l’essor des RPA chez Nielsen identifié par Deborah Fassi, le volet IT du projet, notamment les contraintes liées à la cybersécurité. « Nos équipes cybersécurité avaient un gros problème avec les RPA : quand on crée un robot, celui-ci doit disposer d’un identifiant, de droits sur les systèmes. Or quand vous générez un ticket interne pour obtenir toutes les autorisations d’accès pour un robot, celles-ci nous étaient refusées. »
La responsable de la transformation a animé avec UiPath des workshops afin d’impliquer la DSI dans le projet. « Les équipes cybersécurité et privacy qui ont bien compris qu’il s’agissait là d’un problème de continuité business. Ils ont mis en place les infrastructures adaptées à cet usage stratégique des RPA. Cela nous a demandé 3 mois, mais nous sommes arrivés à bout de cette problématique IT. »
Juillet 2018 : le futur du projet en question
Alors que tout semble enfin en place pour que les projets RPA puisse se multiplier dans l’organisation, le modèle hybride « Développeurs RPA » / « RPA Champions » ne fait toujours pas décoller le nombre de projets. Alors que 8 développeurs RPA ont été recrutés en mars 2018, le nombre d’heures de travail automatisées n’est passé que de 6 000 heures à 15 000 heures, arrivé au mois de juillet 2018.
Deborah FassiNielsen
« Nous avons eu un gros moment de doute quant à l’adéquation de notre culture d’entreprise avec les RPA. J’ai alors fixé le mois de septembre comme date d’échéance pour voir si le RPA allait décoller ou s’il fallait arrêter le projet. Finalement, nous avons brutalement vu arriver de plus en plus de projets en septembre », explique Deborah Fassi.
En effet, à la rentrée 2018, les projets affluent enfin. Le nombre d’heures passe à 25 000 en août et bondit à 59 000 en septembre, puis à 117 000 en décembre 2018. En mars dernier, le nombre d’heures de travail automatisées (ou en cours d’automatisation) était de 347 000.
Pour la responsable du projet, ce décollage est le fruit de la conjonction de multiples facteurs. « Avoir l’IT avec nous nous a bien aidés. En outre notre réseau de RPA Champions couvrait toute l’entreprise et tous les pays. Nos Business Unit ont réfléchi à s’organiser eux-mêmes à mettre en place des chefs de projets pour piloter les initiatives, à structurer leur travail, systématiser l’organisation de workshops pour identifier les opportunités. Ainsi, ils ont pu nous alimenter de projets plus pertinents. » En parallèle, le nombre de RPA champions s’est accru fortement. Ils n’étaient que 6 en 2017 dans la première phase du projet, ils sont aujourd’hui plus de 150.
Autre analyse a posteriori de la responsable du projet, l’importance à donner aux premiers petits projets. Car si Deborah Fassi avait l’ambition d’une adoption rapide des RPA dans toute l’organisation afin d’engranger rapidement des dizaines de milliers d’heures de travail gagnées, la responsable fut quelque peu désappointée par les premiers projets dont l’ampleur était très relative.
« Les débuts ont été très lents et nous n’avions mis en place que de petites automatisations qui représentaient au total moins d’un millier d’heures. C’était très peu, mais nous avons continué à développer ces petites automatisations et avoir ainsi des success stories à montrer. En réalité les gens ne comprennent pas bien ce que font les RPA. Ainsi, par exemple, nous avions une équipe Médias aux Etats-Unis qui avait amené 5 idées de moins d’un millier d’heures chacune. Deux semaines plus tard, une fois qu’elle avait vu ce que le robot pouvait faire, cette même équipe est revenue vers nous avec des idées pour plus de 40 000 heures. Les success stories permettent d’obtenir un effet boule de neige, et faire émerger de plus grandes opportunités. »
Désormais, la mécanique RPA semble bien lancée chez Nielsen et la responsable doit étoffer son équipe de développeurs RPA, afin de pouvoir faire face à une demande des métiers qui connaît une croissance exponentielle. « Nous sommes maintenant en phase avec notre objectif initial d’avoir un impact significatif à l’échelle de l’entreprise. »
Les recettes d’un succès tardif mais significatif
Parmi les leçons tirées par Deborah Fassi de ce projet avec UiPath, la responsable place en première position le changement culturel introduit par les RPA. Pour la responsable rompue aux techniques de BPI (Business Process Improvement) et au Lean Management, le RPA vient bousculer les habitudes en termes d’optimisation des processus et il faut désormais penser à la fois Lean et RPA.
Deborah FassiSenior Vice President Transformation & Automation, Nielsen
Autre point-clé dans la réussite d’un projet RPA, l’implication de la DSI et des équipes techniques. Dès le lancement du projet la responsable de la transformation a obtenu l’accord du CTO de Nielsen qui a alloué des ressources au projet. Néanmoins, impliquer la cybersécurité et l’IT a demandé du temps et il a fallu environ 1 an pour que le projet RPA se libère véritablement des contraintes IT. Deborah Fassi ajoute : « Il est intéressant de connecter les RPA avec d’autres types d’outils. Nos développeurs ont ainsi créé un robot qui passe des appels téléphoniques, notamment pour des tâches de maintenance de nuit sur certains de nos outils. »
La troisième leçon à tirer du projet RPA de Nielsen porte sur son modèle organisationnel. Vouloir mettre en place un modèle très décentralisé avec une structure de pilotage très légère, ne fonctionne pas pour obtenir un impact massif dans l’entreprise.
Le modèle hybride alliant à la fois une équipe centrale et des experts métiers formés aux RPA, a su se montrer très efficace dès lors que les métiers ont pu comprendre véritablement les profits qu’ils pouvaient tirer de la technologie. En ce sens, le succès des premiers projets est capital, même si l’ampleur de ceux-ci ne permet pas d’engranger un ROI spectaculaire comme beaucoup l’espèrent.
« L’idée est de commencer petit » ajoute la vice-présidente de Nielsen. « Les collaborateurs ne savent pas exactement ce qu’est le RPA. Ils n’en ont qu’une connaissance théorique et ont du mal à en voir les bénéfices. Il ne faut pas hésiter à commencer sur de petites automatisations et accumuler des success stories, afin de pouvoir montrer des exemples de RPA qui marchent. Mais aussi pour faire comprendre aux collaborateurs comment cela fonctionne et initier un effet boule de neige. »