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Le PMU place sa transformation IT au cœur de sa stratégie
Le spécialiste du pari hippique mène une transformation IT d’envergure. Entre autres, le groupe s’est donné trois ans pour réécrire son monolithe « cœur de SI », celui capable de traiter plus de 4,5 millions de paris par jour. La DSI le découple et le porte prudemment sur le cloud.
« Je dis souvent que les trois piliers de la DSI sont : un, les hommes, deux, le temps, et trois, la technologie. Et je les mets bien dans cet ordre-là ». Stéphane Boulanger, DSI du PMU, n’est pas peu fier du travail accompli. Le responsable, passé par Axa, RTE et Intermarché, a rejoint le groupe d’intérêt au service de la filière hippique en 2018.
Depuis sa nomination à la direction des systèmes d’information du spécialiste de la prise de pari hippique en 2022, le personnage mène une double transformation. Organisationnelle d’abord, technique ensuite.
À sa prise de fonction, Stéphane Boulanger a proposé à la direction générale et au COMEX un « virage stratégique ». Celui-ci consistait à réinternaliser les compétences « cœur » liées aux systèmes d’information. « Nous avions un recours massif à l’externalisation. Massif », note-t-il, lors d’un entretien avec la presse française, en marge d’AWS re : Invent, à la fin du mois de novembre 2023. Le DSI a su convaincre des dirigeants attentifs et conscients des problèmes que posait parfois l’externalisation de l’IT.
Actuellement, la DSI du PMU compte 400 des 1 100 collaborateurs du groupe. Sur les 100 postes ouverts en 2022, la DSI du PMU a réussi à recruter un peu plus de 80 collaborateurs à la fin du mois de novembre 2023. Dans un même temps, Stéphane Boulanger a encouragé un programme d’adoption de l’Agilité à l’échelle, à travers la méthodologie SAFE. La fabrique logicielle est composée de deux trains d’environ 110 personnes.
« Sur ma proposition également, nous avons créé le département Data et le département Produit. Auparavant, les ressources étaient réparties dans différentes entités métier. Désormais, ces deux départements collaborent avec les équipes des deux trains », signale-t-il.
« Cela me paraissait un prérequis à la mise en œuvre du plan de transformation du SI », insiste-t-il. « L’ambition c’est d’être le plus aligné possible avec le plan stratégique de l’entreprise ».
Deux paris – organisationnel et technique – pour le prix d’un plan stratégique
Ce plan stratégique du PMU a été lancé en 2022 et s’étale jusqu’en 2025. Il tient, selon le cadre, en quatre points. Premièrement, PMU a des ambitions de croissance dans les trois prochaines années. Deuxièmement, le groupe cherche à convaincre 1 million et demi de clients supplémentaires. « Aujourd’hui, nous avons environ 3,5 millions de clients, dont 500 000 viennent du digital », renseigne le DSI. Troisièmement, le PMU cherche à mieux connaître ses clients, principalement ceux qui viennent parier en point de vente. « Nous connaissons bien nos clients Web, en revanche en point de vente, ils sont majoritairement anonymes ».
Le quatrième point concerne une transformation de pied en cap du SI. « J’ai l’habitude de dire que nous sommes en train de changer le moteur de l’avion en plein vol au PMU », plaisante Stéphane Boulanger. Cette transformation du SI ne doit toutefois pas se jouer au détriment des métiers à qui la DSI doit livrer régulièrement des projets « à forte valeur ajoutée ».
De fait, les systèmes d’information du PMU sont « extrêmement critiques », indique le DSI. « S’il n’y a pas de systèmes d’information, il n’y a pas d’activité. Une interruption de service de quatre heures coûte environ 10 millions d’euros. Ça défile très vite ».
Là encore, Stéphane Boulanger a structuré ce plan en quatre pans, quatre « grands programmes ». Deux d’entre eux arrivent à leur terme.
Il y a d’abord eu une rénovation complète de l’expérience digitale. « C’est pratiquement acquis. Nous terminons ce programme au 1er trimestre 2024 », indique Stéphane Boulanger. « Nous avons migré 100 % de notre SI digital dans le cloud AWS ».
Le deuxième axe de ce plan concerne le programme de fidélité. « PMU avait déployé une pluralité d’applications qui permettait de gérer la promotion et la fidélité, mais nous ne permettait pas toujours d’animer nos clients comme nous le souhaitions ». Les systèmes n’étaient pas suffisamment flexibles pour supporter des promotions spécifiques. « Nous pouvions offrir un quinté pour un quinté acheté, mais il nous était impossible d’offrir un quinté pour deux quintés achetés », illustre l’intéressé. « Il aurait fallu faire de gros investissements sur des systèmes peu agiles ». Là encore, le DSI estime avoir rempli sa mission. Le projet d’anonymisation a été terminé en 2023, et le PMU a lancé un chantier pour activer des promotions sur compte. « C’est un sujet qui va aboutir en milieu d’année », anticipe-t-il.
Voilà pour les aspects les plus « simples » de cette rénovation du SI. « Les deux programmes restants sont deux à trois fois plus gros que les deux précédents », signale le DSI.
Le troisième programme consiste à moderniser le SI « point de vente ». Le groupe a déployé 25 000 équipements dans 13 800 points de vente dans les hippodromes, les bars-cafés-tabacs et d’autres commerces. « Nous avons deux outils principaux : les bornes et les terminaux », explique Stéphane Boulanger. « La borne est un moyen pour nos clients de parier en libre-service. Le terminal, c’est l’équipement que le partenaire a sur son comptoir : les clients viennent le voir, mais c’est lui qui prend le pari et remet le récépissé ».
Or les applications liées à ces bornes et terminaux ont un peu plus de dix ans et manquent, encore une fois, de flexibilité. « Nous sommes assez contraints dès lors que nous devons mettre en œuvre de nouvelles fonctionnalités sur ces équipements. Ce sont des clients lourds », renseigne le DSI du PMU.
Il a été décidé de « webifier » ces applications sur des environnements cloud AWS. « Ce programme va s’étirer jusqu’à la fin 2025 », indique-t-il.
Le quatrième et dernier programme s’avère le plus critique. Il représente environ la moitié du budget alloué à cette modernisation. « Ce projet de transformation sur trois ans, nous avons engagé 40 millions d’euros pour le réaliser », annonce Stéphane Boulanger en toute transparence.
Un « mammouth » endurant, mais qui a fait son temps
L’objectif ? Reconstruire le cœur du SI sur le cloud d’AWS. Celui-ci correspond historiquement à un patrimoine d’applications écrites en COBOL.
Stéphane BoulangerDSI, PMU
« Ce patrimoine est robuste et performant. En revanche, ce n’est pas du tout “time to market” », souligne-t-il. « Obsolescence, difficulté à trouver des ressources pertinentes sur le marché, et manque de flexibilité », voilà les trois raisons principales du désamour du PMU envers son système transactionnel.
Cet existant datant des années 1990 avait déjà été « sorti du mainframe » dans les années 2010 pour être porté sous UNIX, plus précisément sur des serveurs POWER9 d’IBM, sans toucher aux sept millions de lignes COBOL qu’il contenait.
« Je n’étais pas encore dans l’entreprise, mais l’idée était de réécrire ce patrimoine applicatif COBOL. Cela n’a pas pu être fait en raison de la complexité technique du projet », évoque Stéphane Boulanger.
Ce système centralisé rassemble un certain nombre de domaines fonctionnels qu’il faut séparer. « Je me suis employé, depuis mon arrivée, à “découper le mammouth” (sic) », lance-t-il, pince sans rire. « Sur le papier, c’est simple : il s’agit d’extraire un carré étanche et de l’envoyer sur un environnement cloud et cela va bien se passer. Dans la réalité, c’est un plat de spaghetti ».
Il s’agissait davantage d’identifier les flux de travail complet, du « back-office au front office », afin d’extraire les offres du PMU de ce monolithe et de les porter sur des environnements cloud modulaires.
Il faut ajouter à cela une contrainte de taille : des obligations de performance. Le système actuel permet de gérer plus de 1,1 milliard de transactions par an. Le PMU enregistre environ 4,5 millions de paris par jour et observe des pics atteignant jusqu’à 2 000 transactions par seconde.
En 2022, en France, les distributeurs automatiques de billet de banque ont atteint 1,2 milliard de transactions. « 2 000 transactions par seconde, c’est notre pic, mais c’est le niveau moyen de la bourse Euronext de Paris », compare Stéphane Boulanger.
La DSI du PMU « désosse » prudemment son monolithe
Rien ne sert de courir, il faut partir à point dit le proverbe. Dont acte.
Il a d’abord eu une phase de prototypage et de tests afin de vérifier que les instances cloud pouvaient atteindre les niveaux de performance attendus. Dans un même temps, les équipes IT se sont penchées sur la sécurité de l’architecture cible. Puis le DSI a acté la segmentation du projet. Le SI « cœur » permet de gérer 10 milliards d’euros d’enjeux – c’est-à-dire la masse totale annuelle des paris –, dont plus de 9 consacrés aux courses hippiques.
« Je ne vais pas faire un big bang, prendre 10 milliards, les amener sur le cloud et rencontrer des problèmes de production », clarifie le DSI.
Il y a une autre contrainte, cette fois-ci réglementaire : la séparation des enjeux. En clair, le PMU est en situation de monopole concernant la prise de paris depuis des points de vente physiques, mais est en concurrence sur le Web.
Pour Stéphane Boulanger, il est moins risqué de débuter le « désossage du monolithe » par le pari en ligne qui représente environ 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
« Même là, nous ne migrons pas immédiatement l’entièreté de l’activité sur le cloud », signale-t-il. « Nous commençons par une partie de la gamme de e-paris et nous allons transférer l’équivalent de 500-600 millions d’euros d’activités sur les nouveaux environnements ».
Les équipes du PMU ont lancé cette approche itérative en découplant le calcul des cotes.
Stéphane BoulangerDSI, PMU
« Dans notre terminologie, nous parlons de rapports probables et de rapports définitifs. C’est du pari mutuel, donc les rapports sont rafraîchis constamment, et toutes les cinq secondes dans le dernier quart d’heure qui précède le départ de la course ». Ces opérations sont effectuées pour environ 15 000 courses par an et pour 16 produits de pari différents.
Cette « chaîne d’information mutuelle » a été portée sur une architecture événementielle découplée en microservices sur AWS.
« Nous sommes en train de standardiser notre pile technologique : tous nos back-ends sont développés en Java, tandis que nos front-ends sont écrits en React », renseigne le DSI.
Déjà, de 7 millions de lignes, le PMU est passé à 2,5 millions de lignes COBOL. « D’un point de vue qualitatif, les 2,5 millions de lignes restantes sont les plus difficiles », rapporte le responsable.
Les enjeux de performance et financiers du cloud
Ensuite, le PMU met en place des tests à l’échelle industrielle pour tester les défaillances de composants. « Nous voulons nous assurer que nous sommes le plus résilients possible ».
Stéphane BoulangerDSI, PMU
« Nous sommes très attentifs aux SLA que nous propose Amazon Web Services sur les différents composants. Il nous faut des services qui nous permettent d’obtenir les niveaux de performance attendus : nous parlons souvent d’un taux de disponibilité de 99,9 % quand ce n’est pas un peu plus », prévient Stéphane Boulanger.
Ces enjeux de performance dans le cloud réclament de former les collaborateurs et d’adopter des outils. Au début de l’année 2023, la DSI du PMU a déployé Dynatrace afin d’observer les systèmes « de bout en bout ». La plateforme d’origine autrichienne est utilisée pour la supervision de l’infrastructure, les aspects APM (Application Performance Monitoring) et RUM (Real User Monitoring).
« L’avantage de cet outil, c’est qu’il n’est pas simplement un outil de l’IT pour l’IT, il permet d’embarquer les métiers », avance le DSI. « Nous proposons des tableaux de bord directement sur Dynatrace pour que tout le monde parle le même langage dans l’entreprise ».
De même, le groupe a migré ses données en provenance d’un entrepôt vers Amazon S3, entre autres, et utilisent par ailleurs Qlik et Dataiku pour traiter et restituer les données aux collaborateurs.
Évidemment, l’adoption du cloud s’accompagne d’enjeux financiers. « Il y a un véritable sujet de transition de logique CAPEX vers une autre OPEX en migrant vers le cloud », rappelle Stéphane Boulanger. « Nous continuons de travailler avec AWS pour projeter nos coûts OPEX afin d’éviter les surprises, pouvoir maîtriser au mieux nos consommations et de les optimiser », anticipe le DSI. « In fine, nous avons pour objectif de réduire sensiblement nos coûts. Le coût du cloud ne devrait pas surpasser celui de l’infrastructure sur site, et idéalement, il devrait être inférieur ».
Dans cette optique, la DSI du PMU débute l’adoption de l’approche FinOps. « Nous avons démarré cet été. Nous avons commencé par mettre en place une structure FinOps qui collabore avec notre centre d’excellence cloud (CCoE) ».
Le centre d’excellence cloud revêt par ailleurs une mission de normalisation, de standardisation, de sécurisation du cloud et de pilotage des coûts associés.
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