Le Groupe Barrière choisit le Cloud pour son premier ERP administratif
Pour rajeunir radicalement la gestion financière de ses hôtels, casinos et restaurants, l’ETI française a hésité entre SAP et Workday. C’est finalement la solution 100% SaaS qui a été sélectionnée. Un choix surprise qui ouvre d’autres opportunités de transformation numérique.
Le Groupe Barrière est une entreprise familiale qui gère en propre hôtels, casinos, spas, golfs et restaurants. Avec 1,2 milliards de chiffre d’affaires et l’équivalent de 7.000 employés temps pleins - principalement en France et en Suisse - la société s’est restructurée dans les années 2000 pour rationaliser une organisation auparavant très décentralisée.
La finance a été à la pointe de cette évolution avec un centre de services partagés qui gère la comptabilité, les fiches de paies, etc. Aujourd’hui encore, chacun de ses sites (dont 34 casinos et de ses 18 hôtels) possède un contrôleur financier dont un des buts est d’accompagner au jour le jour les métiers sur le terrain.
Mais, les outils informatiques des fonctions supports, eux, n’avaient pas bougé. C’est dans ce contexte qu’arrive Nicolas Quiviger, début 2016, au poste de Group Financial Controller.
Un logiciel comptable que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître
« On a anticipé un futur problème », raconte-t-il. Et pour cause, le logiciel comptable à son arrivée est Réel, une solution de l’éditeur français Talentia vieille de plusieurs dizaines d’années, qui tourne sur AS400. « C’est très robuste, c’est très fiable », admet le nouveau venu. Mais l’usage est daté, l’interface dépassée et la maintenance en toute fin de vie (voire au-delà).
Cet outil IT vieillissant renvoie également une image peu flatteuse en interne pour attirer les talents. « Quand vous mettez un jeune homme face à un outil aussi vieux, il vous dit qu’il ne peut pas travailler là-dessus ».
Réel fonctionne, donc. Mais le Group Financial Controller voit arriver à grand pas l’obsolescence de l’outil et les problèmes insolvables qui risquent de l’accompagner. Il décide alors d’initier une petite révolution en changeant d’outil. « En ouvrant la porte du logiciel comptable, on s’est dit qu’il fallait qu’on puisse se doter à terme d’un ERP pour l’administratif », raconte-t-il. Commence alors une pré-sélection.
Un des points clefs de cette sélection était que l’ERP financier devait pouvoir s’interfacer avec l’existant composé de plusieurs briques métiers (pour la réservation de chambres, les caisses des restaurants, etc.). Le Groupe Barrière gère ses restaurants avec Micros et avec Opéras pour l’hôtellerie, deux solutions Oracle. Pas question de changer ces solutions de référence.
L’ouverture du successeur de Réel est donc indispensable.
Une DSI « opportuniste »
Le cahier des charges est rédigé début juillet. Celui-ci, volontairement, ne précise pas d’exigence sur le mode de déploiement et de consommation du service. « La DSI chez Barrière est une DSI opportuniste. Elle n’a pas d’avis sur le Cloud vs le on-premise. On a les deux en interne. Nous choisissons la meilleure formule au cas par cas.»
La sélection est lancée en septembre pour un cœur comptable, capable d’évoluer « potentiellement » vers un ERP plus large (mais cantonné à l’administratif), qui soit stable et, donc facilement intégrable.
Nicolas Quiviger fait le tour des fonctions internes. Les préférences qu’il récolte sont très diverses. Son directeur financier penche pour du SAP (à la réputation de sérieux, de sécurité et de rigueur). Les comptables votent Cegid et Sage (très à l’écoute des utilisateurs français).
Le Cloud pour faire évoluer les mentalités
Nicolas Quiviger écoute les retours internes. Mais ces choix lui laissent une impression de déjà-vu. « Ce n’était pas très innovants », regrette-t-il. Il consulte donc un grand cabinet (où il possède quelques amis) qui lui conseille un autre nom alors inconnu pour lui : Workday.
Le fait que Workday soit Cloud séduit sur le champ le financier. L’expérience d’un ancien système qui n’a pas bougé pendant 35 ans joue en faveur d’une solution qui se met à jour et qui évolue au fil du temps. « Au moins on sera obligé d’évoluer », se dit alors Nicolas Quiviger.
Nicolas Quiviger, Groupe Barrière
La solution est nouvelle sur le marché, mais elle respecte tout de même les standards. Et surtout elle intègre les nouvelles règles de l’art comptable. Ce qui est un autre atout majeur à ses yeux. « Cela allait challenger toute l’organisation financière. On a travaillé d’une certaine manière depuis 30 ans, mais est-ce qu’on a raison de faire comme ça ? Est-ce qu’il n’y pas des processus qui ont été éprouvés par plein de gens qui sont bien meilleurs que les processus que l’on a ? ».
Le responsable du projet ajoute donc ce nom inconnu sur sa liste.
Il ne le regrettera pas. « Au premier oral, les vieux, les jeunes, les expérimentés, les novices, les financiers, les pas financiers… tout le monde a été bluffé », s’enthousiasme-t-il encore aujourd’hui. Le visuel, l’ergonomie, les workflow, la segmentation des taches, « tout de suite, ça a parlé ».
Mieux, le Directeur Financier commence lui-même à douter que SAP soit la meilleure option. « Il avait la rigueur de SAP, mais avec plus de souplesse ». Même si, Nicolas Quiviger l’admet volontiers, l’interface de l’allemand, historiquement lourde, s’est radicalement transformée avec Fiori pour se rapprocher de celle des acteurs du SaaS.
Le combat s’annonce donc serré entre le favoris SAP et l’outsider Workday.
Un duel SAP vs Workday
Petit retour en arrière. Après avoir finalisé sa « short list » en septembre, Nicolas Quiviger laisse deux mois aux six éditeurs sélectionnés pour répondre. En novembre, tous - sauf un (« un acteur majeur américain ») – passent le premier round de sélection.
L’anglais Sage, le français Cegid, SAP, Workday et l’autre français Talentia (l’historique en place) ont deux heures de démonstration et une heure de présentation/questions-réponses.
Talentia faisait d’autant plus partie de cette liste qu’il possède une solution qui tourne dans presque tous les casinos français. « Il y a une spécificité métier qui a été prise en compte ».
Mais ce sont bien l’allemand et l’américain qui correspondent le mieux aux besoins. Ils se qualifient pour la finale. SAP parce que l’appel d’offres s’inspirait de ses solutions. Et Workday pour son effet « whaou » et pour un paramétrage « très simple » - sans développement - qui lui permet autant qu’un Talentia de s’adapter aux métiers du Groupe Barrière.
« C’est là où, à mon avis, ils sont le plus forts. Ils répondent à la fois à la demande de standards, et en même temps le paramétrage permet de concilier les bonnes pratiques du marché tout en y ajoutant des choses plus personnelles ».
Le revirement de SAP
Au départ, SAP propose au Groupe Barrière son ERP S/4HANA dans sa version sur site. Avec à la clef la formation de deux administrateurs techniques en interne. Mais voyant que Workday marque des points, l’éditeur allemand modifie sa proposition pour une version Cloud.
« C’était intellectuellement dérangeant. Pendant un mois et demi, on avait un éditeur très sérieux, avec des références - dont une très belle dans le monde du casino à la Société des Bains de Mer (SBM) de Monaco - avec en plus l’intégrateur qui avait fait la SBM, qui m’expliquait que le mieux c’était le on-premise […]. Et dans les dix derniers jours, ils me proposent une solution hébergée » en cloud privé.
Le revirement est mal compris. « Ce n’est pas que cela n’a pas plu. C’est juste que cela a paru étrange ». Mais la sélection continue.
Lors du deuxième round, les deux finalistes répondent aux questions identifiées lors du premier examen. Les questions sont plutôt techniques et IT pour Workday (« et quasiment plus sur les fonctionnalités techniques du produit »). Elles portent sur l’intégration, la mobilité, le SLA, etc.
A l’inverse, les questions pour SAP portent plutôt sur les fonctionnalités. « Je n’étais pas très sûr de leur réponse sur les immobilisations […] Notre problème c’est que nos immobilisations ne sont pas à nous. On construit en général pour les mairies puis à la fin de la concession, on rend l’immobilisation à la mairie ». Ce qui demande un suivi important. Au final, SAP donne tout de même satisfaction.
Le modèle Cloud plus cher
Ce deuxième round se termine le 15 décembre. Les dés sont jetés. Le choix est fait mais le responsable entame une dernière négociation commerciale d’une semaine. L’écart de prix n’étant pas significatif, c’est Workday qui, contre toute attente, remporte la mise le 23 décembre. Même si sur le long terme, le modèle Cloud public coûte plus cher.
Nicolas Quiviger, Groupe Barrière
« Le Cloud en est à ses tout débuts. Je suis sûr que les tarifs vont baisser. On ne peut pas rester sur ces niveaux de prix », prédit plus largement le responsable du projet qui ne se plaint néanmoins pas du prix de l’abonnement.
Pourquoi Workday a-t-il gagné ? Nicolas Quiviger explique ce choix par « l’avenir, l’évolutivité, le workflow, l’absence de dépendance de la finance à l’IT ». Ce dernier point permettait à la DSI de libérer des ressources pour « s’occuper de l’informatique qui rapporte du chiffre d’affaires » plutôt que de faire de la maintenance.
Workday, paré pour la GDPR...
Le Groupe Barrière entame le déploiement début février. Il espère le finaliser en octobre de cette année. « S’il n’y avait pas autant d’existant à intégrer, le projet aurait pu se faire en quelques semaines », nuance le responsable. Mais l’intégration à 14 solutions est chronophage. Ces quatorze solutions comprennent par exemple la messagerie (Lotus), le procurement (Basware), la consolidation (SAP), sans oublier deux systèmes de paye différents qui, à terme, pourront avoir vocation à être migrés vers Workday - « si je convaincs la RH », espère Nicolas Quiviger.
Le Groupe Barrière est accompagné dans ce chantier par l’intégrateur DayNine (Accenture), un des acteurs partenaires historiques de Workday en France.
Autre facteur qui a emporté la décision, Workday s’est engagé contractuellement à se conformer à la prochaine réglementation européenne sur les données privées (la RGPD). « C’est vraiment dans leur ADN. Il y a des sujets sur lesquels ils ne plaisantent pas, la sécurité des données en est un. Cela met en péril leur existence même », constate Nicolas Quiviger. Les données, elles, sont hébergées à Dublin.
… et pas de clauses cachées pour l’avenir
Dans un deuxième temps, le Group Financial Controller espère que Workday et son app pour smartphones et tablettes seront les moteurs d’une transformation plus profonde.
« Workday c’est aussi une énorme base de données qui sait traiter des flux. Mon idée, c’est justement de faire disparaître le plus possible la notion de comptabilité. Si vous pensez comme moi que la comptabilité transactionnelle va disparaître, que dans les 10 prochaines années plus personne ne saisira de facture, mais qu’ une tache métier générera des factures dématérialisées qui seront envoyées automatiquement, alors Workday c’est l’outil parfait ».
Nicolas Quiviger, Groupe Barrière
En clair, Nicolas Quiviger espère déporter la transaction comptable au plus près du terrain – comme le permet d’ailleurs Micros dans la restauration. « Mon rêve c’est que ce soit la femme de chambre qui, en signalant une télé cassée dans une chambre [sur son mobile], génère sans le savoir l’immobilisation et la facture ou sa mise au rebut ».
Dans cette vision long terme, Workday possède un autre atout de taille face à des rivaux comme Oracle ou SAP : une de ses formules de facturation se calcule en fonction du nombre d’employés de l’entreprise. Pas en fonction du nombre d’utilisateur. « C’est assez déroutant au début. Mais ça marche bien », constate Nicolas Quiviger. Pas de surprise. Des coûts prédictibles garantis. Pas de droits d’accès indirects. Et donc pas de poursuite après des audits logiciels.
« C’est un gros frein de SAP pour les structures de notre taille. Vous vous demandez toujours si vous avez assez de licences et si vous n’allez pas avoir un contentieux. Avec Workday, vous pouvez mettre autant d’écrans que vous voulez, y compris pour une tâche toute petite ». Ce qui permet de voir venir plus sereinement, d’imaginer des usages innovants et de tester sans risque d’atterrir au tribunal.
Workday ou le marqueur du changement de mentalité en interne
Avant de concrétiser cette vision long terme, Nicolas Quiviger doit auparavant gérer un problème plus terre à terre : la résistance au changement.
« On me l’avait dit. Je le savais. Faire changer les gens, c’est le facteur qui fait que vous allez réussir ou pas […] Ce serait à refaire, je prendrais quelqu’un dédié spécifiquement à cette conduite du changement ».
Car même si une solution est beaucoup plus moderne, efficace et agréable, les réticences existent toujours. Le projet Workday du Groupe Barrière ne fait pas exception. « Ce n’est pas une question d’âge, ni d’étude. C’est vraiment une question de gens », constate le responsable financier.
En revanche il découvre au fil des jours qu’il existe une corrélation nette entre ceux qui ont immédiatement adopté Workday et ceux qui adhèrent au projet d’évolution du Groupe dans son ensemble.
Nicolas Quiviger, Groupe Barrière
« Les DAF locaux (NDR : ceux sur les sites) ont été les plus enthousiastes », note-t-il par exemple. Mais tous ne sont pas sur cette ligne. Ce qui a le don de plonger Nicolas Quiviger dans l’expectative. « Les plus réfractaires ne vont de toute façon pas se plaire dans la nouvelle organisation qu’on est en train de mettre en place ». Une organisation où la finance a changé de rôle en devenant la copilote de l’activité, où elle doit éclairer la Direction Générale et où elle se montre le garant d’une forme de qualité de services au client.
Le responsable ne va donc pas vraiment essayer de convaincre les réticents. Au contraire. « J’ai une population qui à force d’être à côté de gens qui râlent, deviennent hésitants et ont un peu peur. C’est ceux-là que je veux - et qu’il faut que - j’arrive à embarquer avec moi… pas ceux qui râlent ». Nicolas Quiviger s’est donné jusqu’à l’été pour évangéliser les utilisateurs internes.
Au final, le ROI de cette première étape majeure de son projet long terme ne se comptera pas en économie de personnel. « De toute façon, le travail de rationalisation a déjà été fait par mes prédécesseurs et le Directeur Financier du Groupe. Il n’y a pas de gras chez Barrière à la finance ». Il se verra donc plutôt dans le gain de rapidité et dans la qualité des informations. Ce qui devrait ravir les directeurs généraux, prédit-il.