La Macif met la compréhension du langage naturel au service de sa relation client
Inutile de taper les touches 1, 2 ou 3 pour joindre une agence ou un conseiller de la Macif. Son SVI exploite désormais l’IA pour comprendre les intentions des sociétaires en langage naturel.
Le groupe mutualiste a fait le ménage dans ses numéros d’appel. Pour simplifier les relations avec ses sociétaires, la Macif a souhaité mettre en place un numéro unique. Passer de plus de 70 numéros d’appel à un seul a demandé un changement d’approche. En effet, depuis 1987, la mutuelle est organisée en 11 régions, ce qui représentait 11 numéros d’appel différents, 11 SVI (Serveurs Vocaux Interactifs) différents, avec des plateaux d’appels orientés IARD (incendies, accidents et risques divers).
En parallèle, la Macif a largement élargi ses offres dans les domaines de santé, de la prévoyance, de l’épargne, de la banque. À chaque nouveau lancement, un nouveau numéro d’appel venait s’ajouter à une liste toujours plus longue. « La situation était telle que nous avions environ 70 numéros d’appel et pratiquement autant de SVI en face » explique Eric Tigréat, responsable Pilotage et supervision, Direction Distribution et Relation Sociétaire à la Macif. « L’effort du client commençait dès la recherche du bon numéro d’appel. Cette situation n’était pas compatible avec notre ambition d’être numéro 1 sur la relation client ».
D’autre part, les SVI en place s’appuyaient uniquement sur la technologie DTMF (Dual-Tone Multi-Frequency) : le prospect ou le sociétaire devait parcourir l’arborescence des choix en tapant l’option choisie sur le clavier de son téléphone. « Si nous étions restés sur cette technologie, un sociétaire aurait eu 24 choix différents pour être aiguillé vers l’ensemble des produits proposés par la Macif ! », s’exclame le responsable. « Nous voulions que nos agences, nos sites et nos publicités ne communiquent que sur un seul numéro. Or, en ce qui concerne les contacts téléphoniques, il y avait une multiplicité de points d’entrée ».
Le langage naturel, la clé pour simplifier l’IHM téléphonique
Ce projet est lancé en 2019, après le grand retour du langage naturel provoqué par Siri d’Apple, Alexa d’Amazon et Google Assistant. « Nous avons estimé que le langage naturel pouvait nous aider à comprendre le besoin du sociétaire rapidement, plutôt que de lui proposer les 24 choix », relate Eric Tigréat.
« Nous avons lancé ce projet de numéro unique avec l’ambition de simplifier le parcours client et d’exploiter une technologie telle que Siri ou Alexa. Baptisée Manon, notre IA va, en 1 ou 2 questions, comprendre l’intention du client et l’orienter vers la bonne compétence ».
Eric TigréatResponsable Pilotage et supervision, Direction Distribution et Relation Sociétaire, MACIF
Il fallait dans un premier temps convaincre les dirigeants des possibilités offertes par l’IA pour traiter les appels entrants. Un Proof of Concept est initié avec Zaion, une start-up parisienne. Si le test s’avère très convaincant, le service informatique de la Macif estime que la solution n’apporte pas les garanties nécessaires au passage à l’échelle. En effet, la Macif traite 14 millions d’appels par an, l’équipe projet n’a donc pas le droit à l’erreur, d’autant que la solution doit traiter 90 % des appels en moins d’une minute.
La Macif lance alors un appel d’offres. Les critères de sélection ? La solution choisie doit bénéficier de performances de compréhension du langage naturel (NLU/NLP) au moins équivalentes à celle de Zaion tout en offrant des garanties d’élasticité et de résilience. La Macif opte finalement pour le duo Illuin Technology et Orange Business Services et choisit le nom de son assistant : Manon.
Par nature transversal à toutes les activités de la Macif, le projet a mobilisé l’ensemble des métiers concernés, l’informatique, les achats et le juridique. Des groupes de travail ont été constitués. Tous les métiers ont été mis autour de la table, notamment la direction de l’expérience client, la direction marketing afin de définir la cible du déploiement, les différentes situations à traiter, ainsi que la trajectoire de mise en œuvre. « Nous nous sommes tous mobilisés autour d’un objectif : faire simple pour le client et éviter de mobiliser les moyens humains des uns et des autres pour réorienter une demande incomprise. De ce fait, il n’y a pas eu de réelles difficultés à mener ce projet », témoigne Eric Tigréat.
Le premier PoC a été mené en 2021. À la fin de l’année suivante, le déploiement de la solution d’Illuin Technology était achevé. Les équipes ont rempli cette première partie de la mission en quinze mois, « un délai relativement court à l’échelle d’une organisation telle que la Macif », estime le responsable.
Des résultats conformes aux objectifs fixés
En production depuis quelques mois, la solution semble satisfaire les sociétaires, mais aussi les conseillers qui n’ont pas vu d’impact négatif au regroupement des numéros. Ceux-ci reçoivent toujours des demandes correspondant à leur périmètre d’intervention.
Actuellement, 200 intentions sont traitées par le système. En cas d’accident, par exemple, en deux questions, l’algorithme évalue s’il est nécessaire de mobiliser un dépanneur ou s’il s’agit d’un bris de glace constaté par le sociétaire depuis son domicile.
« Le taux de compréhension était pour nous le critère le plus important. Nous voulions qu’au moins 9 appels sur 10 soient correctement interprétés », insiste le responsable. « De même, la rapidité de questionnement était un critère clé. Avec l’ancien système, la durée d’écoute pour que le sociétaire puisse faire son choix était de l’ordre de 40 secondes. Nous voulions diviser par deux ce délai. », ajoute-t-il.
Sachant que le taux de compréhension dépend de la pertinence de l’IA, mais aussi du nombre de questions que l’on pose, il fallait trouver le point d’équilibre entre le taux de compréhension et l’effort demandé au client. « Nous obtenons aujourd’hui un taux de compréhension de 95 %, ce qui correspond au standard du marché », évoque Eric Tigréat. « La petite difficulté dans la compréhension du langage naturel porte principalement sur les bruits parasites, notamment le bruit de la circulation automobile. Dans le cas où l’algorithme ne comprend manifestement pas le client, la communication bascule sur une sélection par numéro classique ».
Le lien entre IA et RPA n’a pas été mis en place
Chez la Macif, le langage naturel ne sert actuellement qu’à qualifier les intentions d’un appelant et à orienter son appel vers le bon interlocuteur. Eric Tigréat estime que la Macif n’a pas encore le recul nécessaire pour mettre en place des flux automatisés de type RPA initiés par l’IA d’Illuin.
Pour l’heure, la mutuelle va mettre en ligne des VoiceBots au deuxième semestre 2023 afin de traiter certaines demandes. « Il ne s’agit pas pour nous de supprimer de l’activité, mais de garder de la spontanéité dans les réponses aux clients et ne pas faire attendre le client », assure le responsable. « Notre logique est de rester sous la minute. Or ce n’est pas possible tous les jours », confie-t-il.
Certains jours, les centres d’appels sont en difficulté lorsqu’il faut traiter un gros flux d’appels, par exemple « le lundi après le week-end de l’Ascension ».
« Notre idée est d’effectuer un délestage des appels vers l’IA pour traiter les demandes les plus simples, comme les prises de rendez-vous en agence. Plutôt que de faire attendre les clients, nous allons déporter ce flux vers un automate. Lorsque la file d’attente revient à un niveau acceptable, l’IA sera arrêtée », explique Eric Tigréat.
La consolidation des plateformes CRM est la priorité
À l’avenir, les parties prenant du projet évaluent la capacité d’analyser a posteriori les échanges téléphoniques. Il s’agit d’améliorer le pilotage des Centres de la Relation client de la mutuelle ou encore mieux cibler les actions marketing. De même, ils étudient la possibilité de mettre le langage naturel au service des agents dans le cadre de recherches documentaires.
« Nos conseillers sont habitués à utiliser les outils de Google ou d’Amazon à titre privé et ils s’attendent à disposer de services aussi simples d’emploi sur leur lieu de travail », estime Eric Tigréat. « Plus l’on demande d’efforts à nos conseillers sur la manipulation d’outils, moins ils ont de temps à consacrer aux sociétaires ».
« Nos outils internes doivent de plus en plus converger vers les usages du digital au quotidien. C’est aussi un moyen d’attirer des jeunes à un moment où il est difficile de recruter pour toutes les entreprises », considère-t-il.
La Macif compte également infuser le NLU/NLP dans d’autres canaux de communications. Des modèles seront prochainement déployés pour router les emails et leurs pièces jointes aux bons conseillers. Plus tard, d’autres canaux d’interaction comme la messagerie instantanée pourraient bénéficier des capacités d’interaction de Manon.
Le plan stratégique 2024-2026 de la Macif pourrait accélérer le lancement de ce type de projets. « La refonte de notre SI métier et de notre CRM est en cours », rappelle Eric Tigréat. Dès que nous disposerons d’un même CRM pour l’ensemble des acteurs de la marque Macif, nous aurons alors un système SVI unique et un CRM unique. Alors, nous pourrons envisager de nouveaux cas d’usage ».